2.2.1 Caractéristiques non restreinte et autonome du processus de résonance

2.2.1.1 Divergence théorique relative au caractère non restreint du processus de résonance

L’ensemble des auteurs qui postulent l’intervention d’un processus de résonance s’accorde sur l’idée selon laquelle il permet aux lecteurs d’accéder, au cours de la lecture, aux informations qui sont pertinentes pour le contenu actuel de la MDT (Myers & O’Brien, 1998 ; McKoon, & al., 1996 ; Sanford & Garrod, 1981, 1998 ; Glenberg & Langston, 1992). Toutefois, la caractéristique non restreinte de ce processus fait émerger des points de divergence. En effet, Glenberg et Langston (1992) ont proposé une extension du modèle de Sanford et Garrod (1981) en émettant l’hypothèse selon laquelle le processus de résonance serait guidé par des pointeurs discursifs dont le rôle serait de restreindre la diffusion d’activation vers les informations pertinentes. Les auteurs proposent que les informations du focus explicite pourraient être connectées à celles du focus implicite par des pointeurs discursifs. Ces derniers connecteraient les occurrences représentant le protagoniste au sein du focus explicite aux caractéristiques ou profil général de celui-ci en focus implicite. En d’autres termes, le rôle des pointeurs discursifs serait de diriger le lecteur vers les informations antérieures pertinentes. Ainsi, par définition, les pointeurs discursifs devraient restreindre la phase d’activation et réactiver seulement les informations qui sont pertinentes pour le contenu actuel de la MDT.

L’étude de Cook, Halleran et O’Brien (1998) avait pour objectif de contraster l’approche du traitement du texte basé sur la mémoire qui définit le processus de résonance comme non restreint de l’approche proposée par Glenberg et Langston (1992) au sein de laquelle des pointeurs discursifs ont pour rôle de restreindre la réactivation aux informations pertinentes du scénario. Dans deux premières expériences, les auteurs ont présenté des récits dans lesquels des informations sur un personnage principal, engagé dans une action spécifique (Ken avait décidé de s’inscrire à un cours de boxe), étaient suivies d’une description des caractéristiques de celui-ci qui étaient soit, cohérente (Ken est un homme musclé. Il adore les sports impliquant un contact physique) soit, incohérente (Ken est de petite stature. Il adore les sports sans contact physique qu’il peut pratiquer seul) soit, neutre (Ken se levait toujours tôt le matin et utilisait ce temps pour aller au club de sport. Il préférait les sports en salle) avec l’action effectuée précédemment par le personnage. Suite à cette partie descriptive, une phrase critique était présentée (Ken voulait seulement pratiquer ce type de sports). En fonction de la partie descriptive, cette phrase critique pouvait donc être cohérente, incohérente ou neutre par rapport à l’action cible. Selon l’approche du traitement du texte basé sur la mémoire, lorsque le lecteur encode la phrase critique, un signal devrait être envoyé à l’ensemble de la MLT. L’action cible devrait alors résonner en réponse au signal et être réactivée. À l’inverse, si les lecteurs utilisent des pointeurs discursifs pour restreindre l’accès aux informations antérieures contenues en focus implicite alors l’action spécifique du personnage ne devrait pas être réactivée dans la mesure où par définition, les actions ne sont pas définies comme des informations pertinentes pour le scénario. À partir de ce matériel, les auteurs ont effectué deux types de mesure. Premièrement, les temps de lecture de la phrase critique qui selon le modèle de Glenberg et Langston (1992) ne devraient pas varier en fonction de la caractéristique attribuée préalablement au personnage. Deuxièmement, les participants devaient vérifier soit, immédiatement avant soit, juste après la phrase critique, un énoncé relatif à l’action cible réalisée par le protagoniste. Si l’action spécifique est réactivée, les temps de réponse devraient être plus courts après la phrase critique qu’avant cette même phrase. Les données ne révèlent aucune différence sur les temps de lecture de la phrase critique et indiquent que les lecteurs ne détectent pas la contradiction lorsque l’action cible et le phrase critique sont incohérentes. Parallèlement, des temps de réponse plus longs apparaissent lorsque l’énoncé relatif à l’action cible est présenté avant qu’après la phrase cible. Ce résultat suggère que le traitement de la phrase critique engendre la réactivation de l’action cible. Ainsi, ces données soulignent que la réactivation d’une action incohérente avec les caractéristiques actuellement actives d’un protagoniste ne perturbe pas les traitements. En accord avec le modèle de Résonance (Myers & O’Brien, 1998), ces expériences suggèrent ainsi que toute information réactivée n’est pas nécessairement intégrée au contenu actuel de la MDT. Toutefois, selon Cook et al. (1998), ces expériences ne permettent pas directement de contraster les deux approches, même si les données convergent vers l’idée d’un processus de résonance non restreint. En effet, dans le cadre du modèle de Glenberg et Langston (1992), il semble difficile d’expliquer pourquoi les pointeurs discursifs conduiraient à la réactivation d’une information qui n’est pas par la suite intégrée au contenu actuel de la MTD.

