1.3.3.4 Arguments expérimentaux en faveur de l’intervention d’un processus automatique de résonance

La littérature actuelle présente de nombreux travaux en faveur de l’idée selon laquelle la mise à jour repose sur l’intervention d’un processus de résonance automatique. Les études relatives au processus mis en jeu lors de la récupération des antécédents au cours de la lecture apportent les premiers arguments en faveur de l’intervention d’un processus de récupération mnésique, consistant en une diffusion d’activation passive, parallèle et non restreinte. (Albrecht & O’Brien, 1991 ; O’Brien & Albrecht., 1991 ; O’Brien & al., 1995 ; O’Brien, Plewes, & Albrecht, 1990). Ces travaux ont permis de mettre en évidence deux principaux points qui rendent compte de l'automaticité de ce processus. Premièrement, la réactivation des informations requises pour l’interprétation des éléments en cours de traitement s’accompagne de la réactivation d’autres éléments potentiels et deuxièmement, la réactivation des informations nécessaires ne se limite pas aux concepts qui sont apparus dans le texte. Les lecteurs accèdent donc automatiquement à ses connaissances générales par le même processus que celui responsable de la réactivation des informations de la représentation épisodique au cours de la lecture. L'étude d'O'Brien, Plewes et Albrecht (1990) ainsi que celle d'O'Brien et Albrecht (1991) illustrent ces arguments fondamentaux.

En 1990, O’Brien, Plewes, et Albrecht ont réalisé une étude afin d’examiner les facteurs qui guident l’accès à un antécédent distant au cours de la lecture. Plus spécifiquement, l’objectif des auteurs était de mettre en évidence que la récupération d’un antécédent résultait d’une diffusion d’activation parallèle et non restreinte, et par conséquent, que le temps nécessaire à sa récupération devait dépendre premièrement, de sa distance sur la structure de surface par rapport aux informations actuellement en cours de traitement et deuxièmement, de son degré d’élaboration. Le matériel expérimental était composé de textes narratifs au sein desquels se trouvaient deux antécédents potentiels appartenant à la même catégorie sémantique (i.e., train et avion). Chaque passage était structuré de telle sorte qu’un antécédent apparaissait au début du texte et le second à la fin. Cependant lors du déclenchement du processus de récupération, les deux antécédents n’étaient plus actifs en mémoire. Afin de faire varier le niveau d’élaboration, un des deux antécédents était mentionné brièvement (antécédent non élaboré) alors que le second était présenté plus en détails (antécédent élaboré). La compréhension de la dernière phrase de chaque texte nécessitait la réintroduction de l’un des deux antécédents. Selon les auteurs, les temps de lecture de cette dernière phrase devaient refléter le temps nécessaire au processus de recherche pour réintroduire l’antécédent cible adéquat. Parallèlement, afin de vérifier si les lecteurs récupéraient l’antécédent correct, une épreuve de dénomination de mots au cours de laquelle pouvait être présenté soit, l’antécédent censé être réintroduit soit, l’autre antécédent leur était proposé immédiatement après la lecture de la dernière phrase. Les auteurs émettaient l’hypothèse selon laquelle la récupération d’un antécédent élaboré devrait être plus rapide que celle d’un antécédent non élaboré et que la réintroduction de l’antécédent le plus distant demanderait plus de temps que celle de l’antécédent le plus proche. La récupération la plus rapide devait donc se manifester lorsque l’antécédent le plus proche était élaboré. Les principaux résultats montrent que les temps de lecture de la dernière phrase sont plus longs lorsque celle-ci requiert la réintroduction de l’antécédent le plus distant que lorsqu’elle nécessite la réintroduction de l’antécédent le plus proche. De façon analogue, l’antécédent élaboré est récupéré plus rapidement que l’antécédent non élaboré. Cependant, les données révèlent que lorsque l’antécédent le plus distant a été élaboré, les temps de lecture de la dernière phrase du texte ne diffèrent pas en fonction de l’antécédent à réintroduire. Par contre, quand l’antécédent élaboré correspond à l’antécédent le plus proche, les temps de lecture de la dernière phrase sont plus courts lorsqu’elle nécessite la réintroduction de celui-ci que lorsqu’elle nécessite la réintroduction de l’antécédent le plus distant non élaboré. Parallèlement, les données issues de l’épreuve de dénomination confirment que les lecteurs réintroduisent l’antécédent adéquat, celui-ci étant nommé plus rapidement que l’autre antécédent. Cependant, elles révèlent que cette facilitation de récupération de l’antécédent adéquat n’apparaît pas lorsqu’il correspond à l’antécédent distant non élaboré. Autrement dit, la récupération de l’antécédent distant s’accompagne de la réactivation du second antécédent potentiel lorsque ce dernier est élaboré. Ainsi, cette étude indique que le temps de récupération d’un antécédent stockée en MLT dépend conjointement de la distance sur la structure de surface et de son niveau d’élaboration, et met parallèlement en évidence que la récupération de l’information requise s’accompagne de l’activation des autres antécédents potentiels. Cette étude fournit donc des arguments en faveur d’une réactivation des informations antérieures d’un texte résultant d’une diffusion d’activation parallèle et non restreinte. Les auteurs ont réalisé une seconde expérience afin de déterminer les effets à l’origine de l’activation de l’antécédent non requis au cours du processus de recherche. En effet, cette activation pouvait résulter soit d’une influence de la distance et du niveau d’élaboration soit, du fait que l’antécédent non requis appartienne à la même catégorie sémantique que l’antécédent à récupérer. Aussi, cette seconde expérience était identique à la première, si ce n’est que les deux antécédents potentiels n’appartenaient plus à la même catégorie sémantique. Les données révèlent que seul l’antécédent nécessaire à la compréhension de la dernière phrase du texte est réactivé. Lorsque les deux antécédents différent quant à leur appartenance à une catégorie sémantique, seul l’antécédent adéquat est réactivé lors du processus de récupération. Ce résultat constitue ainsi un des premiers arguments en faveur de l’idée selon laquelle la diffusion d’activation automatique, parallèle et non restreinte est guidée par les chevauchements sémantiques et contextuels entre les traces en mémoire.

