1.3.2.1 La phase de construction

La phase de construction est modélisée comme un système de production qui conduit à l'élaboration de la base de texte à partir des entrées linguistiques et des connaissances du lecteur. Cette phase de construction est donc fortement dépendante de l’organisation des connaissances sur lesquelles elle s’appuie. Les connaissances sont représentées sous la forme d'un réseau associatif de nœuds qui correspondent à des concepts ou des propositions interconnectés. À chaque connexion du réseau est attribué un poids dont la valeur peut être positive, négative ou nulle, comprise entre – 1 et + 1. Les concepts ne sont pas définis dans le réseau de connaissances, leur signification complète et globale ne pouvant être obtenue que par l’exploration de leurs relations avec tous les autres nœuds du réseau. Les nœuds de ce réseau correspondent aux propositions telles qu’elles ont été définies dans les modèles précédents (Kintsch & van Dijk, 1978 ; van Dijk & Kintsch, 1983) ce qui permet une construction des bases de textes à partir des mêmes éléments que le réseau associatif. Les bases de textes sont alors formées par sélection, modification et réarrangement des éléments propositionnels du réseau mais correspondent à des structures séparées et possèdent leurs propriétés propres. À chaque moment de la lecture, seule une partie du réseau peut être activée ce qui rend la signification d’un concept spécifique à la situation, dépendante du contexte, instable et incomplète.

Une telle modélisation des connaissances permet à Kinstch de supposer un système de production beaucoup plus faible que celui proposé dans ses précédents modèles (Kintsh & van Dijk, 1978; van Dijk & Kintsch, 1983). Ce nouveau système permet l'intervention de règles qui ont besoin d’être juste assez puissantes pour que les éléments corrects se trouvent parmi d’autres éléments qui ne sont ni appropriés, ni pertinents. La différence principale avec les modèles classiques de production concerne alors le type de règles d'inférences utilisé : à la place de règles précises par tout ou rien, le modèle utilise des règles ‘« molles ’», dont l’application aboutit à un résultat incohérent voire contradictoire. La structure résultante se présente sous la forme d'un réseau associatif et prend la forme d'une base de texte cohérente après l'intervention de procédures connexionnistes mises en jeu lors de la seconde phase (i.e., intégration).

Selon Kintsch (1988, 1998), quatre étapes principales sont nécessaires à la construction de la base de texte. La première étape consiste à former les concepts et les propositions qui se dégagent directement des entrées linguistiques. Il n'est pas nécessaire que seules les propositions adéquates soient formées. En effet, le modèle prévoit un affaiblissement des règles de construction des propositions qui permet la formation de propositions incomplètes ou incorrectes mais qui peut également conduire à une dominance immédiate de l'interprétation correcte. Dans un deuxième temps, chacun de ces éléments est élaboré par la sélection d'un petit nombre de ses plus proches voisins associés issus du réseau de connaissances. Ainsi, les concepts ou propositions formés lors de l'étape précédente servent d'indice de récupération des nœuds associés et ceci sans relation avec le contexte du discours. À ce niveau, le processus de construction est peu directif et manque d'intelligence. Il produit seulement des inférences potentielles dans l'espoir que certaines d'entre elles soient utiles ultérieurement. Néanmoins, ce mécanisme aléatoire ne permet pas la production de toutes les inférences nécessaires à la compréhension. C'est pourquoi une troisième étape est consacrée à la production des inférences de liaisons et des macropropositions. Enfin, la quatrième étape consiste en une spécification des interconnexions entre tous les éléments du réseau. Les éléments peuvent être interconnectés de deux manières. Les propositions dérivées du texte sont positivement interconnectées avec des valeurs associatives proportionnelles à leur proximité dans la base de texte et héritent en plus des interconnexions existant dans le réseau associatif de connaissances. Les inférences se voient attribuer les interconnexions positives et négatives issues du réseau de connaissances générales. Il résulte de ce processus de construction un réseau exprimable sous la forme d'une matrice de connexité. Elle comprend tous les nœuds lexicaux accessibles, toutes les propositions qui ont été formées, et toutes les inférences et élaborations produites aux niveaux local et global ainsi que leurs interconnexions. Cette base de texte initiale riche mais incohérente et contradictoire sera par la suite assujettie à un processus d'intégration pour former une structure cohérente.