TITRE I
DES REPERES CULTURELS DIFFERENTS POUR LA DEFENSE DE CENTRES D’INTERETS COMMUNS

Introduction

Dans cette première partie, il s’agit d’observer, par la comparaison, les systèmes culturels qui dominent en France et en Allemagne dès lors qu’ils sont susceptibles d’inspirer les conceptions de leur défense, l’emploi des armées et la formation de leurs soldats. Ainsi, quel que soit le régime politique en place dans un pays, ce sont des hommes qui fixent les institutions et qui gèrent l’organisation sociale qui en découle. Cette organisation trouve son fondement dans la conception que les responsables se font des relations entre les hommes. C’est pourquoi, afin de préserver leur pouvoir et de faire perdurer leur modèle de société, ils se dotent d’un système de défense qui peut être défini comme global mais qui, de toutes les façons, comporte une dimension armée. Cependant, aujourd’hui, les armées sont engagées dans une référence à dimension européenne dès lors que : « Même si j’entends exprimer ici et là certaines réserves, l’Europe a trop souffert des antagonismes entre les Français et les Allemands pour s’inquiéter plus que de raison de leur rapprochement. Notre ambition commune se met au service de la cause européenne. L’Europe est notre horizon. C’est elle qui conférera à la coopération franco-allemand. » 11

En France, les armées ont été qualifiées successivement d’armées royales, impériales et nationales. Cette évolution peut être notée aussi dans l’appellation même du ministère ; le « ministère de la guerre » est devenu le « ministère de la défense nationale », lui-même remplacé progressivement par le « ministère de la défense. »

Par ailleurs, la création d’une organisation militaire multinationale, tels que la brigade franco-allemande ou l’Eurocorps pose la question de l’existence et de la pertinence des armées nationales. Cette question prend du relief lorsque les militaires devraient intervenir dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies (O.N.U.), dont l’un des moyens armés demeure l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (O.T.A.N.).

En effet, ces dispositifs internationaux imposent à chaque pays d’envisager une autre politique de défense qui se limitait, jusqu’à maintenant, à la sauvegarde de leur territoire. Dans cet espace territorial, une volonté politique visait à permettre de vivre selon un modèle de société défini. A l’échelle de la nation, la valorisation de l’organisation sociale répondait donc aux aspirations des citoyens. Ils étaient préservés des conflits par la défense des soldats, chargés de préserver l’intégrité du territoire. L’agresseur qui s’aventurait à envahir cet espace national portait atteinte à l’intégrité du territoire et il était désigné comme un ennemi à combattre.

Or, aujourd’hui, en s’alliant entre eux, les pays ne peuvent plus organiser leur défense en se limitant à leur seul territoire. Il en résulte une politique différente qui vise toujours à défendre les intérêts des personnes ou à intervenir au-delà des frontières dans des missions humanitaires. En revanche, la référence à l’environnement national (culturel, politique, social, spatial…) est désormais supplanté par une référence à des intérêts communs, inspirés par une volonté de vivre ensemble. En conséquence, les applications militaires s’orientent vers la défense de l’intégrité des personnes.

Ainsi, nous pouvons observer que l’action du soldat demeure dans la sauvegarde d’un espace. Avant, cet espace était plutôt matériel et défini par la géographie physique ; le patrimoine était national. Aujourd’hui, l’espace à défendre est plutôt conceptuel, immatériel puisqu’il concerne les personnes quelle que soit leur nationalité. Hier, la défense de la paix était circonscrite au territoire national, aujourd’hui, bien que les territoires puissent être clairement identifiés, la défense de la paix s’étend à l’échelle de l’humanité.

Cependant, aujourd’hui, les références nationales perdurent, car si le soldat peut être amené à évoluer dans des structures internationales, il appartient toujours à une armée nationale. Ainsi, dans le cadre de la construction européenne de la défense, il est opportun d’identifier les repères culturels qui inspirent les soldats allemands et les soldats français afin d’observer leurs influences, en particulier, sur leur formation.

Pour y parvenir, nous poserons l’hypothèse que les structures des Etats répondent à des besoins sociaux qui traduisent une référence culturelle identifiable et particulière. Cette hypothèse va éclairer la comparaison entre les organisations sociopolitiques de la France et de l’Allemagne dans une approche sociohistorique.

Nous verrons comment le centralisme français et le fédéralisme allemand imprègnent, le politique, le religieux, et les systèmes éducatifs.

De ces observations contextualisées, nous mettrons en évidence l’existence de deux types de nation dont les caractéristiques définissent deux systèmes culturels, inscrits historiquement dans les Lumières et le Romantisme.

Eclairé par ce contexte et ces conceptions de la nation, nous pourrons observer, alors, le comportement de l’armée française et de la Bundeswehr à l’intérieur de leur nation et leurs potentialités à se situer dans un espace supranational.

Notes
11.

Discours prononcé par M. François MITERRAND, Président de la République française, à l’occasion de la célébration solennelle, au palais de l’Elysée, le 22 janvier 1988, à Paris, in Le traité de l’Elysée a 25 ans, recueil de textes établi conjointement par le ministère des Affaires étrangères de la République française et le Ministère des affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne ; Publié par le Service d’Information et de diffusion du Gouvernement de la République française, Paris, et le Presse – und Informationsamt der Bundesregierung, Bonn, 1988, p. 15.