Parallèlement, les travaux réalisés par O’Brien et Albrecht (1991) sur le rôle du contexte dans l’accès aux antécédents dans un texte permettent de mettre en évidence comment et quand les connaissances du lecteur interviennent dans le processus de compréhension. Dans cette étude, l’objectif principal des auteurs était d’une part, de confirmer que le processus de recherche mis en jeu lors de la récupération d’un antécédent stocké en MLT engendrait l’activation d’autres antécédents potentiels et, d’autre part, d’examiner comment ces antécédents potentiels influençaient le processus de réintégration. Les textes narratifs utilisés dans cette étude contenaient un antécédent cible qui correspondait à l’antécédent à réintroduire. Pour chaque récit, les auteurs ont construit deux conditions de contexte. Dans les versions ‘« contexte fort ’», le contexte favorisait fortement un antécédent particulier c’est-à-dire soit, le concept explicitement mentionné dans le texte (i.e., antécédent cible) soit, un concept que le lecteur pouvait inférer sur la base de ses connaissances. Dans les versions ‘« contexte faible ’», le contexte ne permettait pas aux lecteurs de faire un choix entre les deux concepts potentiels. La compréhension de la dernière phrase du texte nécessitait la récupération de l’antécédent cible (i.e., concept présenté dans le texte). Afin d’examiner le niveau d’activation des deux concepts, une épreuve de dénomination de mots au cours de laquelle pouvait être présenté l’antécédent cible ou l’antécédent alternatif, était proposée aux participants immédiatement après la lecture de la dernière phrase. Les principaux résultats confirment ceux antérieurement observés dans la mesure où les participants dénomment plus rapidement l’antécédent cible présent dans le texte que le concept alternatif dans les deux conditions de contexte (O’Brien, 1987 ; O’Brien et al., 1986). Toutefois, pour les versions ‘« contexte fort ’», ils révèlent une différence plus faible dans le temps de dénomination entre l’antécédent cible et le concept alternatif lorsque le contexte favorisait le concept alternatif que lorsque le contexte favorisait l’antécédent cible. Ce dernier résultat met en évidence qu’un concept fortement relié au contexte d’un récit est activé lors du processus de recherche d’un antécédent, même lorsque ce concept n’est pas présenté dans le texte. Cette expérience suggère ainsi que le processus sous-jacent à la récupération d’un antécédent opère sur l’ensemble des informations en MLT, la recherche de l’antécédent requis ne se limitant pas aux éléments de la représentation épisodique du texte. Parallèlement, elle confirme que l’intervention de ce processus engendre l’activation de l’ensemble des antécédents potentiels.

