1.3.3.1 Approche du traitement du texte basé sur la mémoire : Principales hypothèses

Le postulat central de l'approche du traitement du texte basé sur la mémoire résulte de la combinaison de trois hypothèses émises lors de travaux et modélisations antérieurs du processus de compréhension. Premièrement, l'interaction entre un texte et les connaissances du lecteur, inhérente au processus de compréhension, est sous-tendue par l'intervention de processus de bas-niveau (Kintsch, 1988, 1998). Deuxièmement, l’activation des informations au cours de la lecture est soumise à une fluctuation constante (Sanford & Garrod, 1981, 1998 ; van den Broek et al., 1996). Enfin, les informations ‘« actuellement ’» disponibles au moment où un énoncé est lu constituent le contexte critique pour la compréhension de cet énoncé (McKoon & Ratcliff, 1992). Les auteurs qui s'inscrivent dans cette approche s'accordent sur l'idée selon laquelle chaque nouvelle information linguistique est comprise en relation avec les informations qu'elle évoque en mémoire (Greene & al., 1994) et poursuivent deux principaux objectifs. Premièrement, apporter des éléments précis quant au processus de récupération sous-jacent aux changements de disponibilités des informations au cours du processus de compréhension, et deuxièmement, décrire la manière dont ce processus de récupération interagit avec les processus subséquents qui opèrent sur les informations disponibles.

Dans cette perspective, les études réalisées par les chercheurs adoptant cette conceptualisation du processus de compréhension reposent sur les hypothèses suivantes. Tout d’abord, les efforts de compréhension en lecture sont assujettis à un processus de récupération en mémoire hautement automatique. L’automaticité renvoie à trois principales caractéristiques de ce processus. D’une part, il serait déclenché par des items lexicaux individuels permettant un accès rapide aux informations associées sans l’utilisation de ressources centrales de traitement. D’autre part, ce processus n’est pas restreint dans le sens où il est supposé permettre l’activation de tous les concepts qui partagent un trait avec l’information actuellement en MDT (Hintzman, 1986). Enfin, il est autonome ou dénué ‘« d’intelligence ’», une information suffisamment activée (ré)intégrant la MDT indépendamment de sa pertinence pour l’interprétation des éléments en cours de traitement. Sur la base des modèles classiques de la mémoire (Gillund & Shiffrin, 1984; Hintzman, 1986; Ratcliff, 1978), ce processus de récupération est alors défini comme un processus de résonance passif de traces mnésiques en mémoire. Il est parallèlement supposé que les unités fondamentales de traitement sont de nature subpropositionnelle. Une des implications de la prise en compte des unités subpropositionnelles comme unités d’analyse textuelle est de conférer un rôle prépondérant à la fois aux connaissances antérieures stockées en MLT et aux traitements de bas-niveau dans le sens où tous deux contraignent l’interprétation des unités les plus subordonnées. Les concepts et les concepts modifiés sont alors définis comme les déclencheurs fondamentaux du processus de recherche. Troisièmement, cette perspective confère un rôle critique aux processus de bas-niveau dans le traitement des informations textuelles. Chaque nouvel item lexical évoque des informations en mémoire qui constituent le contexte pour son interprétation. La compréhension ne résulte pas d'une recherche de la signification, le sens émergerait d’une recherche indirecte. Cette approche admet parallèlement que ce qui résulte de l'intervention de ces processus de bas-niveau a des effets sur les processus de haut-niveau dans le sens où ils influencent les traitements subséquents (Noordman & Vonk, 1998 ; Sanford & Garrod, 1998). Cependant, il est supposé que ces effets trouvent leur origine dans une activation automatique des connaissances antérieures par l’intermédiaire des items lexicaux. Enfin, une des perspectives de l’approche de traitement de texte basé sur la mémoire est de rendre compte de l'influence des connaissances antérieures sur le processus de construction d'une représentation au cours de la lecture. Les auteurs qui s'inscrivent dans cette approche émettent donc l'hypothèse selon laquelle un seul et même processus sous-tend l’accès aux informations de la représentation épisodique du texte et aux connaissances antérieures du lecteur. Cette dernière hypothèse est compatible avec la caractéristique non restreinte du processus de recherche.

Ainsi, l’approche du traitement du texte basé sur la mémoire se distingue des autres orientations théoriques au niveau de la nature des traitements impliqués lors de la compréhension de texte (Lorch, 1998). En effet, dans cette approche, l’interprétation des nouveaux éléments textuels et par conséquent leur intégration au sein de la représentation en cours d’élaboration s’effectuent sur la base des informations actuellement disponibles en mémoire dont l’activation résulte de l’intervention d’un processus mnésique de récupération hautement automatique. Le maintien de la cohérence globale résulterait de l’intervention d’un processus de récupération des informations en mémoire suffisamment puissant pour rendre accessibles au lecteur les informations requises pour la compréhension.