1.2.2.1 Aspect multidimensionnel du modèle de situation

Selon Zwaan, Langston et Graesser (1995), la compréhension d'un texte résulte d’une capacité du lecteur à suivre les informations relatives aux protagonistes impliqués, aux situations dans lesquelles ils sont impliqués, à leurs buts et aux actions réalisées afin de les atteindre, et ceci dans le cadre spatial et temporel de la narration. En d'autres termes, à chaque fois qu'un événement ou une action se produit, l'individu contrôle les changements temporels, spatiaux, causaux, intentionnels ainsi que ceux relatifs aux personnages et objets.

Le modèle d'indexage d'événements repose sur quatre postulats principaux :

  1. Les événements sont les unités centrales du modèle de situation.
  2. Les événements sont reliés entre eux sur cinq dimensions : le temps, l'espace, la causalité, l'intentionnalité et les protagonistes.
  3. Les relations entre les événements sont dichotomiques : les événements sont soit reliés soit non reliés sur une dimension particulière.
  4. Le rôle de chaque dimension au sein du modèle de situation est équivalent.

Dans ce modèle, à chacune des dimensions situationnelles correspondrait un indice au sein du modèle de situation. Durant le processus de compréhension, les lecteurs indexeraient chaque événement décrit dans chacune des dimensions situationnelles et connecteraient les événements dans une représentation mentale basée sur les relations entre ces dimensions. Bien qu'une des hypothèses principales des auteurs soit une égalité quant au rôle respectif des dimensions dans le processus de compréhension, le poids assigné à chacune d'entre elles au cours de la lecture dépendrait de la nature de la tâche dans laquelle l'individu est engagé. À l'issue de la lecture, la représentation mentale élaborée serait alors organisée en un réseau de nœuds codant les événements décrits ou inférés par le texte. D'après les auteurs, deux nœuds sont connectés par un nombre donné de liens situationnels et la force des interconnexions entre les nœuds codant les événements est fonction du nombre d'indices partagés entre ces deux événements. La structure du modèle de situation résultant du processus de compréhension dépend alors du nombre d'indices que les événements d'un texte partagent.

Zwaan et al. (Zwaan, Langston, & Graesser, 1995 ; Zwaan, Magliano & Graesser, 1995) ont testé ce modèle d’indexage d’événements au cours du processus de compréhension (; Zwaan, Magliano & Graesser, 1995) ainsi qu’à son issue (Zwaan, Langston, & Graesser, 1995). Afin de rendre compte du fait que les lecteurs sont sensibles à des informations de différentes natures durant de la lecture, Zwaan, Langston, et Graesser (1995) se sont concentrés sur l’étude de trois dimensions : la temporalité, la spatialité et la causalité. L’aspect multidimensionnel a été étudié à partir de l’insertion de discontinuités situationnelles au sein d’un texte naturel. Une discontinuité temporelle correspond à un changement de temps dans la narration, une discontinuité spatiale à un changement de lieu et l’introduction d’une cause ne pouvant être identifiée dans les événements précédents du récit à une discontinuité causale. Selon les auteurs, la présence d’une discontinuité relative à une dimension devrait engendrer une augmentation des temps de traitement reflétant une difficulté d’intégration de l’information au sein de la représentation actuelle. Les données recueillies lors d’une première lecture indiquent que les lecteurs semblent avoir des difficultés à intégrer les informations en cours de traitement à la représentation préalablement construite uniquement lors du traitement de discontinuités causales et temporelles. Une seconde lecture apparaît nécessaire afin que le lecteur détecte une discontinuité spatiale (voir également Zwaan & al., 1998). La conclusion des auteurs est alors que l’individu contrôlerait dans un premier temps les informations de nature causale et temporelle et se centrerait lors d’une seconde lecture sur les dimensions qu’il n’a pu suivre dès les premiers traitements. Parallèlement, Zwaan, Langston, et Graesser (1995) ont examiné l’organisation du modèle de situation à la fin de la lecture à l’aide d’une tâche dans laquelle les participants devaient juger la force de relation entre deux verbes. Dans cette étude, les auteurs ont utilisé des textes au sein desquels les événements présentés pouvaient être reliés aux cinq dimensions définies dans leur modèle (i.e., protagoniste, causalité, spatialité, intentionnalité et temporalité). L’hypothèse des auteurs était que deux verbes devraient être jugés fortement reliés par les sujets lorsqu’ils étaient connectés sur différentes dimensions et inversement deux verbes qui n’avaient aucune relation sur l’ensemble des dimensions devraient probablement être jugés comme non reliés. Les résultats montrent que les événements du texte sont indexés sur les cinq dimensions du modèle de situation. Ainsi, en accord avec le modèle d’indexage d’événements, le processus de compréhension implique un suivi automatique et simultané des éléments textuels sur différentes dimensions situationnelles.