CONCLUSION

Nous voilà arrivés à la fin de ce voyage dans la production romanesque algérienne de langue française de l’entre-deux-guerres. Au début de la recherche, nous avions adopté comme hypothèse de travail la conception selon laquelle les romans du corpus entraient dans la catégorie des romans à thèse. Cette hypothèse est non seulement affirmée par l’ensemble des critiques et des études que nous avons pu consulter, mais elle est également suggérée par une première lecture des œuvres en question. L’importance du discours idéologique et le caractère autoritaire et didactique de son expression dans certaines parties des romans, spécialement dans le péritexte et l’incipit, laissent effectivement penser au lecteur qu’il est en face d’œuvres littéraires où la préoccupation essentielle de l’auteur est de faire passer un message idéologique. Dans cette perspective, si le message est bien interprété par le lecteur, il devra en tirer des conclusions qui influenceront sa règle de conduite dans le quotidien. Non seulement nos romans ne proposent pas de règle de conduite aux lecteurs, mais ils installent une ambiguïté et une incohérence dans le discours idéologique. Et progressivement, l’idéologie perd l’apparente importance qu’elle occupait au début au sein de la narration pour être supplantée et dépassée, en poids et en mesure, par la quête identitaire des héros.

Certes, comme l’analyse des interprétations l’a montré, l’idéologie ne disparaît jamais des préoccupations du narrateur mais, dans le mouvement oscillatoire entre thèse et quête, l’importance primordiale de cette dernière devient de plus en plus évidente. Au début des romans, la préoccupation essentielle des narrateurs est de démontrer la possibilité de l’assimilation et de mettre en récit un discours idéologique préexistant au texte littéraire. S’il est vrai qu’«‘ aucune idéologie n’est suffisamment consistante pour survivre à l’épreuve de la figuration »’ ‘ 299 ’ ‘,’ il est encore plus vrai qu’une idéologie controversée et en pleine mutation est encore plus vulnérable devant l’épreuve du passage de l’essai politique à la fiction littéraire. Au fur et à mesure que le discours idéologique s’embrouille dans ses propres contradictions, nous voyons la quête identitaire venir occuper la place centrale des préoccupations du narrateur. Le roman à thèse et plus encore le roman réaliste socialiste illustrent un discours idéologique figé dont l’existence n’est pas soumise à sa représentation fictionnelle. Dans le cas des romans algériens de langue française de l’entre-deux-guerres, nous pouvons affirmer que le discours idéologique est en continuelle gestation et se construit à travers l’œuvre littéraire. Ainsi nous avons dans notre corpus des romans qui formulent clairement un démenti du discours de l’assimilation (Zohra la femme du mineur et El Euldj Captif des Barbaresques), d’autres qui opèrent une altération du même discours (Ahmed ben Mostapha goumier et Mamoun l’ébauche d’un idéal) et encore d’autres qui installent l’ambiguïté du discours idéologique comme principe fondateur de leur narration (Myriem dans les palmes et Bou-el-Nouar le Jeune Algérien). Il ne nous a jamais paru justifié et nécessaire de classer les romans du corpus en différents groupes suivant leur engagement idéologique ou suivant leurs tendances à correspondre ou non aux critères formels et thématiques des romans à thèse. Ces trois attitudes différentes face au discours idéologique se retrouvent chacune avec plus ou moins de régularité dans tous les romans de notre corpus. Le but de la présentation qui précède n’est donc pas de diviser les romans du corpus en trois groupes distincts, mais simplement de souligner leur attirance pour l’une ou l’autre des attitudes possibles devant le discours idéologique. Il est aussi évident, après cette étude, que le discours idéologique de l’assimilation était intériorisé et interprété de manière différente par les auteurs de notre corpus mais, pour aucun d’entre eux, nous ne pouvons avancer qu’ils souscrivaient à la conception de l’assimilation, telle qu’elle était comprise et proposée par le pouvoir colonial en place.

