1.2 La personne comme valeur sacrée « qu’il faut mettre au pas »

Au Moyen Âge, un nouvel ordre s’organise, créant par-dessus les frontières, l’unité spirituelle de la chrétienté. Le christianisme donne à la personne une valeur sacrée, placée au-dessus de toutes les puissances sociales : il ne s’agit plus de former un citoyen pour la patrie, mais un fidèle pour Dieu. Le christianisme doit ainsi libérer l’individu des liens étroits qui le rivaient à la cité, à la nation ou à la race. Tout est subordonné à un but essentiellement moral et religieux, ce qu’il est convenu d’appeler l’humanisme chrétien.

Dans cette perspective, l’éducation de la chevalerie comporte un idéal propre et une autonomie ; elle traite de l’éducation physique et pratique (entraînement militaire, équitation, chasse…), au chant, à la musique et aux bonnes manières. Cette éducation contribuera à la courtoisie, au respect de la femme, au sentiment de l’honneur, ce qui humanisera les rapports sociaux, jusque là violents et barbares. Cette dimension de l’éducation est concrètement réglementée.

Vers 1060, un chevalier tourangeau rédige un code des tournois. 33 Il faut distinguer trois sortes de combat :

Les tournois représentent un entraînement des plus concrets, ils sont à l’image de la guerre, telle que nous pouvons la concevoir, mais elle ne comprend qu’une partie des actions exécutées au cours des batailles et qui repose sur la collaboration des combattants à pied et à cheval.

La dimension chevaleresque va perdurer puisque au XVI° siècle, la formation des officiers se fait par la pratique, auprès du père ou d’un parent, à titre volontaire. Selon madame de Staël : « la chevalerie consistait dans la défense du faible, dans la loyauté des combats, dans le mépris de la ruse, dans cette charité chrétienne qui cherchait à mêler l’humanité même à la guerre, dans tous les sentiments enfin qui substituèrent le culte de l’honneur à l’esprit des armes. » 34 Cependant, d’après Ehrenberg : « Que le soldat soit une figure de modèle, il n’en a pas toujours été ainsi. Au Moyen Age, chevalier et routier, au service du bien ou du mal, on s’en méfie. Nécessaire en temps de guerre, il devient nuisible an temps de paix. C’est que cet homme qui porte les armes n’est pas militaire – obéissance parfaite – mais guerrier – combativité souveraine. Les vertus qui le caractérisent ont peu de rapport avec celles du militaire. Routier, il n’en a aucune ; les textes s’attachent non à son courage, mais à ses exactions : il tue, vole viole et surtout il est sacrilège. C’est un homme sans loi et par conséquent sans foi. Chevalier, il est, malgré les craintes qu’il inspire, objet de louanges : fougue, exploit, bravoure, générosité sont à la fois vertus guerrières et nobiliaires. » 35

L’Eglise avait déjà proposé un idéal conforme à l’œuvre de Dieu. « Cet idéal, la chevalerie ne l’a pas accepté d’emblée ; l’Eglise a dû combattre les mauvaises tendances des chevaliers ; par la paix de Dieu puis la trêve de Dieu, elle a imposé des contraintes et des interdits. » 36 Aussi, quand les régiments apparaissent, certaines familles y envoient leur fils pour s’y former, sans solde sous la protection d’un capitaine ; ce chef militaire doit, dès qu’il est promu, porter l’épée à la main en avant de sa compagnie et s’engager moralement. « Bien mieux : les capitaines sont réputés responsables des dégâts et des méfaits commis par leurs hommes. En échange, ils doivent régulièrement percevoir sous le nom ‘‘d’état’’, une indemnité de commandement de 100 francs par mois. Désormais et pour plusieurs générations, voire plusieurs siècles, le personnage clé dans les armées royales fut le capitaine de compagnie, dont les responsabilités sont à la hauteur de l’autorité qui lui est reconnue. » 37 Ce sens de la justice, du respect des biens et de la dignité des personnes demeurent une préoccupation quant aux comportements de la nature humaine. Ainsi, selon madame de Staël les lois peuvent répondre à ces préoccupations, mais « l’influence des femmes est plus salutaire aux guerriers qu’aux citoyens ; le règne de la loi se passe mieux d’elles que celui de l’honneur ; car ce sont elles seules qui conservent l’esprit chevaleresque dans une monarchie purement militaire. L’ancienne France a dû son éclat à cette puissance de l’opinion publique, dont l’ascendant des femmes était la cause. » 38

Pourtant ces élans d’humanisme ne suffisent pas. Les atrocités des guerres mondiales de la première moitié du XX° siècle nous le montrent. Les règles et les intentions se multiplient, les conventions de Genève fixent les règles du droit des conflits armés depuis 1949 ; des protocoles visent à mieux codifier les attitudes et la mise en œuvre des moyens des combattants. 39 Enfin, dans ce prolongement, à la fin du XX° siècle, le tribunal de la Haye est créé, avec une reconnaissance internationale pour juger les crimes contre l’humanité.

Cette traversée de dix siècles, en quelques lignes depuis la chevalerie, montre à la fois les intentions recherchées dans le respect de l’humanité à différents degrés suivant le contexte spécifique des périodes considérées, mais aussi une sorte de pérennisation de ces intentions, mais surtout l’échec d’une transmission de l’humanisme entre les générations. Cette remarque vaut aussi pour l’évolution de l’éducation à partir du Moyen Age jusqu’à son organisation, aujourd’hui en France et en Allemagne.

L’avènement du christianisme dans l’éducation a favorisé l’émergence de la considération de l’être humain. Sans modifier les pratiques éducatives, cet apport a influencé la construction conceptuelle des procédures éducatives en introduisant une part de rationalisation dans l’éducation filiale. De la reproduction formelle où les hommes sont soumis au modèle incarné par le maître, nous sommes passés à une procédure d’application où une part d’initiative dans l’interprétation est laissée à celui qui évolue indépendamment de son maître.

Notes
33.

CORVISIER (sous la dir.), op. cit. p. 71.

34.

Madame de STAËL, op. cit. p. 69.

35.

EHRENBERG (A.). op. cit. 213 p.

36.

« Chevalerie », Encyclopédie Hachette, 1975, 1983 7ème édition corrigée tome 2, p. 768 et 769.

et Histoire Militaire de la France, André CORVISIER, Paris, PUF, 1993, 4 tomes, tome 1, p. 45.

37.

CORVISIER (sous la dir.), op. cit. p. 147.

38.

Madame de STAËL, op. cit. p. 134 et 135.

39.

DE MULINEN (F.). – Manuel sur le droit de la guerre pour les forces armées, Genève, Comité international de la croix rouge, 1989, 242 p.