1.2.3.2 La représentation du texte en mémoire

Comme dans de nombreuses modélisations du processus de compréhension, la représentation mentale du texte est décrite sous la forme d'un réseau de nœuds interconnectés, avec les nœuds qui représentent les concepts et les liens qui reflètent les relations référentielles et causales entre les concepts. Dans le modèle ‘« Landscape ’», les vecteurs d'activation de chaque cycle de traitement construisent dynamiquement et graduellement la représentation épisodique. Les changements des vecteurs d'activation sont capturés par la représentation mentale, ce qui permet une accumulation en mémoire de ces changements. L'ordre des associations entre les concepts d'un texte ainsi que leur niveau d'activation sont encodés au sein de la représentation émergente. Cet encodage s'inscrit dans un réseau de connexions directionnelles asymétriques entre les concepts et la construction de ces connexions permet l'anticipation et l'encodage de l'activation d'un concept sur la base de l'activation des autres concepts. La mémorisation d'un concept dépend alors autant de ses propriétés individuelles que des relations de ce dernier avec les autres concepts.

La force de connexion d'un nœud au sein du réseau est proportionnelle à la quantité d'activation reçue tout au long du processus de compréhension par le concept qu'il représente. Parallèlement, il est important de souligner que les données, rapportées par van den Broek et al. (1996), indiquent que le nombre de cycles auxquels participe un concept ne prédit pas la fréquence de rappel et ainsi ne semble pas déterminer la force de connexion des nœuds au sein du réseau. Quant à la force de connexion entre deux concepts, dans la première version du modèle ‘« Landscape ’» (van den Broek & al., 1996), elle dépendait de deux propriétés des activations au cours de la lecture : la fréquence d'activation conjointe des deux concepts et la quantité d'activation allouée à chacun de ces concepts lors de chacune de leurs co-occurrences en mémoire de travail. Bien que dans la seconde version du modèle (van den Broek, Young, & Tzeng, 1998), la création d'une connexion entre deux concepts soit toujours contrainte par une activation simultanée des concepts, les auteurs proposent deux nouveaux principes qui déterminent le changement des forces de connexions entre les concepts. Le premier principe correspond à ce que les auteurs appellent un effet de ‘« surprise ’» relatif au niveau d'activation d'un concept. Selon ce principe, si le niveau d'activation d'un concept est facilement prédictible par la représentation existante, très peu de changements s'opèrent au sein de la représentation. Par contre, si le niveau d'activation d'un concept n'est pas anticipé, les connexions au sein du réseau doivent être modifiées afin de rendre compte de la dynamique des vecteurs d'activation. Dans leur modélisation, les auteurs ont recours à une règle d'apprentissage asymptotique afin de rendre compte de cet effet graduel des expériences multiples. L'application de cette règle implique une asymétrie dans les connexions entre les concepts, la probabilité d'activation de deux concepts reliés étant plus forte dans un sens que dans l'autre. Le changement des forces de connexion est également influencé par les connexions que chaque concept a avec les autres éléments. Ceci induit le fait que les concepts sont mis en compétition dans la prédiction de l'activation d'un autre concept. Par exemple, le fait qu'un concept soit fortement connecté à un second, c'est à dire que son activation engendre probablement l'activation du second, réduit la probabilité de création d'une connexion avec un troisième concept. Ainsi, cette compétition de cohortes détermine de façon majeure la construction de la représentation à chaque cycle de traitement et permet de représenter de manière efficiente la dynamique du texte, notamment en évitant la création de connexions redondantes.

Dans ce modèle, la mise à jour de la représentation dépend donc de trois facteurs : l'activation des concepts, la règle d'apprentissage asymptotique et la compétition de cohortes. Deux principaux aspects du processus de mise à jour sont le reflet de l’influence de ces facteurs. Premièrement, la mise à jour ne se définit pas comme un simple ajout ou modification individuelle des nœuds et des connexions au sein du réseau. En effet, les principes d'activation par cohorte et de compétition de cohorte impliquent que le changement de la force de connexion d'un nœud ou d'une de ses connexions affecte les propriétés des autres concepts. Ainsi, à chaque cycle de traitement, l'activation des concepts engendre une reconstruction ou reconfiguration de la représentation dans son ensemble. Deuxièmement, l'impact d’une nouvelle information sur la mise à jour de la représentation dépend de sa structure actuelle qui détermine les vecteurs d'activation subséquents. Plus spécifiquement, lors du traitement d'une nouvelle information, la cohorte d'activation guide l'activation des autres concepts, et parallèlement la compétition de cohorte et la règle d'apprentissage asymptotique gèrent les changements engendrés par le vecteur d'activation. L'effet de la lecture d'une nouvelle phrase dépend alors de l'histoire de tous les concepts et connexions impliqués depuis le début du traitement du texte.

Les notions principales sur lesquelles repose le modèle ‘« Landscape » ’le situe à la frontière des modèles qui s’attachent à décrire la mise à jour sous l’angle de processus stratégiques et de ceux postulant une mise à jour basée sur l’intervention de processus automatiques. En effet, le modèle «‘ Landscape ’» décrit une fluctuation permanente de l’activation des concepts au cours de la lecture sous-tendue par le principe d’activation par cohorte. Au cours du processus de compréhension, le lecteur récupère les éléments de la représentation épisodique ainsi que ces connaissances générales par cette cohorte d’activation. En d’autres termes, la récupération de l’ensemble des informations stockées en MLT résulte de l’intervention d’un seul et même processus dirigé par les données. De cette manière, le modèle ‘« Landscape ’» rend compte de l’influence de la représentation dans son ensemble sur le processus de mise à jour dans la mesure où cette dernière résulte de l'interaction entre les entrées textuelles et la représentation épisodique en cours de développement. La nature récursive de ce processus garantit ainsi une mise à jour qui n’implique pas simplement les nœuds et connexions activés à un moment particulier du processus de compréhension. D’un autre côté, le contenu des vecteurs d’activation pendant la lecture dépend également des standards de cohérence du lecteur qui déterminent les stratégies que ce dernier va mettre en place. Si un lecteur cherche une compréhension minimum, le standard de cohérence sera facilement atteint et nécessitera la récupération d’un petit nombre d’éléments de la représentation épisodique et des connaissances du lecteur. À l’inverse, la recherche d’une compréhension minutieuse ralentira les traitements et impliquera la récupération d’un plus grand nombre d’éléments de la représentation épisodique et des connaissances antérieures du lecteur. Ces différences dans la recherche de la cohérence se reflètent donc au niveau du contenu du vecteur d’activation et en retour influence la mise à jour de la représentation. Ainsi, l’activation par cohorte et la mise à jour sont également dirigées par les stratégies que les lecteurs mettent en place dans le but d’atteindre leurs standards de cohérence. Le modèle « Landscape » diffère alors des modèles dans lesquels la mise à jour repose sur des processus strictement bottom-up dans la mesure où ces derniers n’envisagent pas une influence des buts ou motivations du lecteur dans l’activation initiale des informations.