Première partie :
La fiction Romanesque

‘L’œuvre littéraire ne peut, par nécessité de sa nature, dire une chose à la fois : mais deux au moins qui s’accompagnent et se mêlent sans qu’on doive les confondre. 70

La critique littéraire du XXe siècle a eu le mérite de souligner l’importance de l’étude des structures composantes du texte. Entre autres, elle nous a enseigné à considérer les personnages des romans non pas comme des êtres figés sur le papier, mais comme des « actants » en mouvement. On ne juge plus les héros des romans simplement pour ce qu’ils sont, mais on prend en compte essentiellement ce qu’ils font. La catégorie du « faire » est venue devancer celle de « l’être », quant à son importance pour le critique. L’intrigue romanesque est étudiée comme un chemin accompli par le ou les héros entre deux états différents de leur être. Une situation de manque caractérise la position initiale des personnages et tous leurs efforts entrepris tendent à combler, sinon à détourner, ou à transformer ce manque.

Dans cette perspective, l’étude du parcours narratif des personnages constitue un premier niveau de lecture incontournable. Par conséquent, nous avons choisi de commencer notre étude par l’examen approfondi des parcours des héros qui se dessinent dans notre corpus et qui constituent le support naturel des discours idéologiques. Il conviendra dans un premier temps de circonscrire le manque initial qui caractérise nos héros et de voir s’il y a des ressemblances d’un roman à l’autre. Tous les critiques sont d’accord pour affirmer le caractère ambigu des premiers romans de la littérature algérienne de langue française, mais les raisons avancées comme source de cette ambiguïté ne sont pas les mêmes. Pour certains, l’explication se trouve dans les désirs avoués ou cachés des protagonistes et des romanciers, c’est le «‘ double désir du Même et de l’Autre’  » 71 qui serait à l’origine des ambiguïtés. D’autres préfèrent parler de «‘ double discours’  » 72 , ou encore de «‘ compromis discursifs et impasses du mimétisme »’ 73 . Pour cette première partie de notre étude, nous allons essayer de voir quel est le désir qui déclenche la quête au niveau de l’histoire. Quel est le manque initial que les protagonistes aimeraient combler ? En bref, que cherchent ces premiers héros ? Existe-t-il un «  manque type », clairement définissable, qui caractériserait l’ensemble des œuvres en question ? Dans quelle mesure ce manque est-il explicite ? Est-il nommé, est-il reconnu par le sujet de la quête ? Et finalement, arrive-t-on à combler le manque à travers la fiction romanesque ou reste-on toujours dans cette situation frustrante où l’objet de la quête n’est jamais atteint ?

Notes
70.

P. MACHEREY, Pour une théorie de la production littéraire, Paris, F. Maspero, 1980, p. 120.

71.

J. DEJEUX, « Le double désir du Même et de l’Autre chez les romanciers de langue française de 1920 à 1945 » in Actes du congrès mondial des littératures de langue française, Padoue, mai 1983.

72.

LANASRI, Ahmed, DNR. La littérature algérienne de l’entre-deux-guerres, genèse et fonctionnement, Publisud, 1995, p. 343.

73.

MILIANI, Hadj, Compromis discursif et impasses du mimétisme dans « Zohra la femme du mineur » de Hadj Hamou Abdelkader (1891-1953), Oran, Centre de Recherche et d’Information Documentaire en Sciences Sociales, polycopié, 1983, 37 p.