2.1.5 Discussion et conclusion sur les expériences 1 et 2

L’objectif principal de la première expérience était d’étudier les effets d’élaboration par la connotation sur la réactivation des informations de la représentation épisodique. Cette première expérience a mis en évidence de nombreux résultats contraires à nos attentes et nous a conduit à réaliser une seconde expérience dont l’objectif était de les confirmer. À l’issue de ces expériences, nos données se révèlent cohérentes et nous permettent ainsi de dégager les principaux points qui émergent dans chacune des conditions de contexte étudiées.

La condition de contexte Adjectif-Adjectif, au sein de laquelle l’indice contextuel est toujours constitué du nom et de l’adjectif, permet aux lecteurs de détecter une seule des deux informations contradictoires (i.e. phrases cibles). En effet, les lecteurs présentent des difficultés à intégrer à la représentation préalablement construite, la première information contradictoire lorsque l’indice contextuel est négatif alors que ces difficultés se manifestent sur la deuxième information contradictoire lorsque l’indice contextuel est neutre ou à connotation positive. En d’autres termes, lorsque le signal émane d’une information connotée négativement, les informations relatives au but initial sont en MTD lorsque le lecteur lit la première phrase cible mais ne sont plus actives lors du traitement de la deuxième. À l’inverse lorsque l’origine du signal est une information neutre ou positivement connotée, le lecteur ne dispose pas de ces informations lors du traitement de la première phrase cible mais a accès à celles-ci lors du traitement de la seconde. Ces résultats soulignent donc une tendance des indices de récupération connotés positivement à se comporter de façon similaire à des indices neutres et mettent ainsi en évidence que l’effet de la connotation que nous attendions se produit principalement lorsque l’indice contextuel est négativement connoté. Précisément, les informations connotées négativement semblent engendrer une réactivation plus rapide des informations préalablement traitées. Cependant, les données de la deuxième expérience suggèrent, en parallèle, une réactivation plus forte des informations lorsque les indices sont positivement ou négativement connotés. Ainsi, dans l’ensemble, cette condition de contexte met en avant un effet de la connotation des indices de récupération sur la réactivation des informations de la représentation épisodique. Il semblerait que les informations négativement connotées influencent à la fois la force et de la vitesse de réactivation alors que des informations positivement connotées ne feraient que renforcer les effets obtenus avec des informations neutres.

La condition de contexte Nom-Adjectif a été mise en place principalement dans le but d’examiner si la force du signal émanant d’une information en cours de traitement pouvait dépendre de l’attention allouée au lecteur à cette information. Aussi, seul le contexte de récupération était élaboré par l’ajout de l’adjectif. Dans l’ensemble, les deux expériences indiquent que les lecteurs présentent des difficultés de compréhension lors du traitement des informations incohérentes lorsque l’indice contextuel est positivement et négativement connoté alors qu’un indice contextuel neutre ne semble pas systématiquement permettre aux lecteurs de détecter les contradictions. En d’autres termes, le signal émanant des informations à connotation positive et négative semble être plus fort que celui qui diffuse à partir d’une information neutre. Or, dans cette condition de contexte, l’absence de l’adjectif lors de l’encodage de l’indice contextuel exclut une interprétation de ces résultats en termes de différences dans le degré de chevauchement entre les traces en mémoire. L’idée selon laquelle connoter positivement et négativement l’indice de récupération aurait incité les lecteurs à traiter plus en profondeur cette information semble ainsi constituer une interprétation plus probable. Ainsi, sur la base de cette dernière interprétation, les données de la condition de contexte Nom-Adjectif apportent des premiers arguments en faveur de l’hypothèse selon laquelle la force du signal émanant d’une information en cours de traitement dépendrait de l’attention qui est allouée à celle-ci par les lecteurs. Par ailleurs, cette condition de contexte révèle un effet différentiel des connotations positive et négative sur la réactivation des informations préalablement traitées. En effet, bien que ces deux connotations conduisent à une détection des informations contradictoires par rapport à un indice neutre, les difficultés de traitement engendrées par la réactivation des informations relatives au but initial ne se produisent pas sur les mêmes informations. Les informations relatives au but initial sont disponibles pour les lecteurs lors du traitement de la première information contradictoire lorsque l’indice de récupération est connoté positivement alors que l’accès à ces informations semble effectif seulement lors du traitement de la seconde contradiction lorsque la réactivation résulte du traitement d’une information négativement connotée. À l’inverse des données de la condition de contexte Adjectif-Adjectif, dans la condition de contexte Nom-Adjectif, l’influence de la connotation sur la vitesse de réactivation se manifeste alors lorsque les informations sont positivement connotées. Il semblerait ainsi que les connotations positive et négative favorisent la vitesse de réactivation des informations de la représentation épisodique mais sous des conditions qui sont spécifiques à chacune de ces connotations.

