2. Des considérations géopolitiques déterminantes

Les individus se déterminent donc plus ou moins dans une identité collective circonscrite dans des espaces géographiques. Aujourd’hui, les Länder disposent d’une autonomie beaucoup plus grande que celle des régions de la France et sont donc difficilement comparables à elle. Chaque Land possède sa propre capitale, et si la politique étrangère, la défense, la politique monétaire, les transports ferroviaires et la fiscalité sont du ressort de la Fédération, de nombreux domaines sont régis de manière spécifique par les constitutions des différents Länder, notamment l’éducation, la protection de l’environnement et la sécurité intérieure. L’absence de ministre de la culture ( au sens français) au niveau fédéral marque la reconnaissance d’une origine culturelle spécifique à chaque Land qui ne recouvre que partiellement les anciennes ethnies (Saxons, Souabes, Bavarois…). Cette spécificité préserve d’une assimilation ou à une massification culturelle et en même temps elle signifie des différences insurmontables.

La géographie devient alors une référence spatiale pour l’identification culturelle. Mais, selon Renan, la géographie ne peut avoir que peu d’influence :« La géographie, ce qu'on appelle les frontières naturelles, a certainement une part considérable dans la division des nations. La géographie est un des facteurs essentiels de l'histoire. Les rivières ont conduit les races ; les montagnes les ont arrêtées. Les premières ont favorisé, les secondes ont limité les mouvements historiques. Peut-on dire cependant, comme le croient certains partis, que les limites d'une nation sont écrites sur la carte et que cette nation a le droit de s'adjuger ce qui est nécessaire pour arrondir certains contours, pour atteindre telle montagne, telle rivière, à laquelle on prête une sorte de faculté limitante a priori? Je ne connais pas de doctrine plus arbitraire ni plus funeste. Avec cela, on justifie toutes les violences. »

La langue parlée comprend de nombreux dialectes, mais chaque Allemand parle le haut allemand, le Hochdeutsch, qui est la langue du sud de l’Allemagne enseignée dans les écoles et utilisée dans les médias. On retrouve l’origine française du vocabulaire allemand dans certains domaines privilégiés tels que l’architecture, l’habillement, la cuisine, et la vie militaire : Leutnant, Kapitän, General, Regiment, Kaserne, Etappe. Ainsi, le haut-allemand est la langue de la chancellerie. Ce métissage de la langue montre ainsi des limites en tant que critère d’identification nationale, appréciation défendue par Renan : « La langue invite à se réunir ; elle n'y force pas. Les États-Unis et l'Angleterre, l'Amérique espagnole et l'Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation. Au contraire, la Suisse, si bien faite, puisqu'elle a été faite par l'assentiment de ses différentes parties, compte trois ou quatre langues. Il y a dans l'homme quelque chose de supérieur à la langue : c'est la volonté. La volonté de la Suisse d'être unie, malgré la variété de ses idiomes, est un fait bien plus important qu'une similitude souvent obtenue par des vexations. »

Madame de Staël a déjà montré la pertinence de ce regard synchronique pour mieux comprendre la réalité de la vie quotidienne. 15 Goethe en témoigne quand il précise : « De l’Allemagne fut comme un puissant instrument qui fit la première brèche dans la muraille d’antiques préjugés, élevée entre nous et la France. » 16 Or Madame de Staël a été contrainte à l’exil, hors de France, par le régime de l’époque. 17 Cette disposition montre surtout l’impossible conciliation de deux systèmes dès lors que les différences sont mises en évidence.

Notes
15.

Madame de Staël. – De l’Allemagne, Paris, Flammarion, 1968, 2 tomes, 318 p.

16.

Id., tome 1, cité en 4ème de couverture.

17.

Id., p. 13.