2.2.2.1.3 Discussion

L’objectif principal de cette troisième expérience était d’apporter des éléments complémentaires en faveur de l’idée selon laquelle la réactivation des informations antérieures est guidée par le chevauchement des traces en mémoire et s’effectue de façon non restreinte. Ces deux caractéristiques du processus de résonance devaient se révéler par deux principaux résultats. D’une part, malgré l’absence de détection des incohérences dans la condition de contexte Adjectif-Nom observée dans les expériences 1 et 2, une réactivation des informations relatives au but initial devait tout de même se produire. D’autre part, la satisfaction ou non du but initial ne devait pas constituer un facteur qui déterminerait cette probable réactivation.

Les données issues de l’épreuve de vérification d’énoncés réalisée au cours de la lecture indiquent que les participants vérifient plus rapidement les énoncés lorsqu’ils sont présentés après la phrase de réintroduction du contexte qu’avant cette même phrase. En d’autres termes, les lecteurs accèdent plus rapidement aux informations relatives au but initial après le chevauchement d’arguments produit par l’indice contextuel. Ce résultat met en évidence que dans la condition de contexte Adjectif-Nom, les informations relatives au but initial sont réactivées par le chevauchement entre les traces en mémoire. Parallèlement, les données révèlent une augmentation des temps de réponses entre les énoncés présentés après la phrase de réintroduction du contexte et ceux présentés après les phrases cibles. Ce résultat suggère que les informations relatives au but initial ne sont pas disponibles pour les lecteurs lors du traitement des phrases cibles et qu’une fois réactivées ces informations n’ont pas été intégrées au contenu de la MDT. Ces premières données nous permettent ainsi de préciser les résultats de la condition Adjectif-Nom dans les deux premières expériences. L’absence de détection des contradictions, précédemment observée, ne résulte pas d’une absence de réactivation des informations antérieurement traitées. L’interprétation la plus probable pour rendre compte du fait que les lecteurs n’ont pas manifesté de difficulté de compréhension est une absence d’intégration au contenu de la MTD des informations relatives au but initial.Deux autres élémentsrenforcent cette interprétation. Premièrement, dans les expériences 1 et 2, les conditions de contexte Adjectif-Adjectif et Nom-Adjectif mettent en évidence des difficultés de traitement lors de la présentation des informations incohérentes. Ces résultats permettent d’écarter l’idée selon laquelle l’absence de détection des contradictions dans la condition de contexte Adjectif-Nom pourrait provenir d’incohérences trop subtiles ou trop faibles pour être détectées par les lecteurs. De plus, l’étude d’Aurouer (2002) indique qu’une information non pertinente pour les traitements en cours peut perturber le processus de compréhension. Il semble alors difficilement envisageable que la présence en MDT d’une information pertinente mais incohérente avec les éléments en cours de traitement n’affecte pas le processus de lecture. Ainsi, ces premières conclusions confirment deux principales hypothèses sous-tendant le modèle de Résonance. Premièrement, les changements de disponibilité des informations au cours de la lecture sont guidés par les chevauchements de traits entre les traces en mémoire. Deuxièmement, en accord avec l’étude de Cook et al. (1998), elles confortent l’idée selon laquelle deux phases sont impliquées dans la récupération des éléments de la représentation épisodique : une phase d’activation et une phase d’intégration. En outre, cette troisième expérience apporte des éléments en faveur du caractère non restreint du processus de résonance dans la mesure où elle révèle que la réactivation des informations relatives au but initial se produit que ce dernier soit antérieurement satisfait ou non. En effet, si la réactivation des informations dépendait de leur pertinence potentielle pour l’interprétation des informations en cours de traitement, il semble peu probable qu’une information relative à un but déjà atteint soit automatiquement réactivée au cours de la lecture.En accord avec l’approche du traitement du texte basé sur la mémoire, l’ensemble de ces données suggère ainsi que seul le chevauchement de traits entre les traces en mémoire gouverne le processus responsable des changements de disponibilité des informations au cours de la lecture.