Sur la base des précédents résultats, O’Brien et Albrecht (1991) ont examiné dans quelle mesure ces activations multiples pouvaient influencer la réintégration de l’antécédent cible. Ils ont alors effectué différentes modifications sur le matériel expérimental utilisé précédemment. La dernière phrase de chaque passage a été supprimée et remplacée par deux phrases qui maintenaient le thème du récit. À la fin de la lecture de chaque texte, les participants devaient répondre oralement à une question dont la réponse correcte était toujours l’antécédent cible (i.e., explicitement mentionné dans le texte). Si l’activation des autres concepts pendant le processus de récupération de l’antécédent cible n’interfère pas avec sa récupération, alors le nombre d’erreurs et le type d’erreurs commises ne devraient pas varier en fonction des versions des textes. Cependant, si le niveau d’activation du concept alternatif est suffisamment élevé, il pourrait interférer avec la récupération de l’antécédent cible et produire un pattern d’erreurs prédictible. Plus précisément, l’activation forte du concept alternatif lorsqu’il est fortement relié au contexte dans les versions ‘« contexte fort ’», pourrait conduire les participants à commettre plus d’erreurs, c’est-à-dire à donner plus fréquemment le concept alternatif comme réponse que l’antécédent cible présenté dans le texte mais faiblement relié au contexte. Les résultats indiquent que le concept alternatif est donné comme réponse lorsque les participants sont encouragés à répondre le plus rapidement possible. Par contre, lorsque les participants ont reçu comme consigne de répondre le plus précisément possible, le nombre d’erreurs commises est proche de zéro. Selon les auteurs, cette variation dans la proportion d’erreurs commises en fonction de la consigne donnée aux participants ne résulte pas d’une différence liée aux informations (ré)activées lors du processus de recherche. Elle reflèterait plutôt la mise en place de stratégies de sélection distinctes qui opèrent sur les informations actuellement disponibles. Lorsqu’une contrainte temporelle pèse sur le processus de récupération, les participants adopteraient comme critère de sélection le niveau d’activation des informations actuellement activées, ce qui les conduit à choisir le concept alternatif. Par contre, lorsque cette contrainte temporelle est levée, les participants auraient le temps de mettre en place une stratégie de sélection basée sur la pertinence de l’information et par conséquent réintègrent l’antécédent adéquat. Cette étude indique ainsi que le processus de récupération d’un antécédent en MLT met en jeu un processus de réactivation passif et non restreint qui engendre l’activation d’un ensemble d’antécédents potentiels issus de la représentation épisodique et des connaissances générales du lecteur. Le résultat du processus de récupération découle des processus stratégiques subséquents qui opèrent sur ces informations.

Cette étude (O’Brien & Albrecht, 1991) met en évidence un point crucial pour les modèles de compréhension de texte dans la mesure où elle souligne qu’un modèle de compréhension complet doit pouvoir rendre compte de ses composants automatiques ainsi que de ses composants stratégiques. Toutefois, en accord avec l’approche du traitement du texte basé sur la mémoire, l’intervention de processus stratégiques semble nécessaire uniquement lorsque les processus automatiques ne sont pas en mesure de rendre compte de résultats particuliers. Spécifier davantage et comprendre le processus automatique qui sous-tend le processus de compréhension apparaît alors essentiel pour rendre compte du processus de compréhension dans sa globalité. Aussi, l’ensemble des travaux que nous avons réalisés avait pour objectif principal d’examiner la composante automatique du processus de compréhension. Le chapitre 2 présente quatre expériences que nous avons menées afin d’apporter des arguments en faveur de l’hypothèse selon laquelle les changements de disponibilités des informations au cours de la lecture résulte de l’intervention d’un processus automatique de résonance. Précisément, nous nous sommes successivement centrées sur l’étude des trois principales caractéristiques de ce processus. Premièrement, le processus de résonance est guidé par les chevauchements de traits sémantiques et contextuels entre les traces en mémoire. Deuxièmement, il est non restreint, tous les concepts qui partagent un trait avec les éléments en MDT sont réactivés. Enfin, ce processus est autonome : toute information suffisamment activée réintègre la MDT indépendamment de sa pertinence pour l’interprétation des éléments en cours de traitement.