2.1.2 Facteurs qui influencent le processus de résonance

Les données d’Albrecht et Myers (1995) ainsi que celles de McKoon et al. (1996) indiquent que la réactivation des informations de la représentation épisodique résulte des chevauchements de traits entre les traces en mémoire. Cependant, de nombreux facteurs interagissent avec le degré de chevauchement et peuvent ainsi diminuer ou augmenter la probabilité qu’un concept particulier soit réactivé. Au regard des travaux réalisés sur la récupération des antécédents au cours de la lecture, un des principaux facteurs qui interagit avec le chevauchement de traces dans la réactivation des informations est le niveau d’élaboration de la trace en mémoire. Un ensemble d’études, mené par O’Brien et al. (O’Brien, 1987 ; O’Brien & al., 1995 ; O’Brien et al., 1990 ; Rizzella & O’Brien, 1996) a permis de mettre en évidence que l’élaboration d’une information surpassait les effets de distance dans la récupération d’un antécédent en mémoire. Plus précisément, les résultats de ces travaux indiquent qu’une information préalablement élaborée est réactivée plus rapidement qu’une information non élaborée, même lorsque l’antécédent élaboré est plus distant physiquement que l’antécédent non élaboré. Dans toutes ces études, le niveau d’élaboration est défini par le nombre de fois où un concept ou des éléments lui faisant référence apparaît dans un texte : plus un concept est mentionné, plus le niveau d’élaboration de la trace qui le représente est important. L’interprétation de l’effet d’élaboration s’explique alors par une multiplication des références auxquelles une information est reliée. Cette multiplication entraîne une accumulation d’activation pour cette information, augmentant ainsi la probabilité et la vitesse avec laquelle le signal émanant des informations en cours de traitement réactivera cette information. Ceci rend notamment compte du fait que les concepts importants ou encore les informations avec le plus de connexions causales soient mieux rappelés et plus rapidement récupérés (O’Brien & Myers, 1987 ; Bloom, Fletcher, van den Broek, Reitz, & Shapiro, 1990 ; van den Broek, 1990). Toutefois, le nombre de fois où un concept est mentionné ne constitue pas le seul facteur déterminant la quantité d’élaboration d’une trace. L’étude réalisée par Albrecht et Myers (1998) permet de préciser ce point. Les auteurs ont repris le matériel expérimental et la procédure de leurs précédents travaux (Albrecht & Myers, 1995) à partir desquels ils ont pu mettre en évidence le rôle des chevauchements d’arguments dans la réactivation des informations textuelles antérieures (voir p. 62). Dans ces expériences, chaque texte présentait deux versions, une première dans laquelle le but initial d’un protagoniste était satisfait et une seconde dans laquelle le but n’était pas satisfait. Un chevauchement d’arguments (i.e., indice contextuel) avec le but initial était introduit par la phrase de réintroduction du contexte, après un épisode secondaire qui décrivait le protagoniste impliqué dans l’atteinte d’un second but. Les temps de lecture de deux phrases cibles incohérentes lorsque le but initial n’était pas satisfait permettaient de rendre compte de la réactivation du but et ont révélé que seule la présence d’un chevauchement d’arguments permettait la réactivation des informations relatives au but initial après la présentation de l’épisode secondaire.

Dans l’étude réalisée en 1998, l’objectif principal des auteurs était d’étudier l’influence de la quantité d’élaboration de l’indice contextuel en mémoire et de la spécificité de la phrase de réintroduction contextuelle sur la réactivation des informations textuelles antérieures. Aussi, seule la condition dans laquelle un chevauchement d’arguments était présent a été utilisée. Afin de faire varier la quantité d’élaboration de l’indice contextuel (i.e., chevauchement d’arguments), les auteurs n’ont pas manipulé son nombre d’apparition dans le texte mais ils ont simplement ajouté un adjectif "modificateur" au nom d’objet constituant cet indice. Ainsi, dans ces expériences, un indice contextuel élaboré était constitué d’un nom et d’un adjectif (chaise en cuir) alors que le nom de l’objet présenté seul correspondait à un indice non élaboré (chaise).

Le niveau d’élaboration de l’indice contextuel pouvait varier lors de sa première présentation, (i.e., lors de l’introduction du but initial) mais également au sein de la phrase de réintroduction du contexte (i.e., deuxième apparition). Dans cette étude, les auteurs ont construit trois conditions de contexte. La condition Adjectif-Adjectif dans laquelle l’indice contextuel et la phrase de réintroduction contextuelle comportaient l’indice élaboré (chaise en cuir). La condition Adjectif-Nom dans laquelle l’indice élaboré (chaise en cuir) apparaissait dans la partie introduction et le nom seul (chaise) apparaissait au sein de la phrase de réintroduction contextuelle. Dans la dernière condition Nom-Nom, l’indice non élaboré (chaise) constituait l’indice contextuel et était réintroduit au sein de la phrase de réintroduction du contexte. Sur la base des données préalables relatives aux effets d’élaboration, les auteurs émettaient l’hypothèse selon laquelle la présence ou non de l’adjectif devait affecter la probabilité et la vitesse d’accès aux informations antérieures.