Mais ce n’est pas seulement à cause du rapport qu’elles entretiennent avec le discours idéologique que les œuvres du corpus ne correspondent pas aux critères traditionnels du roman à thèse. Ce qui nous autorise à affirmer qu’il ne s’agit pas de romans à thèse « classiques », c’est essentiellement leurs traits caractéristiques que nous avons dégagés au niveau de la structure narrative. Au début de la deuxième partie de la recherche, nous avons décidé d’examiner les romans du corpus selon trois traits essentiels et inhérents aux romans à thèses selon S.R. Suleiman. A la fin de cette analyse, il est clair que, sur les trois traits retenus pour notre investigation, les œuvres en question ne réalisent pleinement que le premier d’entre eux. Effectivement, nos romans se signalent, à l’exception peut-être d’El Euldj Captif des Barbaresques, comme porteurs d’un enseignement idéologique. Cet enseignement est affiché et revendiqué dès le début de l’œuvre d’une manière explicite et non ambiguë. Mais les deux autres traits caractéristiques des romans à thèse ne se réalisent pas ou ne se réalisent que d’un manière partielle dans notre corpus. Au niveau de l’histoire, la structure d’apprentissage qui devrait illustrer le discours idéologique est complètement absente des romans étudiés. Nous avons d’un côté des structures d’apprentissage négatif qui témoignent de l’impossibilité de la réalisation de la thèse idéologique ; de l’autre côté nous trouvons la structure d’apprentissage positif dans Myriem dans les palmes. Pourtant cet apprentissage ne vient pas illustrer le discours idéologique, bien au contraire, il le contredit. Enfin, ainsi que nous l’avons étudié dans le dernier chapitre, les redondances formelles des romans à thèse ne sont pas reproduites par nos œuvres. Nous avons pu dégager certains types de redondances mais les contradictions et l’ambiguïté sont trop importantes au niveau de la narration pour affirmer qu’un système idéologique cohérent serait à la base de l’œuvre. Contradictions et incohérences réapparaissent sans cesse entre le discours idéologique et la quête identitaire, entre les interprétations des quêtes et les thèses idéologiques du début, puis également entre les différentes manifestations du discours idéologique. Bref, dans les romans algériens de l’entre-deux-guerres, la redondance du discours idéologique n’est pas assurée par la narration. Ce manque visible de redondance et de cohérence dans le discours idéologique témoigne d’un souci de l’auteur qui est différent de celui de l’auteur du roman à thèse.

Un dernier point important doit nous convaincre définitivement de l’erreur qui consiste à considérer les œuvres de notre corpus comme des romans à thèse. Dans l’ensemble très large des romans fondés sur une esthétique du vraisemblable et de la représentation, les romans à thèse se distinguent par leur aptitude à proposer au lecteur un message non problématique, de lui indiquer sans ambiguïté une règle d’action qui lui permette de s’engager dans la « bonne voie » et d’éviter la « mauvaise voie ». Bref, les romans à thèse proposent au lecteur des solutions définitives. Nous devons reconnaître que les romans algériens de langue française de l’entre-deux-guerres placent leurs lecteurs dans une situation différente : ils sont moins catégoriques dans leurs affirmations, ils indiquent aux lecteurs des voies multiples, partielles et relatives, et au lieu d’apporter des réponses définitives ils ont plutôt tendance à poser des questions. Ils partagent certains traits caractéristiques des romans à thèse mais leurs préoccupations essentielles sont ailleurs.

Ce désaveu de l’hypothèse de départ de notre travail qui était de considérer les romans du corpus comme des romans à thèse, ne remet pas en cause les résultats et les observations que nous avons pu dégager. L’outil méthodologique retenu au départ de nos investigations s’est révélé parfaitement adapté pour l’étude des romans algériens de langue française de l’entre-deux-guerres. L’analyse des différences entre les œuvres du corpus et les romans à thèse nous a aidé à mieux comprendre les mécanismes de fonctionnement de cette production romanesque naissante. Nous pourrions dire que l’analyse comparative nous a aidé à poser les « bonnes » questions pour situer les romans du corpus au sein de l’activité culturelle des intellectuels algériens francisés de la période, mais aussi au sein de la littérature algérienne de langue française. Pourtant, au moment où nous reconnaissons qu’il ne s’agit pas de romans à thèse, notre attention se dirige tout de suite vers d’autres genres ou catégories littéraires pour tenter un rapprochement, si minime soit-il, avec les œuvres de notre corpus.

