III. 2. L’appel du retour

III. 2. 1. Les personnes

Dans le chapitre précédent, nous sommes arrivés à la conclusion que le parcours romanesque des héros et l’histoire même des romans disaient le contraire de ce qui était avancé dans le discours idéologique. Les auteurs des romans avaient beau essayer d’adopter le discours idéologique étranger, les personnages en action avaient beau essayer de désirer et d’épouser l’étrangère, la thèse de l’assimilation restait toujours vouée à l’échec. Dans le chapitre qui suit, nous allons tenter de répondre au pourquoi de cet échec, au pourquoi de cette ambiguïté pathologique que nous retrouvons dans cette production littéraire. Il nous semble évident que l’intérêt des écrits présentés se trouve en grande partie dans la recherche identitaire qu’accomplissent, à travers la création littéraire, les auteurs de ces œuvres. La situation d’énonciation inconfortable des auteurs, leur propre assimilation plus ou moins bien réussie au système colonial en place et la vision de l’avenir qu’ils avaient, sont autant d’éléments qui se reflètent d’une manière plus ou moins directe dans leurs œuvres. Ainsi, l’ambiguïté des romans est à l’image de la situation existentielle dans laquelle évoluent leurs auteurs. Ces derniers sont attirés par la cité française mais, en même temps, restent très attachés aux valeurs de l’islam et à un certain ensemble de traits culturels propres aux Arabes et aux Berbères de l’Algérie. Dans l’introduction de ce travail, nous avons déjà souligné l’aspect novateur et exclusif du travail des intellectuels algériens pendant la période de l’entre-deux-guerres. Les romans étudiés constituent l’une des expressions, entre beaucoup d’autres, de ce travail de précurseur dans la formulation de l’identité nationale algérienne.

Toute identité, qu’elle soit nationale ou personnelle, peut être comparée à une pièce de monnaie. Sur l’un des côtés on trouve l’ensemble des caractères de la personne qui font qu’elle est reconnue comme telle sans confusion avec d’autres. Cet ensemble est formé de beaucoup d’éléments : les origines, la langue, la religion, les mœurs, les traditions, le physique, etc. Quelles que soient les différences dans le niveau de conscience des personnes, chacun est en possession de tels éléments même sans en être conscient. L’autre côté de la pièce de monnaie est constitué par un ensemble de traits plus ou moins cohérents que la personne se construit de manière consciente dans le but de pouvoir afficher une identité qu’elle aura choisie. Nous pouvons donc faire une distinction entre les deux identités d’une même personne ou d’un même peuple : côté pile, nous avons l’identité originelle et, côté face, nous avons l’identité construite. Il est évident que les deux côtés de cette pièce peuvent se ressembler, et c’est souvent le cas. Mais il est des occasions où d’étranges distorsions, des contradictions et des oppositions se rencontrent sur la même pièce. Plus pile et face se ressemblent, plus la personne ou la nation se développe harmonieusement. Plus les deux côtés sont différents, et plus nous nageons dans l’ambiguïté et le malaise : l’existence de la personne ou de la nation est alors problématique, voire schizophrénique.

Les essais politiques, les différents articles de presse et les diverses interventions publiques de la part des Musulmans dans l’Algérie coloniale reflètent trop souvent une importante différence entre l'identité originelle et l’identité construite 235 . Cette constatation est également valable pour une partie des écrivains coloniaux qui ont accompli, dans les premières décennies du XXe siècle, une tentative consciente de formation d’une identité collective spécifique à l’Algérie française 236 . L’affirmation d’une identité distincte de celle des autres composantes de la société algérienne caractérise l’ensemble des œuvres intellectuelles de cette période de l’entre-deux-guerres. Il nous semble tout à fait normal de retrouver, dans les romans de notre corpus, ce même désir d’affirmation de soi, accompagné et parfois occulté par l’ambiguïté dont nous venons de parler. Dans le chapitre qui suit, nous allons essayer de déceler les signes évidents d’une identité qui cherche les moyens de son expression et qui est en train de se former. Le discours idéologique de l’assimilation imprègne le texte littéraire et nous assistons à une tentative forte de représentation de l’identité construite. Mais l’identité originelle ne peut être complètement occultée et notre tâche est précisément de rechercher ses manifestations aussi bien au niveau de l’histoire qu’au niveau du récit.