Les principaux résultats de la condition Adjectif-Adjectif montrent des temps de lecture plus longs pour les deux phrases cibles lorsque le but initial n’est pas satisfait. Cet effet d’incohérence indique que la réintroduction de l’indice contextuel élaboré permet aux lecteurs de détecter les contradictions et par conséquent que les informations relatives au but initial ont été réactivées. Dans la condition Adjectif-Nom, les auteurs observent des temps de lecture plus longs dans la condition but non satisfait mais uniquement pour la première phrase cible. La réintroduction partielle de l’indice contextuel engendre donc une diminution de l’effet d’incohérence, les lecteurs n’étant sensibles qu’à la première information incohérente. Enfin, dans la condition Nom-Nom, le processus de compréhension est perturbé uniquement lors du traitement de la seconde information contradictoire ce qui suggère un ralentissement de la réactivation des informations relatives au but initial par rapport aux deux premières conditions de contexte.

Dans l’ensemble, cette étude confirme les résultats obtenus lors de travaux précédents (Albrecht & Myers, 1995 ; McKoon, et al., 1996 ; Lea, Mason, Albrecht, Birch, & Myers, 1998) dans la mesure où elle démontre que la réactivation d’une partie antérieure d’un texte repose sur la présence de chevauchement d’arguments que le lecteur utilise comme des indices de récupération. Deuxièmement, les données révèlent d’une part, que la réintroduction partielle de l’indice contextuel dans la condition Adjectif-Nom engendre un affaiblissement plus rapide de l’activation par rapport à une réintroduction complète de l’indice (i.e. condition Adjectif-Adjectif), et d’autre part, que la simple mention d’un objet (indice non élaboré) associé au but ralentit sa réactivation. Ainsi, cette étude met en évidence que la vitesse de réactivation d’une information antérieurement traitée dépend du degré de chevauchements entre les traces. Ces premières conclusions apportent de nouveaux éléments en faveur de l’idée selon laquelle la variation de disponibilité des informations au cours de la lecture résulte de l’intervention d’un processus passif de résonance guidé par les chevauchements de traits sémantiques et contextuels des traces mnésiques. Enfin, les résultats montrent que l’ajout d’un modificateur (i.e. adjectif) à l’indice contextuel suffit à augmenter le niveau d’élaboration de la trace en mémoire. L’interprétation des auteurs est que lorsque l’indice contextuel est élaboré, par l’intermédiaire d’un adjectif, une trace plus importante en mémoire est encodée car elle appartient à deux propositions (nom et adjectif) plutôt qu’à une seule. Par conséquent, durant le traitement de la phrase de réintroduction du contexte, le processus de réactivation peut emprunter deux voies, ce qui augmente la probabilité et la vitesse d’activation de cette trace et de ce fait celles des informations relatives au but. Sans l’adjectif, le lecteur accède à l’information requise par une seule proposition.

La première expérience que nous avons réalisée avait pour objectif d’apporter des éléments complémentaires relatifs à deux principaux points qui se dégagent des travaux d’Albrecht et Myers (1998). Premièrement, de façon analogue aux études d’O’Brien et al. (O’Brien, 1987 ; O’Brien & al., 1995 ; O’Brien & al., 1990 ; Rizzella & O’Brien, 1996), les données recueillies par les auteurs indiquent que les effets d’élaboration d’une trace en mémoire sur sa réactivation résulteraient du nombre de propositions avec lesquelles elle est reliée. Dans notre première étude, nous avons donc examiné si la probabilité et la vitesse de réactivation d’une trace en mémoire sont influencées lorsque l’élaboration de cette trace ne varie pas en fonction du nombre de connexions avec les autres propositions mais en fonction de l’attention allouée à la trace lors de son encodage. Deuxièmement, l’étude d’Albrecht et Myers met en évidence des effets de la spécificité du contexte (i.e., phrase de réintroduction du contexte) sur la réactivation des informations antérieures et souligne ainsi l’importance d’étudier plus précisément les caractéristiques des éléments déclencheurs du processus de résonance. Apporter de nouvelles données sur l’influence de la trace à l’origine de la diffusion d’activation constitue ainsi le deuxième objectif de l’expérience présentée ci-dessous.