3.2.2.2.3 Discussion

Cette cinquième expérience a été réalisée afin d’examiner si le rôle secondaire du but initial dans les textes que nous avons utilisés lors des expériences 3 et 4 pouvait rendre compte des différences entre nos résultats et ceux de Lutz et Radvansky (1997). Malgré les modifications effectuées sur notre matériel, nos données restent en accord avec l’approche du traitement du texte basé sur la mémoire. En effet, l’épreuve de vérification d’énoncés proposée aux lecteurs au cours de la lecture révèle des temps de réponse plus courts après le traitement de la phrase de réintroduction du contexte qu’avant cette même phrase. Ce résultat peut conduire à deux interprétations. Premièrement, le chevauchement d’argument produit par l’indice contextuel engendre la réactivation des informations relatives au but initial qui sont alors plus disponibles pour les lecteurs. Deuxièmement, l’augmentation de disponibilité du but initial résulte de la satisfaction du second but. Sur la base des travaux de Huitema et al. (1993), qui ont montré que l’insertion d’un but non relié engendrait un délai dans la réactivation d’un but initial par rapport à l’insertion d’un but causalement relié, l’apparition d’un effet similaire dans notre expérience constitue une interprétation alternative. Toutefois, le fait que ce changement de disponibilité des informations relatives au but initial se manifeste quel que soit son statut (i.e. satisfait ou non satisfait) permet d’écarter la seconde interprétation. Par conséquent l’idée selon laquelle la réactivation des informations relatives au but initial résulte du chevauchement de trace produit par l’indice contextuel demeure l’interprétation la plus probable. Parallèlement, les données relatives aux temps de lecture des phrases cibles soulignent la validité des modifications que nous avons effectuées. En effet, la présence d’une augmentation des temps de traitement sur la seconde phrase lorsque le but initial n’est pas atteint indique que les lecteurs ont détecté la contradiction. Ainsi, à l’inverse des expériences 1 et 2, ce résultat suggère que les informations relatives au but initial font partie du contenu de la MDT lors du traitement de la seconde phrase cible et perturbent la mise à jour de la représentation. Il constitue alors un nouvel argument en faveur de l’idée selon laquelle dans les expériences 1 et 2, l’absence de détection des contradictions dans la condition Adjectif-Nom résulte d’une absence d’intégration des informations réactivées au contenu de la MDT.

Par ailleurs, bien que nos données indiquent que la réactivation des informations relatives au but initial repose sur les chevauchements d’arguments, nous observons aucune influence de la connotation des indices contextuels. Cette absence d’une influence de la connotation des indices de récupération, par rapport aux expériences précédentes, pourrait s’expliquer par l’augmentation du niveau d’élaboration du but initial. En effet, les études qui ont simultanément examiné les effets de la distance et du niveau d’élaboration d’une trace sur sa récupération ultérieure ont mis en évidence que les effets de distance disparaissaient lorsque l’information à récupérer était élaborée (O’Brien & al., 1995 ; O’Brien & al., 1990 ; Rizzella & O’Brien, 1996). Ainsi, de façon analogue à la distance, une interprétation possible serait alors de supposer que la disparition de l’influence de la connotation résulte de l’élaboration du but initial. Parallèlement, les données relatives aux temps de lecture des phrases cibles ne révèlent pas non plus d’effet de la connotation des indices contextuels sur la vitesse de réactivation des informations relatives au but initial comme l’ont suggéré les expériences 1 et 2. Toutefois, lors de ces expériences, d’une part, aucun effet n’était apparu dans la condition de contexte mise en place dans cette cinquième expérience et d’autre part, cette influence dépendait de la condition de contexte (i.e., Adjectif- Adjectif et Nom-Adjectif). Il est alors difficile de déterminer si cette absence d’influence découle des changements opérés sur l’information à récupérer ou provient simplement de la condition de contexte étudiée ici.