Dans cette perspective, nous allons de nouveau recourir au schéma actantiel de Greimas pour étudier cette fois-ci l’opposition qui existe entre les adjuvants et les opposants aux quêtes entreprises par les héros. A la suite des chapitres précédents de notre travail et des conclusions que nous avons faites, nous sommes tentés de laisser de côté, pour cette fois, le sujet de la quête car il est, dans la plupart des cas, un acteur idéologiquement surdéterminé. C’est essentiellement à travers lui que l’auteur du roman tente consciemment la mise en pratique de l’identité construite. Cette surdétermination idéologique caractérise beaucoup moins les adjuvants et les opposants du programme narratif qui constituent ainsi le lieu d’expression privilégié de l’identité originelle. Certes, les personnages qui remplissent la fonction actantielle d’adjuvant ou d’opposant manquent souvent d’épaisseur psychologique et leur description reste très superficielle. Mais cette description superficielle rend bien compte justement par sa « simplicité », des véritables clichés et stéréotypes de l’époque. Ces acteurs apparaissent dans un moment de création beaucoup moins réfléchi, moins construit et donc plus inconscient que le moment où l’auteur est en train d’élaborer le sujet central de l’action qui sera censé représenter la thèse de l’assimilation. Nous allons donc poursuivre avec l’étude de la fonction d’opposant et d’adjuvant de la quête et des acteurs qui remplissent ces fonctions actantielles dans les romans étudiés.

Pour commencer, nous avons pensé utile de donner pour chaque oeuvre une liste schématique des acteurs qui remplissent la fonction d’opposant et d’adjuvant à la quête du personnage central. Dans nos romans la représentation de l’Algérie de l’entre-deux-guerres se réalise toujours à travers une tendance dichotomique très forte où la ligne de démarcation entre les catégories du Bien et du Mal est toujours très nette. Ainsi, lorsqu’on cherche les ressemblances significatives entre les acteurs qui prennent en charge une fonction actantielle donnée, il est relativement simple de trouver à chaque fois des paires qui fonctionnent conjointement et qui s’opposent entre elles, tant au niveau de la fonction actantielle, qu'au niveau de la fonction interprétative. Dans la liste qui suit nous avons donc à chaque fois une paire dont l’opposition correspond à celle d’opposant adjuvant dans le schéma actantiel. Pour chaque roman, nous avons placé en tête de la liste les acteurs qui correspondent à un personnage 237 , puis les acteurs qui correspondent à un espace, et finalement ceux qui correspondent à une idéologie, un sentiment ou une idée abstraite.

Ahmed Ben Mostapha, goumier

  • Ben Kouider ↔ le capitaine Driot
  • officier français 1. ↔ officier français 2.
  • la prison ↔ l’armée
  • la solitude ↔ l’amie lointaine de Paris

Bou-el-Nouar

  • le père Boudiaf ↔ la mère Fatma
  • Khadoudja, la seconde épouse du père, Mina, sa femme arabe ↔ Georgette
  • Georgette au moment de leur séparation ↔ Georgette qui se marie avec lui
  • les Français d’Algérie ↔ les Français de France, le couple Fontane, M. Durtin
  • l’école coranique ↔ l’école française, la Zitouna
  • la solitude ↔ la maison paternelle
  • l’espace de l’Algérie française ↔ l’espace de la France

L’objet de cette quête est assez explicite et il est présenté avec plus de cohérence que l’objet du premier roman de notre corpus. Si dans la première œuvre l’armée est le lieu par excellence du rapprochement, ici, comme le plus souvent dans les littératures francophones, c’est l’école qui fournit le cadre où se produit le mélange culturel et le rapprochement entre les mondes différents. Une grande différence à signaler entre Mohamed Ben Cherif et Bou-El-Nouar, c’est que le second, contrairement au premier, devient étranger dans son propre milieu d’origine pour lequel il voulait lutter et se sacrifier à travers une action politique, culturelle et sociale. Face à la solitude qui est l’opposant commun de leur programme narratif, Bou-el-Nouar a la faveur de plusieurs adjuvants réels qui sont originaires des deux bords. On pourrait dire, qu’à travers la fiction littéraire, l’auteur met en œuvre tous les éléments nécessaires au succès de la quête : les adjuvants ne manquent pas mais leur présence et leur bonne volonté restent insuffisantes et l’objet de la quête sera toujours loin du héros. Il arrive à se rapprocher de la culture et de la société française en général, mais son programme narratif qui a pour but l’amélioration des conditions de vie de ses coreligionnaires ne pourra jamais se réaliser. La sanction qui clôture son action n’est guère plus positive que celle qu’a connue Ahmed Ben Mostapha. Incompréhension et rejet des deux bords, et finalement l’exil comme dernière solution pour tenter de sauvegarder le bonheur de son mariage. Cet exil signifie en même temps l’abandon des grands principes pour lesquels il s’était engagé dans la bataille de la vie.