Enfin, cette expérience complète nos premières données quant à l’influence de la connotation sur la réactivation des informations préalablement traitées. Plus précisément, les temps de vérification sont plus courts lorsque les indices contextuels étaient positivement ou négativement connotés que lorsqu’ils étaient neutres. Autrement dit, connoter positivement ou négativement les informations semblent permettre aux lecteurs d’accéder plus rapidement aux informations relatives au but initial. Ce résultat confirme que les connotations positive et négative influencerait la vitesse de récupération des informations de la représentation épisodique mais il étaye également ceux des expériences précédentes en mettant spécifiquement en avant un effet de la connotation lors de l’encodage des informations. En effet, dans la condition de contexte mise en place dans cette expérience, l’indice contextuel était connoté uniquement lors de l’encodage. En accord avec les expériences 1 et 2, ce résultat suggère ainsi que connoter positivement ou négativement les informations permettrait d’élaborer leur trace en mémoire.

L’objectif principal de cette expérience n’était pas d’étudier les caractéristiques de la représentation élaborée par les lecteurs à l’issue du processus de compréhension. Néanmoins, les données de l’épreuve finale de vérification d’énoncés font émerger deux points qu’il semble important de souligner. Premièrement, l’analyse réalisée sur la proportion de réponses correctes révèle que lorsque le but initial n’est pas satisfait, les participants ont tendance à répondre au hasard sur les énoncés relatifs à celui-ci. Ce résultat suggère que le traitement des phrases cibles semble conduire les lecteurs à supposer que le but initial est satisfait bien qu’ils ne détectent les contradictions au cours de la lecture. Une première interprétation serait de supposer que la simple réactivation des informations relatives au but initial au cours de la lecture ait entraîné la création de connexions entre les informations relatives au but initial et les phrases cibles au sein de la représentation. En effet, dans une étude, Gerrig et McKoon (1998) ont mis en évidence la présence d’associations au sein de la représentation en MLT entre une information réactivée mais probablement non intégrée en MDT (i.e., affaiblissement de disponibilité de cette information suite à sa réactivation) et les éléments en cours de traitement au moment de sa réactivation. L’architecture de traitement proposé par Zwaan et Radvansky (1998) suggère parallèlement une seconde interprétation. D’après ce modèle, la représentation élaborée par les lecteurs une fois toutes les informations textuelles traitées ne correspondrait pas obligatoirement à la représentation construite pas à pas au cours de la lecture, le lecteur étant en mesure de la transformer, notamment par l’ajout d’inférences. Ainsi, notre résultat pourrait également rendre compte du fait qu’à l’issue du processus de compréhension, les lecteurs aient modifié la représentation élaborée au cours de la lecture.

Le deuxième point qu’il semble pertinent de souligner se dégage de l’analyse menée sur les temps de réponses correctes. En effet, les résultats montrent que les lecteurs accèdent plus lentement aux informations relatives au but initial qu’à celles qui référent au second but et ceci même lorsque le but initial est satisfait. Cette différence dans la facilité de récupération entre ces informations au sein de la représentation pourrait simplement s’expliquer par un effet de la distance, les informations relatives au but initial étant présentées au début des textes. Cependant, l’autre interprétation possible est la présence éventuelle d’une différence en termes d’importance entre les informations but présentées dans nos textes. Cette seconde interprétation ainsi que l’influence que pourrait avoir sur nos résultats la présence d’une telle différence dans nos textes seront précisées à l’issue de ce chapitre.

Un des principaux point qui a motivé la réalisation de cette troisième expérience était l’absence de détection des contradictions dans la condition Adjectif-Nom observée lors des premières expériences. Ces nouvelles données révèlent que les chevauchements d’arguments engendrent la réactivation des informations relatives au but initial et s’accordent alors avec les résultats de Cook et al. (1998) et Long et Chong (2001). En effet, cette expérience met en évidence une réactivation initiale des informations relatives au but initial et complète les données des expériences 1 et 2 en suggérant l’absence d’une intégration subséquente de ces informations au contenu de la MDT. Cependant, nos résultats n’apportent aucun élément pouvant directement rendre compte de cette absence d’intégration. Afin d’approfondir ce point, nous nous sommes plus spécifiquement intéressées à la caractéristique autonome du processus de résonance.