2.2.2.2.3 Discussion

L’objectif principal de cette quatrième expérience était de déterminer pourquoi dans la condition de contexte Adjectif-Nom, les informations relatives au but initial réactivées lors de la première étape du processus de résonance, n’étaient pas ultérieurement intégrées au contenu actuel de la MDT. Sur la base de la caractéristique autonome du processus de résonance, nous avions alors émis l’hypothèse selon laquelle l’absence d’intégration devait résulter d’une réactivation insuffisante de ces informations. Les résultats indiquent que les énoncés sont vérifiés aussi rapidement lors du traitement de l’épisode but qu’après la présentation de la phrase de réintroduction du contexte. En d’autres termes, les lecteurs semblent accéder aussi facilement aux informations relatives au but initial lors de leurs premiers traitements et après leur réactivation. Ainsi, ce résultat ne confirme pas l’hypothèse selon laquelle l’absence d’intégration résulterait d’une réactivation trop faible des informations. Même si ces données n’attestent pas directement et ne permettent pas d’expliquer l’absence d’intégration des informations réactivées au contenu de la MDT, celle-ci demeure l’interprétation la plus probable pour rendre compte du fait que les lecteurs n’aient pas détecté les contradictions lors de nos deux premières expériences. Cette expérience permet ainsi simultanément de souligner le caractère autonome du processus de résonance et les limites liées à la définition de cette caractéristique. En accord avec le modèle de Résonance (Myers & O’Brien, 1998), elle indique que la pertinence d’une information pour les éléments en cours de traitement ne détermine pas l’intégration subséquente de ces éléments en MDT. Parallèlement, dans ce modèle, il est proposé qu’une fois que les cycles de résonance cessent, une partie des éléments qui résonnent le plus sont alors considérés comme des éléments actifs, c’est-à-dire intégrés au contenu de la MDT. Or, notre étude suggère que le niveau d’activation d’une information ne constitue pas l’unique facteur qui influence cette intégration et souligne ainsi la nécessité de préciser les critères qui déterminent qu’une information résonne suffisamment pour faire partie des éléments considérés comme actifs. L’étude de Long et Chong (2001) apporte des premiers éléments en soulignant que cette intégration pourrait dépendre des caractéristiques des lecteurs. Les données de ces auteurs révèlent également une absence d’intégration des informations en MDT ne résultant pas d’une réactivation insuffisante mais seulement chez les lecteurs dont le niveau de compréhension est faible.

Cette expérience complète parallèlement nos précédentes données quant au caractère non restreint du processus de résonance et aux rôles des chevauchements de traces en mémoire dans la réactivation des informations. De façon analogue à l’expérience 3, les participants vérifient plus rapidement les énoncés insérés après la phrase de réintroduction du contexte que ceux proposés avant cette dernière et ceci que le but initial soit satisfait ou pas. Ce résultat confirme ainsi la caractéristique non restreinte du processus de résonance dans la mesure où il souligne que le chevauchement d’arguments engendre la réactivation des informations préalablement traitées, indépendamment de leur pertinence pour l’interprétation des informations en cours de traitement. D’autre part, les données révèlent des temps de vérification plus longs avant la phrase de réintroduction du contexte que lors du traitement de l’épisode but ce qui indique que les informations relatives au but initial sont mises en retrait lors du traitement de l’épisode intermédiaire. Elles confortent alors l’idée selon laquelle le chevauchement d’arguments produit par la seconde présentation de l’indice contextuel permet la réactivation des informations stockées au sein de la représentation épisodique.

Cette quatrième expérience révèle un deuxième point qui va à l’encontre de nos prédictions et plus spécifiquement à l’inverse des nos résultats précédents. Les données indiquent que les lecteurs accèdent plus rapidement aux informations relatives au but initial lorsque les indices contextuels sont neutres que lorsqu’ils sont positivement et négativement connotés. Aussi, elles confirment une influence des connotations positive et négative par rapport à une connotation neutre sur la vitesse plutôt que sur la probabilité de réactivation des informations. Néanmoins, l’expérience 3 a révélé que connoter positivement ou négativement les indices contextuels favorisait l’accès aux éléments antérieurement traités alors que les résultats de cette quatrième expérience suggèrent un effet contraire. Parallèlement, nos résultats suggèrent un effet différentiel des connotations positive et négative, la satisfaction ou non du but initial n’influençant pas sa réactivation lorsque l’indice contextuel est négativement connoté alors qu’un indice positivement connoté semble davantage ralentir la réactivation du but initial lorsque ce dernier n’est pas satisfait. Cette influence distincte des connotations positive et négative n’était pas attendue mais a déjà été observée lors des deux premières expériences. Toutefois, les expériences 1 et 2ont révélé une tendance des indices contextuels positifs à engendrer des effets semblables aux indices contextuels neutres alors que cette quatrième expérience indique que la similarité avec les indices neutres apparaît avec les indices contextuels négatifs. L’ensemble de ces données met ainsi en évidence de nombreux effets contradictoires qui ne nous permettent pas de préciser l’influence de la connotation des informations sur la réactivation des éléments de la représentation épisodique.