L’affirmation selon laquelle nos romans sont fondés sur une esthétique du vraisemblable et de la représentation garde toute sa valeur et sa pertinence. Mais ce rapprochement avec le roman réaliste européen nécessite également quelques précisions réductrices. Dans la deuxième partie de la thèse, nous avons déjà présenté brièvement les éléments structurels que nos romans empruntent visiblement aux romans réalistes français. Nous voudrions maintenant attirer l’attention sur une différence importante entre ces deux productions littéraires. Elle concerne la représentation de la société à travers la description qu’en donne l’œuvre littéraire. On connaît l’importance de la description de la société pour les auteurs réalistes et leur préoccupation de réussir, à travers la fiction littéraire, une peinture de la société dans laquelle évoluent les héros aussi fidèle que possible. En général, nos auteurs adoptent cette volonté de peindre au plus près la réalité sociale mais, dans la pratique, souvent ils s’en écartent sensiblement. La représentation de la société arabe et / ou berbère se fait dans la majorité des cas d’un point de vue valorisant qui évite de heurter les lecteurs Européens et qui tente de présenter une image positive de la société colonisée. Dès les premières œuvres, ce discours valorisant s’écrit en opposition au regard exotique puis franchement dévalorisant qui se dégage d’une partie de la production romanesque coloniale. La représentation de la société dominante de l’Algérie de l’époque est source, quant à elle, d’un malaise ou sinon d’une incohérence rapidement perceptibles à travers la narration. Le discours idéologique de nos romans suppose non seulement un candidat à l’assimilation, mais aussi une société qui soit accueillante, une société où cette assimilation puisse se réaliser. La société coloniale de l’Algérie de l’entre-deux-guerres ne correspond pas à cette image pourtant indispensable à la cohérence du discours assimilationniste. L’absence de représentation du destinataire au niveau textuel est conforme à cette réalité sociale et engendre, en partie, l’incohérence du discours idéologique. Parmi les romans du corpus, aucun ne procède d’une véritable représentation réaliste de la société coloniale de l’époque. Puisque cette société ne correspond pas aux besoins de la thèse, dans la majorité des cas, les auteurs évitent d’en donner une description détaillée. Complètement absente dans Ahmed ben Mostapha et El Euldj, la société des Français d’Algérie n’apparaît, dans le reste des romans, qu’à travers quelques rares représentants symboliques. Le dilemme de l’écrivain algérien de langue française de la période est simple : ou bien il représente la réalité de la société qui l’entoure et dans ce cas il reconnaît l’impossibilité de l’assimilation et accepte d’installer son discours dans l’ambiguïté, ou bien il représente une société qui correspond à ses besoins idéologiques mais qui est en contradiction avec la réalité. Aucun des auteurs de notre corpus n’a choisi cette dernière solution où la Littérature ferait violence à l’Histoire. En ceci, la sincérité et l’intégrité de la tentative entreprise par nos auteurs sont suffisamment démontrées.

Nous pourrions dire que les oppositions et les contradictions entre les différents éléments de la structure narrative de nos romans proviennent en grande partie de cette contradiction insoluble, de cette ambiguïté entre la réalité historique, sociale de l’Algérie de l’entre-deux-guerres et le discours de l’assimilation. Mais la particularité première des romans du corpus est de tenter continuellement, souvent avec un résultat médiocre, une synthèse des différents éléments contradictoires ou opposés entre eux. Romans de l’entre-deux, ils procèdent d’une rencontre entre deux sphères culturelles distinctes qui, bien que coexistant sur le même sol, s’ignorent mutuellement : rencontre de langues et de traditions littéraires différentes, rencontre de religions et de visions du monde différentes, rencontre de savoirs et d’attitudes intellectuelles différents. Selon notre opinion, les raisons de l’ambiguïté et de la médiocrité de l’ensemble de cette production littéraire sont à chercher essentiellement du côté de l’échec des auteurs à réussir une représentation synthétique et cohérente de ces multiples rencontres. La plus problématique et la moins étudiée de ces rencontres est, sans aucun doute, celle qui se réalise au niveau de l’écriture romanesque. Sous un angle génétique, tout romancier «‘ opère la rencontre d’un énoncé idéologique et d’un énoncé romanesque »’ 300 . Dans le cas de nos auteurs, nous pouvons affirmer avec certitude que l’énoncé idéologique se construit à partir de la thèse de l’assimilation, c’est-à-dire à partir d’un concept dont les racines plongent dans la sphère culturelle de l’Autre. Mais les sources de l’énoncé romanesque de nos œuvres se situent dans l’espace de la rencontre entre les deux sphères culturelles. Ahmed ben Mostapha goumier constitue l’exemple le plus parlant, le plus évident de cet énoncé romanesque qui puise abondamment dans les traditions littéraires arabes. Cette tendance est également observable, en des proportions différentes, dans les autres œuvres du corpus. A travers la narration, ces éléments empruntés à la littérature arabe et / ou berbère, écrite et / ou orale, se fondent avec d’autres éléments qui proviennent eux de la littérature française. L’énoncé romanesque est donc le fruit d’une rencontre entre les deux sphères culturelles. Le récit, espace de la rencontre entre l’énoncé idéologique et l’énoncé romanesque, tente une synthèse cohérente de ces différents éléments mais n’arrive pas à faire disparaître complètement les contradictions et les oppositions qui s’y révèlent. Il est difficile de comprendre en profondeur les premiers romans algériens de langue française si on ne prend pas en compte les diverses sources littéraires où puisent les auteurs de la période. De ce point de vue, nous devons reconnaître qu’une étude importante et difficile reste à faire : celle du rapport qui existe entre ces œuvres et la littérature orale de l’Algérie du début du XXe siècle.