Zohra, la femme du mineur

Pour la quête entreprise par Zohra :

  • Méliani, Grimecci, Thérèse, Rosette ↔ Aïcha, Khaddoudja,
  • les chrétiens, les juifs ↔ les musulmans
  • les cafés ↔ la maison
  • l’alcool ↔ la prière
  • le mélange des races ↔ l’homogénéité de la société musulmane

Ou selon un autre schéma actantiel du même roman qui s’articule autour de Méliani :

  • Grimecci qui l’entraîne vers l’alcool ↔ le Grimecci sans préjugés qui se lie d’amitié avec lui
  • Thérèse, Rosette ↔ Zohra
  • les cafés ↔ la maison
  • l’alcool ↔ la prière

La quête de Zohra et celle de Méliani ne peuvent coexister au sein du même couple ; leur opposition viscérale mène au divorce demandé par la femme. Ce qui frappe lorsqu’on compare les listes des opposants et des adjuvants, c’est que, malgré cette opposition très forte entre l’objet de la quête des deux personnages, les opposants qui se lèvent sur leur chemin sont sensiblement les mêmes. Grimecci, Thérèse et Rosette, les cafés et l’alcool, sont en fin de compte tous des opposants, et pour Méliani, et pour Zohra. De même, du côté des adjuvants nous trouvons pour les deux la maison et la prière. En effet, au début du roman lorsque Méliani mène encore une vie « honnête », lorsqu’il fait encore ses prières, qu’il ne s’attarde pas dans les cafés entre la mine et la maison, il est encore respecté et sa tentative d’assimilation semble être possible dans la dignité et l’égalité des rapports. La prière et la maison familiale contribuent à la valorisation positive de la personne et cette valorisation peut contribuer au succès de la quête.

Mamoun ou l’ébauche d’un idéal

  • M. Robempierre ↔ Mme Robempierre
  • Barcelonard, Boucebsi ↔ M. Rodomsky, De Lussac
  • la ville ↔ le bled
  • les cafés ↔ l’école
  • la débauche ↔ les études

El Euldj Captif des Barbaresques

  • les Barbaresques, les autres prisonniers chrétiens ↔ Zineb, Baba Hadji, Youssef
  • le bagne ↔ la maison de Baba Hadji
  • la religion chrétienne ↔ l’Islam
  • la conscience ↔ l’oubli

Cette liste est établie selon un schéma actantiel très subjectif car on pourrait considérer que le véritable objet de la quête n’est pas l’assimilation à la société musulmane de l’Alger du XVIe siècle, mais que le désir profond de Bernard Ledieux est de retrouver la vraie liberté, celle qui lui permettrait de retourner chez lui, dans sa famille en France. Dans cette perspective, les adjuvants que nous avons énumérés deviendraient sans exception des opposants, et les véritables adjuvants seraient les prisonniers chrétiens qu’il rencontre et qui essayent de le persuader de son erreur lorsqu’il épouse Zineb et avec elle l’Islam. Apprentissage exemplaire négatif s’il en est, le parcours de Bernard Ledieux ressemble tout à fait aux autres parcours impossibles des héros de nos romans qui tentent de s’assimiler un tant soit peu au monde de l’Autre. C’est le roman où la tentative d’assimilation va le plus loin et c’est également le seul roman de notre corpus où le personnage central s’engage volontairement sur un chemin qui est contraire à sa conscience, sur un chemin qui, en fin de compte, s’oppose à ses désirs profonds. Dans les autres romans étudiés, nous avons des héros dont le désir de rapprochement avec l’Autre est sincère et leur attirance envers la différence n’est pas désavouée par la suite même si les résultats des quêtes sont plus que problématiques. Ici, c’est ce désir de l’Autre, ou du moins la sincérité de ce désir, qui est remis en cause et qui se trouve opposé à la conscience du héros.

