CONCLUSION

Construire et mettre à jour un modèle de situation cohérent requiert d’accéder aux informations pertinentes du discours stockées en MLT au cours du processus de compréhension. Le processus sous-jacent à la réactivation des informations discursives pertinentes, a été défini sous le terme de processus de résonance, processus né de l’approche du traitement de texte basé sur la mémoire. Notre objectif principal, tout au long de cette thèse, a été d’étudier certaines des caractéristiques de ce processus et de montrer, en accord avec cette approche du traitement de texte basé sur la mémoire, que la compréhension et la mise à jour pouvaient se définir comme un ‘« appariement de patterns ’» (Sanford & Garrod, 1981, 1998) et non comme une activité de résolution de problème (Graesser & al, 1994). Nous avons présenté les principaux modèles de compréhension qui rendaient compte soit de manière stratégique, soit de manière automatique, des changements de disponibilité des informations en MLT. Les différents travaux que nous avons réalisés ont montré que les changements de disponibilité des éléments pertinents durant la lecture sont sous-tendus par le processus de résonance, processus mnésique hautement automatique caractérisé par son aspect non restrictif et autonome.

Nous avons confirmé la caractéristique automatique du processus de résonance. Ainsi, nos données ont montré que les changements de disponibilité des informations durant la lecture sont guidés par les chevauchements de traits sémantiques et contextuels entre les traces en mémoire. De plus, le statut du but (satisfait et non satisfait), c’est-à-dire la pertinence des éléments stockés en MLT pour l’interprétation des informations en cours de traitement influence ni leur réactivation ni leur intégration subséquente au contenu de la MDT et de ce fait, le processus de résonance apparaît comme non restreint et autonome. Enfin, les différences de résultats qui émergent en fonction des mesures effectuées (i.e., temps de lecture et temps de réponse aux épreuves de vérification d’énoncés) ont corroboré l’idée selon laquelle le processus de résonance opère en deux phases. Une première phase d’activation au cours de laquelle l’ensemble des informations de la MLT résonne en réponse au signal émanant des éléments en cours de traitement et, une seconde phase d’intégration dont le résultat est l’intégration d’une partie des informations préalablement réactivées au contenu de la MDT.

Concernant les phases d'activation et d'intégration du processus de résonance, Myers et O’Brien (1998) postulent qu’une partie des éléments à forte résonance est intégrée au contenu de la MDT. En accord avec cette hypothèse, nos données soulignent d’une part, que la pertinence d’une information ne détermine pas son intégration au contenu de la MDT et d’autre part, que le degré de chevauchement entre les traces en mémoire influence davantage la probabilité d’intégration des informations réactivées au contenu de la MDT que la phase initiale de résonance. Toutefois, elles suggèrent parallèlement que cette intégration ne dépend pas uniquement du niveau de résonance de cette information. Déterminer les facteurs qui guident cette intégration apparaît comme un axe de recherche nécessaire et différentes études devront être proposées pour étudier les caractéristiques des informations définies comme les éléments à forte résonance (nature des informations et nombre) ainsi que les caractéristiques situationnelles qui guident leur intégration (caractéristiques du texte, du lecteur ou des deux). Les résultats issus des expériences 1 et 2 montrent que la force du signal pourrait dépendre de l’attention allouée par les lecteurs à l’information à partir de laquelle il émane. Ceci pourra constituer un premier axe de recherche pertinent.

Les effets que nous avons observés sur la connotation de l'indice de récupération apportent parallèlement de nouveaux éléments relatifs à la phase d'activation. Ils indiquent que connoter positivement ou négativement une information permet d’élaborer sa trace en mémoire et influencerait davantage sa vitesse que sa probabilité de réactivation. Toutefois, nos trois dernières expériences suggèrent que cette influence de l’élaboration par la connotation disparaît lorsque le nombre de propositions à partir desquelles l’information à récupérer peut être contactée augmente. Une interprétation possible serait que les activations qui diffusent vers l'information but proviennent de multiples traces en MLT parmi lesquelles l'indice contextuel connoté. Ainsi, ce qui résulte de l’intervention du processus de résonance serait le reflet de l’interaction entre les informations en cours de traitement et l’ensemble des informations pertinentes de la représentation textuelle stockée en MLT.

L’ensemble des recherches réalisées dans cette thèse atteste de la pertinence de la prise en compte de ce processus mnésique hautement automatique pour expliquer la construction et la mise à jour du modèle de situation des lecteurs. Cependant, les données que nous avons recueillies nécessitent d’être confirmées et approfondies, et nous orienterons nos futurs travaux selon deux axes principaux. D’une part, il nous semble important de développer les études relatives au rôle des chevauchements d’arguments dans la réactivation des informations relatives au(x) but(s) du protagoniste dans un récit. En effet, l’étendue de la portée du processus de résonance ne pourra être mise en évidence que si les chevauchements d’arguments engendrent effectivement l’intégration d’un but initialement atteint au contenu de la MDT même lorsqu’il n’est pas pertinent pour l’interprétation des éléments en cours de traitement.D'autre part,la représentation élaborée est le résultat de l'interaction entre les informations textuelles et les connaissances antérieures du lecteur qu’il active en lien avec les informations traitées (van Dijk & Kintsch, 1983). Rendre compte de la construction d’un modèle de situation cohérent nécessite alors de s’intéresser à l’intégration des connaissances du lecteur au cours de la lecture. C’est dans cette perspective que nous développons avec le Professeur O’Brien de l’Université du New Hampshire, un projet de recherche sur l’étude de la production et de l’intégration des inférences prédictives au cours de la lecture. En effet, les travaux qui se sont centrés sur l’intégration des connaissances du lecteur aux informations du texte mettent en avant la nécessité de distinguer deux types d’inférences : les inférences de cohérence, nécessaires au processus de compréhension et les inférences élaboratives que le lecteur produit pour ajouter des éléments d’informations complémentaires à ceux présentés dans le texte. Puisque le modèle de Résonance, et plus largement l’approche du traitement du texte basé sur la mémoire, émet l’hypothèse selon laquelle le traitement d'une information engendre la résonance de l'ensemble des informations en MLT, ces inférences devraient être produites via le processus de résonance. Par ce processus, les structures de connaissances antérieures deviendraient disponibles dues à un amorçage de bas niveau (Albrecht & O’Brien, 1993 ; Myers & O’Brien, 1998). Les concepts et propositions de la représentation discursive et de la base de connaissances du lecteur résonneraient en fonction de leur degré d’appariement et de ces activations multiples émergeraient ainsi une inférence permettant au lecteur d'intégrer ses connaissances aux informations textuelles.

En conclusion, nousapportons de nouveaux arguments en faveur de l'idée selon laquelle le lecteur accède rapidement et facilement aux informations textuelles antérieures requises pour l'intégration des éléments de la phrase en cours de traitement, par un processus automatique de résonance. Nous avons mesuré conjointement les activations qui se produisent au cours de la lecture et le contenu de la représentation finale élaborée en mémoire. Nos résultats montrent que la réactivation d’une information au cours de la lecture, même en l’absence d’une intégration au contenu de la MDT, engendre la création de connexions entre cette information et les éléments en cours de traitement. Parallèlement, les lecteurs modifient le contenu de leur représentation à l’issue du processus de compréhension. Une des interprétations possibles serait alors de supposer qu’une fois le processus de lecture terminé, des transformations s’opèrent sur la base des patterns d’activation encodés au sein de la représentation durant le traitement du texte. La prise en compte du décours temporel du processus de résonance est donc essentielle et doit être poursuivie pour rendre compte des différentes étapes du processus de compréhension.