Enfin, deux principaux points relatifs à l’épreuve finale de vérification d’énoncés nous intéressaient. D’une part, examiner si les modifications apportées à notre matériel permettaient aux lecteurs de représenter plus précisément les informations relatives au but initial. Les données ne montrent aucun effet du renforcement du but initial sur sa représentation à l’issue de la lecture des récits. En effet, les participants continuent à commettre plus d’erreurs sur les énoncés relatifs au but initial par rapport aux énoncés référant au second but ainsi qu’aux énoncés contrôle même lorsque le but initial est satisfait. Le fait que ce pattern se produise également avec les énoncés contrôle nous permet d’éliminer un effet lié à la distance dans la mesure où ces derniers étaient relatifs à des informations présentées avant l’introduction du but initial (i.e. première ou deuxième phrase des récits). De plus, la différence entre les deux informations but se retrouve également au niveau de la facilité d’accès, les temps de réponse aux énoncés relatifs au but initial étant plus longs que ceux des énoncés portant sur le second but. Bien que ces données soient similaires à celles des expériences 3 et 4 et aillent à l’encontre de nombreux travaux qui montrent que les informations relatives à un but sont mieux représentées et plus facilement accessibles en mémoire par rapport à des informations neutres, l’interprétation selon laquelle le but initial reste un énoncé bras-mort semble peu probable. En effet, outre la détection des incohérences au cours de la lecture, la comparaison entre les données recueillies lors des expériences 3 et 5 apporte également des arguments, les résultats de cette comparaison indiquant que seuls les énoncés relatifs au but initial entraînent des différences entre les deux expériences. De cette comparaison émerge également un résultat qui nous intéressait particulièrement. Précisément, comme nous l’avions envisagé, les données montrent que la tendance des participants à considérer le but initial comme atteint lorsqu’il ne l’est pas est plus importante dans cette dernière expérience qu’elle ne l’était dans l’expérience 3. Ce résultat est cohérent avec l’apparition de la détection des incohérences au cours de la lecture ainsi qu’avec l’augmentation des temps de réponse des énoncés relatifs au but initial de l’expérience 3 à l’expérience 5. En effet, la détection des incohérences suggère la présence conjointe en MDT des informations relatives au but initial et des informations contradictoires et implique ainsi la création de connexion entre ces informations. Lorsqu’à l’issue de la lecture, les participants sont interrogés sur les informations relatives au but initial, ils sont à nouveau confrontés à la contradiction ce qui pourrait rendre compte de l’augmentation des temps de réponses. De plus, le fait que les lecteurs utilisent préférentiellement la dernière information rencontrée (i.e., phrases cibles) est compatible avec l’étude de Tapiero et Otero (1999) dans laquelle des résultats similaires ont été obtenus à partir de questions de compréhension portant sur des informations contradictoires introduites au sein de textes scientifiques.

En résumé, trois principaux points se dégagent des données obtenues dans cette cinquième expérience. Premièrement, nos résultats indiquent que les changements de disponibilités des informations relatives au but du protagoniste au cours de la lecture sont guidés par les chevauchements d’arguments. Parallèlement, la réactivation de ces informations but ne dépend pas de leur statut (satisfait vs non satisfait) c’est-à-dire qu’elle se produit indépendamment de leur pertinence pour l’interprétation des informations subséquentes du texte. Ainsi, cette expérience étend nos précédentes données dans la mesure où elle confirme deux principales caractéristiques du processus de résonance : d’une part, le rôle fondamental joué par les chevauchements de traces entre les informations en cours de traitement et celles stockées en MLT et d’autre part, la caractéristique non restreinte ou dénué d’intelligence de ce processus. Elle apporte par conséquent de nouveaux arguments en faveur de l’approche du traitement du texte basé sur la mémoire. Le deuxième point important de cette expérience est l’apparition de la détection des incohérences par les lecteurs. Ce résultat était prédictible sur la base des deux approches. D’après le modèle de Résonance (Myers & O’Brien, 1998), il s’explique par l’augmentation du nombre de propositions avec lequel le but initial est relié. Selon l’approche du traitement du texte basé sur les explications, l’appartenance du but initial à la chaîne causale du récit peut rendre compte de l’apparition de cet effet. Même si nos données actuelles convergent vers la première interprétation, elles ne permettent cependant pas d’écarter la seconde. Ce point est plus précisément discuté et a testé au sein des expériences 6 et 7 présentées ci-après.Enfin, l’absence d’une l’influence de la connotation des indices contextuels sur la vitesse de réactivation des informations préalablement traitées constitue le dernier point soulevé par cette cinquième expérience. Les expériences 6 et 7 visaient également à apporter des éléments nous permettant de tester l’hypothèse selon laquelle cette disparition de l’influence de la connotation résulterait de l’augmentation du niveau d’élaboration des informations relatives au but initial.