Myriem dans les palmes

  • son père le Capitaine Debussy ↔ sa mère Khadija
  • Ipattoff ↔ Ahmed
  • Belqacem ↔ Zohra
  • le djich et les guerriers berbères ↔ l’Armée française
  • l’oasis du Tafilalet ↔ la maison familiale
  • l’éducation laïque ↔ l’apprentissage du Coran et de l’Islam

Nous avons déjà parlé de l’ambiguïté qui marque le programme narratif de Myriem mandaté dès le niveau de la manipulation pour deux quêtes différentes qui s’excluent et dont la réalisation conjointe est impossible. Cette liste présente les adjuvants et les opposants pour la quête dont l’objet est le bonheur de Myriem et la réalisation des vœux de la mère Khadija, c’est-à-dire son retour au sein de la communauté des croyants musulmans. Le contrat de lecture explicite du roman nous laisse supposer une quête dont la direction est différente de celle qu’accomplit finalement Myriem et dont l’objet serait l’assimilation et l’oubli des racines linguistiques, religieuses et culturelles que la mère Khadija voudrait justement sauvegarder pour ses enfants.

La première constatation générale que nous pouvons retenir de l’ensemble de ces listes, c’est que les opposants aux quêtes des héros sont toujours plus nombreux et plus présents dans l’histoire que les adjuvants. Les héros des premiers romans algériens de langue française sont désespérément solitaires au cours de leurs parcours. Les acteurs qui s’opposent à leurs quêtes sont toujours plus nombreux que les adjuvants et une présence oppressante les caractérise par rapport à ces derniers. Ahmed Ben Mostapha rencontre sur son parcours des opposants de tous les bords : évidemment des ennemis de la guerre, mais aussi des personnes de son pays natal et de son pays d’adoption. Ben Kouider, le musulman algérien qui apparaît plusieurs fois dans le récit, est toujours opposé à Ben Mostapha et il en va de même du premier officier français qui se moque des musulmans. Une lecture manichéenne de nos romans pourrait être tentée de déceler la présence des opposants uniquement dans le camp de l’Autre, c’est-à-dire de l’Européen chrétien qui rejette les tentatives assimilationnistes des Arabes. Heureusement, il en va tout autrement, et ceci confirme le véritable instinct littéraire de nos auteurs. En effet, le romancier algérien de langue française de cette époque devait pressentir qu’une réussite trop parfaite des parcours ou une présentation trop manichéenne de la société algérienne du début du siècle pouvait devenir mièvre et finalement peu convaincante. Le sens du réel a donc prévalu sur l’intention démonstrative et ils n’ont pas peur de mettre en scène des Arabes ou des Français qui contredisent explicitement la thèse que l’œuvre a l’intention de véhiculer. On trouve des « bons » et des « mauvais » dans les deux camps et les vertus positives n’ont pas de préférence pour l’un ou l’autre groupe.

Une précision doit accompagner ce qui vient d’être dit : les Français de l’Algérie remplissent généralement un rôle négatif, tandis que les Français de la métropole sont présentés sous un regard positif. C’est là une réalité dont nous avons déjà parlé mais il convient de la redire à ce niveau de l’étude. On retrouve cette vision tendancieuse dans pratiquement tous les romans du corpus, excepté évidemment El Euljd où les données spatio-temporelles sont tout à fait différentes. Cette représentation négative du Français d’Algérie dans la littérature algérienne de langue française plonge évidemment ses racines dans les réalités socio-historiques de l’époque coloniale. Mais nous pensons que dans le cas des auteurs qui nous intéressent il s’agit également d’une revanche subconsciente sur la représentation négative de l’indigène telle qu’elle apparaît dans les premiers romans de la littérature colonial en Algérie 238 . Ce changement d’optique où la vision dévalorisante atteint l’intermédiaire colonial a été présenté par Ahmed Lanasri 239 . Il prend pour exemple un passage du second roman de Chukri Khodja, El Euldj, Captif des Barbaresques.

