1.4 L’éducation dans la Réforme : un humanisme armé

La Renaissance et la Réforme ont eu pour effets de réconcilier le corps (remis en considération) et l’esprit, les connaissances pratiques et théoriques. Des savants humanistes fondent l’éducation sur l’apprentissage de la vie et vantent la valeur de la méthodologie de la science et de l’effort de la pensée pour expliquer le réel.

La Réforme protestante entreprend, avec Luther, Zwingle et Calvin, une véritable révolution de l’éducation. L’ignorance apparaît aux Réformés comme le plus grand mal ; Luther écrit : « La prospérité d’une cité réside surtout dans l’éducation de citoyens instruits, raisonnables, honnêtes. » Il met les politiques devant de nouvelles responsabilités : « C’est à vous, Seigneurs, de prendre cette œuvre en main. » Il ne s’agit plus de réciter mais d’avoir une connaissance directe des textes religieux et un souci de piété plus personnelle. Luther organise les écoles de Saxe et de Thuringe, et l’Etat prend en charge l’éducation dans certaines provinces.

Les organisations d’obédience catholique ne sont pas demeurées indifférentes. Ce sont les jésuites qui créent les collèges élitistes dont l’enseignement répond à un besoin de la bourgeoisie montante. Sélective, la méthode est autoritaire dans une organisation très hiérarchisée, et la rigidité des programmes procédait d’une certaine forme d’éducation.

Dans cette période tourmentée, les pays européens sont à la recherche de leur unité et en même temps ils se déchirent. A l’instinct hégémonique de peuple ou de personnage en quête de pouvoir s’ajoutent des conflits d’idées qui s’inscrivent dans un questionnement du rapport de l’homme à la vie et, bien sûr, de son éducation. L’Europe chrétienne du Moyen Age se transforme en champ de bataille entre catholicisme et protestantisme, entre tradition et renaissance. Les dualités créent une sorte de système d’identité qui permet de se positionner les uns par rapport aux autres. L’identification des uns par rapport aux autres s’opère dans des dualités qui se multiplient : Lumières et ancien régime, libéralisme et autoritarisme, romantisme et rationalisme.

Au milieu de ces luttes, Descartes pose les éléments d’un humanisme scientifique. Il condamne l’éducation de son temps et, en particulier, l’emploi abusif du raisonnement déductif ou syllogisme. 42 Jean Vial cite : « Il définit une autre méthode : Ne recevoir chose pour vrai que je ne la reconnaisse être telle, diviser la difficulté en autant de parties qu’il convient pour la résoudre, conduire les pensées par ordre, des plus simples…aux plus composées. » Le doute, la libre recherche, les exigences de la méthode, vont devenir des instruments efficaces de formation ; la méthode importe plus que les connaissances, la marche vers la vérité plus que la vérité. Comenius va dans le même sens en affirmant qu’instruire, ce n’est pas inculquer un amas de mots de sentences, d’opinions … c’est ouvrir l’entendement de choses. Tandis que Richelieu cherche « à réconcilier machiavélisme et christianisme et justifier l’alliance qu’un prince d’Eglise pouvait être amené à conclure avec des Etats protestants. » 43 Il faut préciser que Machiavel avait été mal accueilli en France parce que choquant pour la morale chrétienne tout en invitant à penser la guerre.

Au XVIII° siècle, autour de cette lutte pour la considération de l’homme dans la société, trois courants agissent puissamment dans le domaine éducatif.

Le premier est incarné par le philosophe Locke qui conçoit la sensation comme l’origine de toute notion. L’éducation doit s’appuyer sur la curiosité car les capacités peuvent être développées du dehors par la formation d’habitudes. Cette conception, qui constitue le prélude et la pertinence des facteurs naturels influenceront les novateurs.

Locke inspira aussi Jean-Jacques Rousseau qui propage le deuxième courant que l’on peut qualifier de social. Il prône une éducation sociale dans le respect des enfants afin de préserver leur progressivité pour qu’ils deviennent de bons citoyens. Sa méthode est une méthode active. Il influencera Kant et les philanthropes allemands dont Basedow mais plus encore l’éducateur suisse Pestalozzi qui réclame une école élémentaire universelle. Pour Pestalozzi, l’observation, la perception sensorielle sont la base du savoir. L’intuition en est le principe. 44 Pestalozzi a surtout incarné ce que devait être un éducateur, d’un total dévouement pour ses élèves. 45

Le troisième courant, utilitaire, est marqué par les Encyclopédistes qui donnent de la considération aux métiers et aux techniques dans une approche d’humanisme technique. Mais la nécessité d’assurer une utilité à la formation met en évidence la persistante opposition entre les partisans de l’éducation de l’homme dans une dimension d’humanité et la formation technique avec le risque de l’asservissement de l’individu à son métier. Cette difficulté à vaincre est d’autant plus importante que la nécessité d’éducation apparaît essentielle.

Nous pouvons observer une considération grandissante de l’être humain jusqu’à constater la part d’initiative de l’individu dans sa propre éducation. Les deux systèmes culturels précédemment observés n’apparaissent pas opératoires dès lors qu’il s’agit d’éducation. En revanche, deux conceptions de l’éducation viennent en opposition : celle traditionnelle de reproduction, paternaliste, et celle de l’individualisation qui vise à promouvoir l’être humain.

Notes
42.

VIAL (J.). – Histoire de l’éducation. Paris, P.U.F., 1995, p. 46.

43.

Ibid.

44.

Conférence de Daniel HAMELINE lors du séminaire relatif au dictionnaire de Ferdinand Buisson à l’IUFM de Paris, 12 et 13 juillet 2002 (actes à paraître).

45.

PESTALOZZI (H.). – Lettre de Stans, traduction de l’allemand et préfacé par Michel Soëtard, Genève, MINIZOE, 1996, 60 p.