Au cours de ce travail, nous avons plusieurs fois laissé entendre que le roman algérien de langue française de l’entre-deux-guerres était ouvert à une certaine forme de dialogisme. Il convient de préciser ce que nous entendons par cette affirmation. Avant tout, l’utilisation de ce concept nous paraissait justifiée seulement dans les moments où nous voulions différencier les œuvres de notre corpus des romans à thèse classiques ou des œuvres très fortement monologiques de la littérature coloniale. Le caractère de l’idée de l’assimilation, tel qu’il se révèle dans notre corpus, nous a rappelé la distinction que fait Mikhaïl Bakhtine entre l’idée «  achevée » et l’idée «  inachevée ». Selon sa conception, l’idée «‘ vit en une interaction continue avec d’autres idées »’ 301 . Ainsi l’idée de l’assimilation qui s’exprime à travers nos romans serait une idée inachevée : non seulement elle est ouverte au dialogue mais à travers la narration elle subit des changements, bref c’est une idée vivante. De l’autre côté on trouve l’idée de l’assimilation exprimée par les écrivains coloniaux, une idée qui est fixe, rigide et fermée au dialogue : c’est une idée achevée qu’on ne discute plus et qui est, selon la vision de Bakhtine, morte. Pourtant le fait de proposer aux lecteurs des voies multiples, d’ouvrir la thèse idéologique à diverses interprétations ou de poser des questions au lieu d’apporter des réponses dogmatiques, ne suffit pas pour affirmer que nos œuvres ressemblent aux romans dialogiques.

En réalité c’est la lecture d’un récent travail universitaire qui nous a poussé à poser la question du dialogisme à propos des romans de notre corpus. La thèse en question a contribué à replacer la conception originale de Bakhtine sur le dialogisme dans le contexte actuel de la critique littéraire et a démontré son intérêt pratique pour l’étude du roman algérien de langue française 302 .

‘« Cependant, il est tout à fait possible d’affirmer que le dialogisme idéologique se présente comme une propriété pertinente du roman algérien. » 303

C’est le terme de « dialogisme idéologique » qui retient toute notre attention car les résultats de notre étude prouvent suffisamment que la conception idéologique de l’assimilation n’est pas une idée fixe et rigide chez les auteurs de notre corpus. Au contraire, comme nous l’avons déjà signalé, la fiction littéraire constitue pour nos auteurs une tentative de représentation d’un concept dont ils connaissent toutes les contradictions et toutes les ambiguïtés. La littérature semble fonctionner pour nos écrivains comme un « champ d’investigation » où ils mettent à l’épreuve une idée qui les travaille et les questionne. Mais voyons si nos romans correspondent aux critères essentiels du dialogisme idéologique tels que Siline les a dégagés en partant d’une confrontation des travaux de Gilbert Durand avec ceux de Mikhaïl Bakhtine sur la question 304 .

Premièrement, il faut souligner que nous parlons bien du dialogisme idéologique qui s’établit au sein d’un seul et même texte romanesque. Nous avons déjà parlé, par ailleurs, du dialogue qui s’établit entre les intellectuels algériens à propos des diverses conceptions de l’idéologie de l’assimilation. Ce dialogue se construit à travers les écrits journalistiques, les essais politiques et les interventions et conférences dont nous avons parlé dans l’introduction. Nous avons brièvement effleuré cette question de l’intertextualité et ses caractéristiques dans la deuxième partie de ce travail mais ce n’est pas le sujet principal de notre étude.