Enfin, les données de l’épreuve finale de vérification d’énoncés apportent des éléments complémentaires relatifs aux deux principaux points qui ont attiré notre attention lors de l’expérience précédente. Premièrement, nous avons observé une tendance des participants à répondre au hasard aux énoncés qui référaient au but initial lorsque ce dernier n’était pas satisfait. Malgré la suppression de la consigne de fin de lecture, les nouveaux résultats présentent un pattern similaire. Il semblerait ainsi que cette tendance des lecteurs à supposer que le but initial est satisfait ne résulte pas de processus mis en jeu une fois le traitement du texte terminé mais de processus opérant au cours de la lecture. Cette expérience apporte alors des arguments en faveur de l’idée selon laquelle la réactivation des informations relatives au but initial, même en l’absence d’une intégration ultérieure, suffit à la création de connexions entre ces dernières et les éléments fournis par les phrases cibles. Toutefois, les analyses réalisées sur l’ensemble des données des expériences 3 et 4 indiquent que la présence ou non de la consigne de fin de lecture influence principalement les performances relatives aux énoncés portant sur le but initial. En effet, la présence de la consigne engendre une proportion de réponses correctes plus importante s’accompagnant parallèlement d’une récupération plus lente. Aussi, cette expérience apporte également des éléments en faveur de l’hypothèse selon laquelle le lecteur modifierait sa représentation à l’issue du processus de lecture. Une des interprétations possibles serait alors de supposer qu’une fois le processus de lecture terminé, les lecteurs transforment leur représentation sur la base des patterns d’activation encodés au cours de la lecture au sein de la représentation. Le deuxième point qui a attiré notre attention lors de l’expérience précédente était la présence d’une récupération des informations relatives au second but plus rapide que celle des éléments référant au but initial même lorsque ce dernier était satisfait. À l’inverse, les données actuelles indiquent que cette différence se manifeste uniquement lorsque le but initial n’est pas satisfait. Néanmoins, alors que l’analyse réalisée sur la proportion de réponses correctes n’avait pas révélé de différence dans la proportion de réponses correctes entre ces deux types d’énoncés lorsque le but initial était satisfait lors de l’expérience 3, les résultats de l’expérience 4 montrent des performances plus faibles pour les énoncés relatifs au but initial que pour les énoncés référant au second but. Ainsi, comme nous l’avions déjà souligné lors de l’expérience 3, il semblerait que l’importance attribuée par les lecteurs aux deux informations but présentées dans nos textes ne soit pas équivalente. Précisément, les résultats suggèrent que le rôle du but initial dans le déroulement du récit semble secondaire par rapport au rôle attribué par les lecteurs au second but. Les différences observées entre les expériences 3 et 4, sur les énoncées relatifs au but initial, pourraient alors refléter une différence dans les stratégies mises en place par les participants pour vérifier ces informations. Les participants de l’expérience 3 auraient favorisé la précision de la réponse au désavantage de la rapidité alors que ceux de l’expérience 4 auraient adopté une stratégie inverse.

Au regard des résultats que nous avons obtenu à l’épreuve de vérification d’énoncés effectuée au cours de la lecture, la présence ou non d’une telle différence entre les informations but dans nos textes est un point fondamental. En effet, les expériences 3 et 4 ne révèlent aucune différence dans la réactivation des informations relatives au but initial en fonction de son statut, c’est-à-dire de son atteinte ou non, et ceci quel que soit le moment de la lecture où l’accès à ces informations a été testé. Ce point constitue un argument en faveur de la caractéristique non restreinte du processus de résonance et plus largement de l’approche du traitement du texte basé sur la mémoire. À l’inverse, dans l’approche du traitement du texte basé sur les explications (Graesser & al., 1994 ; Langston & Trabasso, 1998 ; Lutz & Radvansky, 1997 ; Magliano & Radvansky, 2001), il est supposé que la réactivation des informations relatives aux buts d’un protagoniste résulte de l’intervention de processus stratégiques guidés par le principe de recherche des explications. En effet, dans cette approche, les informations relatives aux buts du protagoniste occupent une place fondamentale et spécifique, et leurs changements de disponibilité au cours de la lecture dépendraient principalement de leur statut (i.e., satisfait ou non satisfait) au sein de la hiérarchie des buts. Le fait que l’information but à récupérer dans les récits que nous avons utilisés soit considérée par les lecteurs comme une information but a priori secondaire permet également une interprétation de nos résultats au sein de l’approche du traitement du texte basé sur les explications. Afin d’approfondir ce dernier point et de différencier plus précisément ces deux approches du traitement du texte, l’étude de l’accès aux informations but au cours du processus de compréhension constitue l’axe principal du troisième chapitre.