‘« … Soto Manoelo, un Espagnol d’une cinquantaine d’années, se cherchait des poux dans les guenilles qui le couvraient ; il se grattait le ventre et regardait, hagard, à droite et à gauche, … » 240

Effectivement, ce type de description est caractéristique des romans de Louis Bertrand, avec la seule différence que chez lui la personne ainsi décrite ne pouvait être qu’un Arabe. Mais dans nos romans les représentations négatives de Français d’Algérie ne manquent pas : on peut citer la description de Monsieur Robempierre s’acharnant sur sa femme dans Mamoun, ou l’image de Grimecci qui entraîne inévitablement son ami Méliani vers l’alcoolisme dans Zohra, ou encore celui de l’aventurier Ipatoff, arrogant et hautain dans Myriem. Ce n’est pas encore la révolte directe des écrivains algériens contre l’oppression des schémas descriptifs de la littérature coloniale mais c’est déjà une voix qui se démarque et qui énonce une vérité différente de ses contemporains coloniaux.

Contrairement à cette présentation négative des colons, les Français de la métropole sont presque toujours présentés sous de meilleurs aspects. Cette image du « bon Français », compréhensif, attentif et intéressé par le sort des indigènes est pratiquement une constante de ces premiers romans de la littérature algérienne de langue française. Ainsi, on est étonné par tout le savoir sur le monde arabe et musulman de l’officier Français qui rencontre Ahmed Ben Mostapha. Ses propos sur la poésie arabe, quoique paternalistes, flattent ses locuteurs, en premier Ben Mostapha et ses compagnons, mais aussi le narrataire de l’histoire.

‘« J’aime ouvrir les livres et m’imprégner des pensées de vos poètes. Je m’intéresse tout particulièrement aux origines lointaines de cette langue, qui a créé, à elle seule, plus de poésie que toutes les autres réunies. » 241

L’homme qui parle ainsi est l’adjuvant rêvé pour la quête idéologique de nos héros et nous retrouvons plus ou moins le même type de personnage dans chaque roman du corpus. Grimecci tient des propos semblables sur la grandeur des Arabes au début de sa rencontre avec Méliani, Monsieur Rodomsky et De Lussac remplissent ce rôle dans Mamoun, enfin le couple enseignant Fontaneet Monsieur Durtin l’assurent dans Bou-el-Nouar, le Jeune Algérien. Que dire de ce stéréotype du « bon Français » qui fait son apparition obligatoire sur le chemin des héros, qui les entraîne vers le monde de l’Autre, et qui réconforte par sa simple existence ces héros solitaires ? Pour que l’objet idéologique de la quête des héros soit effectivement atteint, il faudrait que les actants de ce type soient beaucoup plus nombreux dans l’histoire de nos romans. La société algérienne de l’époque devrait être composée dans sa majorité de tels personnages qui accueillent, qui écoutent et qui comprennent l’autre. Il n’en est pas ainsi, et encore une fois on est contraint de constater le sens du réel de nos auteurs qui savent soumettre la représentation de la réalité à leurs besoins idéologiques tout en gardant une proportion raisonnable d’éléments qui s’opposent à la thèse véhiculée. Ce stéréotype du bon Français est également, dans une certaine mesure, l’expression d’un désir profond des auteurs qui projettent dans leurs écrits de fiction l’image de l’interlocuteur rêvé pour leur dialogue social, politique et historique. Le nombre restreint de tels personnages, dès les débuts de la production romanesque algérienne de langue française, est un signe qui laisse entrevoir tout le tragique de la situation des auteurs en question.

Notes
235.

Cette constatation est confirmée par la deuxième partie de la thèse de doctorat de ALI-BENALI, Zineb, DNR. Le Discours de l’essai de langue française en Algérie. Mises en crise et possible devenirs (1833-1962), Aix-Marseille I, Anne ROCHE, 1998, 2e partie, Résistance-Dialogue, pp. 47-150.

236.

Nous pensons ici à Louis Bertrand et à sa théorie de la latinité de l’Afrique du Nord, ou à Robert Randau qui expose ses idées sur la naissance en Algérie d’une « race nouvelle ».

237.

Le terme « personnage » tel qu’il est employé ici dénote un acteur humain, contrairement aux autres acteurs possibles des schémas actantiels que peuvent être un espace, une idéologie, etc.

238.

Nous pensons par exemple aux romans de Louis Bertrand.

239.

LANASRI, Ahmed, La littérature algérienne de l’entre-deux guerres : genèse et fonctionnement, in Itinéraires et contacts de cultures , Paris, L'Harmattan et Université Paris 13, n° 10, 1° semestre 1990.

240.

El Euldj, Captif des Barbaresques, p. 36.

241.

Ahmed Ben Mostapha, goumier, p. 39.