Enfin, les données observées dans la troisième condition de contexte Adjectif-Nom nous suggèrent une absence de réactivation des informations relatives au but initial et ceci quelle que soit la connotation de l’indice contextuel lors de l’encodage. Au regard des résultats de la condition de contexte Adjectif-Adjectif dans laquelle les conditions d’encodage de l’indice contextuel sont identiques, l’interprétation la plus probable est que cette absence de réactivation résulte de la réduction du chevauchement entre les traces en mémoire. Cette interprétation est alors cohérente avec l’idée selon laquelle la réactivation des informations antérieurement traitées dépend du degré de chevauchement entre les traces en mémoire.

Dans l’ensemble, ces deux premières expériences indiquent que connoter positivement ou négativement une information influencerait la vitesse plutôt que la probabilité de réactivation des informations antérieurement traitées. Nous observons ainsi des effets similaires à ceux observés lorsque l’élaboration s’effectue par une augmentation du nombre de présentation ou l’ajout d’un adjectif modificateur. Toutefois, ces effets de la connotation doivent être davantage précisés dans la mesure où l’absence de réactivation des informations dans la condition de contexte Adjectif-Nom révèle que la réactivation des informations de la représentation épisodique dans nos expériences dépend principalement du degré de chevauchements entre les traces. De plus, de nouveaux éléments sont nécessaires afin d’être en mesure de rendre compte de l’effet différentiel des connotations positive et négative observé dans les deux autres conditions de contexte. L’apport d’arguments en faveur de l’hypothèse selon laquelle la force du signal dépendrait de l’attention allouée par les lecteurs aux informations en cours de traitement constitue le deuxième point important qui se dégage de ces expériences. En accord avec les travaux d’Albrecht et Myers (1998), ces deux expériences soulignent ainsi l’importance de s’intéresser plus précisément aux caractéristiques des informations à partir desquelles le signal diffuse lorsque l’on étudie l’accès aux informations textuelles préalablement traitées. Finalement, bien que nos données fournissent quelques éléments de réponse aux hypothèses préalablement émises, la réplication partielle des données d’Albrecht et Myers (1998) demeure un résultat inattendu. En effet, alors que dans la condition de contexte Adjectif-Adjectif, ces auteurs ont mis en évidence un effet d’incohérence sur les deux phrases cibles, nos expériences révèlent que les lecteurs détectent seulement une des deux informations contradictoires (i.e. phrases cibles). En outre, l’absence d’une réactivation des informations relatives au but initial, dans la condition de contexte Adjectif-Nom, observée dans nos expériences diffère de l’étude d’Albrecht et Myers (1998) dans laquelle cette condition de contexte a permis aux lecteurs de détecter la première information contradictoire (i.e., première phrase cible). Une des interprétations possibles pour expliquer cette différence de résultats repose sur l’ordre d’apparition du nom et de l’adjectif composant l’indice contextuel. En effet, à partir de l’enregistrement des mouvements oculaires au cours de la lecture, O’Brien, Raney, Albrecht et Rayner (1997) ont mis en évidence que le signal émanant d’un adjectif modificateur était suffisant à la réactivation de la totalité d’une phrase antérieurement traitée. Selon les auteurs, lors du traitement d’une anaphore constituée d’un nom et d’un adjectif, l’adjectif envoie un signal dès qu’il est encodé. Si cet adjectif est également présent dans la phrase cible à réactiver et que le signal émanant de celui-ci est suffisamment fort alors il peut engendrer la réactivation de la phrase cible avant que le nom de l’énoncé anaphorique ne soit encodé. Or, cette influence de l’adjectif modificateur sur la rapidité d’accès aux informations antérieures ne se manifeste vraisemblablement pas dans nos expériences, dans la mesure où à l’inverse de la langue anglaise dans laquelle l’adjectif est toujours avant le nom, nous avons toujours présenté le nom avant l’adjectif. Néanmoins, si cette interprétation peut rendre compte des principales différences dans la condition de contexte Adjectif-Adjectif, elle ne constitue pas une explication suffisante quant à l’absence de réactivation des informations de la représentation épisodique dans la condition de contexte Adjectif-Nom. L’objectif principal des expériences 3 et 4, présentées dans ce chapitre, était alors d’examiner plus précisément ce point.