Cook et al. (1998) ont alors réalisé deux nouvelles expériences afin de contraster plus précisément les deux approches et d’apporter des éléments complémentaires relatifs à la distinction entre la réactivation et l’intégration en MDT des informations antérieures. L’introduction des récits utilisés dans ces expériences présentait deux personnages. La partie élaboration qui suivait cette introduction décrivait une caractéristique qui était cohérente (Ken/Mike est un homme musclé. Il adore les sports impliquant un contact physique) ou incohérente (Ken/Mike est de petite stature. Il adore les sports sans contact physique qu’il peut pratiquer seul) avec une action cible réalisée ultérieurement par le premier personnage (Ken avait décidé de s’inscrire à un cours de boxe). Ces caractéristiques (i.e., cohérente et incohérente) étaient attribuées soit, au premier (Ken) personnage soit, au second (Mike). Lorsque les caractéristiques étaient utilisées afin de décrire le second personnage, elles étaient ni cohérentes ni incohérentes avec l’action réalisée par la suite par le premier personnage. La structure des textes expérimentaux utilisés ici permet ainsi de contraster les deux approches sur la question du caractère restreint ou non restreint du processus de résonance. En effet, alors que l’action cible dans les premières expériences pouvait être considérée comme une information pertinente pour l’interprétation des informations de la phrase critique, dans ces expériences, les caractéristiques d’un deuxième personnage ne peuvent être définies comme des éléments pertinents pour l’interprétation des informations relatives à une action réalisée par un premier personnage. Selon l’approche du traitement du texte basé sur la mémoire, la présentation de l’action cible devrait provoquer la réactivation des caractéristiques qu’elles soient utilisées pour décrire le premier personnage ou le second. À l’inverse, selon le modèle de Glenberg et Langston (1992), les caractéristiques devraient être réactivées uniquement lorsqu’elles sont pertinentes par rapport à l’action cible, c’est-à-dire lorsqu’elles sont relatives au premier personnage impliqué dans l’action. Cook et al. (1998) ont mesuré la réactivation des caractéristiques à partir des temps de lecture de l’action cible et des temps de réponse des participants à un énoncé cible qui était présenté soit immédiatement avant soit juste après l’action cible.Les résultats indiquent que les temps de traitement de la phrase décrivant l’action cible du premier personnage sont plus longs lorsque la partie élaboration présente une caractéristique incohérente avec cette action mais uniquement lorsque cette caractéristique est attribuée au premier personnage. Ainsi, contrairement aux expériences précédentes, les lecteurs détectent la contradiction entre l’action cible et les caractéristiques préalablement attribuées au personnage réalisant l’action. Parallèlement, les temps de réponse à l’énoncé cible sont plus courts après qu’avant la présentation de l’action cible et ceci quel que soit le personnage auquel les caractéristiques incohérentes avec l’action cible ont été attribuées. Ces résultats suggèrent que le traitement de l’action cible a engendré la réactivation des caractéristiques présentées dans un texte que celles-ci correspondent ou non au personnage exécutant l’action. Ils soulignent ainsi le caractère non restreint du processus de résonance et apportent de nouveaux arguments en faveur de l’idée selon laquelle seuls les chevauchements de traits entre les traces en mémoire gouvernent le processus de réactivation. Enfin, les différences de résultats qui émergent en fonction des mesures effectuées (i.e., temps de lecture et temps de réponse à un énoncé) confirment que le processus sous-jacent à la récupération des informations en MLT au cours de la lecture opère en deux phases. Une première phase d’activation au cours de laquelle l’ensemble des informations de la MLT résonne en réponse au signal émanant des informations en cours de traitement. Une seconde phase dont le résultat est l’intégration d'une partie des informations préalablement activées au contenu de la MDT.