Deuxièmement, il faut reconnaître qu’entre les romans de notre corpus, aucun ne réalise pleinement la fameuse personnification des idées, condition sine qua non du dialogisme selon Bakhtine. Pour lui, dans une œuvre dialogique «‘ les idées sont distribuées entre les personnages, non pas en tant qu’idées valables en soi, mais en tant que manifestations sociologiques ou caractérologiques de la pensée »’ ‘ 305 ’ ‘.’ Certes, les personnages de nos romans véhiculent des idées et l’auteur les utilise expressément dans le but de personnifier un discours idéologique qui leur préexiste et auquel ils prêtent leur voix pour s’exprimer. Mais, à part quelques timides tentatives, jamais les personnages et par conséquent les idées qu’ils personnifient, n’accèdent à une liberté par rapport au narrateur omniscient qui les met en place et qui les utilise à son gré. En dehors de la volonté de l’auteur, les idées n’ont aucune existence individuelle. En ce sens, nos romans sont plutôt monologiques car «‘ toutes les idées affirmées se fondent dans l’unité de la conscience de l’auteur qui regarde et qui représente »’ ‘ 306. Pourtant, comme nous l’avons déjà montré, il est clair que la position de nos auteurs sur la question de l’assimilation n’est pas immuable et que dans leur cas, le texte romanesque devient le lieu d’expression des doutes, des contradictions et des ambiguïtés idéologiques. Ainsi, à travers ses contradictions, le roman algérien de langue française de l’entre-deux-guerres procède d’un dialogisme intérieur à l’image de l’indécision des auteurs à apporter des réponses définitives à propos d’une question existentielle qui les place dans une situation ambiguë. Nous avons déjà cité Naget Khadda à propos du dialogisme dans la deuxième partie de la thèse. Voici la suite de cette citation qui parle du dialogisme intérieur :

‘« Dialogisme d’un soi à soi à défaut d’un impossible dialogue avec l’autre, qui, du fait de la mauvaise conscience qui accompagne (au sens musical du terme) les proclamations d’allégeance, instaure une certaine polyphonie se laissant percevoir en dépit de la pauvreté de la composition. » 307

Enfin, nous aimerions attirer l’attention sur un trait caractéristique de nos romans à travers lequel, visiblement, ils correspondent aux critères du dialogisme selon Bakhtine. Dans sa conception, l’opposition des idées se manifeste à travers les paroles et les actions des personnages mais aussi dans les contradictions structurelles du roman :

‘« Les rapports dialogiques s’établissent entre tous les éléments structuraux du roman, c’est-à-dire qu’ils s’opposent entre eux, comme dans le contrepoint. » 308

A travers la troisième partie de l’étude, nous avons dégagé plusieurs oppositions structurelles de nos romans : opposition entre le péritexte, le contrat de lecture et le parcours romanesque des héros, opposition entre le discours idéologique et la structure d’apprentissage, enfin opposition entre les actions des personnages et l’interprétation finale qui en est donnée. Sans parler des contradictions internes du discours idéologique que nous avons pu relever à travers ses différentes expressions. Le titre de la thèse résume, en quelque sorte, l’ensemble de ces oppositions en attirant l’attention sur les deux préoccupations essentielles des romans : le discours idéologique et la quête identitaire. Toutes ces considérations nous autorisent à rappeler la pertinence du concept dialogique pour l’étude des romans algériens de langue française de l’entre-deux-guerres. Nos œuvres sont bien caractérisées par une ouverture vers le dialogisme idéologique. Ce trait dialogique intérieur à l’auteur, si minime soit-il, si balbutiant soit-il, travaille l’ensemble de cette production littéraire et explique en partie l’incohérence visible et l’ambiguïté intrinsèque des récits étudiés.

Nous espérons que cette étude des romans algériens de langue française de l’entre-deux-guerres peut contribuer d’une part, à une meilleur compréhension de l’ensemble de la littérature algérienne de langue française et d’autre part, à un approfondissement des connaissances sur la naissance et l’émergence de l’identité nationale algérienne. Il nous semble important de souligner qu’aucun pays, qu’aucune nation ne peut impunément occulter une partie importante de son histoire littéraire et intellectuelle. De notre position d’observateur lointain en distance, mais proche en pensée, notre souhait est simplement de voir cette production romanesque reprendre la place qui lui revient au sein des lettres algériennes.

Notes
299.

MACHEREY, Pierre, Pour une théorie de la production littéraire, Paris, Maspero, 1980, p. 220.

300.

MACHEREY, op. cité p. 290.

301.

BAKHTINE, Mikhaïl, La poétique de Dostoïevski, Paris, Seuil, 1970, p. 127.

302.

SILINE, Vladimir, DNR, Le dialogisme dans le roman algérien de langue française, Paris 13, Charles BONN, 1999, 261 p.

303.

idem p. 54.

304.

idem pp. 47-49.

305.

BAKHTINE, Mikhaïl, op. cité p. 123.

306.

idem p. 123.

307.

BELKAID Naget KHADDA, TDE. (En)jeux culturels dans le roman algérien de langue française, Paris 3, Roger FAYOLLE, 1987, p. 102.

308.

BAKHTINE, Mikhaïl, op. cité p. 77.