1.3.2.4.2 Rôle de la MDT-LT dans le modèle de Construction-Intégration

Les études menées en compréhension de texte sur les effets de l'interruption de la lecture révèlent également des résultats difficilement interprétables dans le cadre des théories classiques de la MDT. À partir d'un ensemble d'expériences, Glanzer et al. (Fischer & Glanzer, 1986; Glanzer, Dorfman, & Kaplan, 1981; Glanzer, Fischer & Dorfman, 1984) ont observé que des interruptions au cours de la lecture engendrent une augmentation des temps de lecture lors de la reprise (uniquement sur la première phrase) mais affectent ni la rapidité d'accès ni la précision de la représentation mentale construite. Ces résultats suggèrent ainsi que les informations en MDT ne sont pas complètement perdues lors de l'interruption dans la mesure où les lecteurs les récupèrent très rapidement quand ils reprennent leur lecture. Selon Ericsson et Kintsch (1995), la phrase qui suit une interruption fournirait les indices en MCT qui conduisent à la récupération rapide des informations textuelles à partir de la MDT-LT. De plus, le processus de compréhension résulte de traitements successifs de différents niveaux qui se mettent en place progressivement lors de l'apprentissage. Ceci constitue un deuxième argument sous-tendant l'hypothèse selon laquelle la MDT-LT serait sollicitée lors de l'activité de compréhension de texte alors considérée comme une activité cognitive complexe dans laquelle tout individu est expert.

Sur la base de ces observations, Kintsch (1998) propose d'étendre le modèle de Construction-Intégration en intégrant le concept de MDT-LT. La représentation épisodique générée au cours du processus de compréhension jouerait ainsi le rôle des structures de récupération de la MDT-LT. En effet, le modèle de situation constitue une structure très riche qui comprend les connexions entre les informations du texte et les connaissances du lecteur. Définir cette représentation comme une structure de récupération rend compte du fait que les lecteurs réintègrent rapidement une information stockée en MLT lorsqu'elle est nécessaire à la construction de la cohérence de la représentation. En effet, cette structure de récupération non seulement facilite l’accès à l’ensemble des informations textuelles antérieures mais également aux connaissances que le lecteur a intégrées à la représentation lors des cycles de traitement précédents. Dans le modèle de Construction-Intégration (Kintsch, 1998), les indices de récupération qui guident la récupération des informations en MDT-LT correspondent aux propositions dérivées de la phrase en cours de traitement. Certaines de ces propositions sont directement connectées à d'autres propositions des cycles de traitement précédents, stockées en MLT. Les informations de la représentation épisodique qui sont directement en lien avec celles actuellement en MDT correspondent alors aux informations de la MDT-LT. L'introduction de cette notion constitue un apport essentiel à la première version du modèle de Construction-Intégration dans la mesure où elle modifie l'hypothèse sous-jacente à la stratégie de sélection des propositions maintenues dans le ‘« buffer ’» en MCT. Plus spécifiquement, il n'est plus nécessaire de supposer une stratégie de sélection séparée. En effet, les propositions de MCT fournissent l'accès aux parties pertinentes de la représentation du texte et notamment aux propositions de haut niveau dans la hiérarchie propositionnelle ce qui rend compte de "l'effet de niveau" dans le rappel de texte observé et largement discuté dans la littérature. Enfin, par cette extension, le modèle de Construction-Intégration ne se situe plus dans une approche minimaliste du processus de compréhension mais plutôt maximaliste, les indices de la MDT permettant aux lecteurs un accès rapide aux informations du cycle précédent comme à celles des parties antérieures d'un texte.

Dans sa version initiale, le modèle de Construction-Intégration décrit un processus automatique de construction et d'intégration qui normalement suffit au processus de compréhension. L’introduction de la notion de MDT-LT à cette modélisation conduit à une conceptualisation d'un processus de compréhension qui permet le stockage des nouvelles informations dans une structure mentale du texte en MLT, et qui envisage un accès aux propositions et aux autres informations comme une conséquence indirecte de la compréhension (Ericsson & Kintsch, 1995).

Le modèle de Construction-Intégration (Kintsch, 1988, 1998) ainsi que le modèle d’Attention focalisée et d’Appariement de scénario (Sanford & Garrod, 1981, 1998) mettent ainsi en avant deux principaux avantages à supposer une mise à jour du modèle de situation essentiellement sous-tendue par des processus automatiques. Premièrement, une telle conception du processus de compréhension permet de faire l’économie de la mise en place d’une stratégie de maintien des informations pertinentes nécessaires à l’établissement de la cohérence locale et globale au cours de la lecture. En effet, dans ces modélisations, l’activation automatique des informations stockées en MLT engendrée par le traitement des nouveaux concepts permet au lecteur d’accéder facilement et rapidement aux informations requises pour l’interprétation des éléments en cours de traitement. Ce changement constant des informations disponibles en mémoire peut ainsi rendre compte de l’apparente facilité du processus de compréhension. Deuxièmement, cette activation automatique ne se restreint pas aux informations de la représentation épisodique mais se propage à l’ensemble de la MLT. Aussi, supposer l’intervention d’un processus de récupération automatique permet de rendre compte conjointement du maintien de la cohérence globale au cours de la lecture et de l’intégration des connaissances générales du lecteur à la représentation en cours d’élaboration, fait fondamental dans la construction du modèle de situation.

Ces deux modélisations du processus de compréhension soulignent ainsi l’intérêt de s’intéresser plus précisément aux caractéristiques de ce processus automatique de récupération qui met à disposition pour le lecteur les éléments nécessaires à leur intégration tout au long de la lecture. En accord avec cette conceptualisation automatique du processus de compréhension, Myers et O’Brien (1998) ont proposé le modèle de Résonance au sein duquel ils décrivent précisément le processus de résonance alors considéré comme le premier processus par lequel les informations stockées en MLT sont réactivées au cours de la lecture.