1.5 Rêves romantiques et réalités sociales

Dans cette trajectoire historique, au-delà des frontières et des considérations d’Etat, une opposition d’idées émerge. Luther priait les politiciens de scolariser les enfants, et, Danton revendique pour la nation le droit d’instruire ses membres puisque les enfants appartiennent à la République avant d’appartenir aux parents. La qualité de l’enseignement des écoles militaires dans la formation des ingénieurs et des architectes répond à cette nécessité. L’école du génie de Mézières, créée en 1748, et les hommes prestigieux, qui en sont sortis, illustrent cette activité. La corporation dans son principe de préparation au métier manuel et son système de formation s’estompe au moment de la Révolution.

En même temps que se développe cette évolution des techniques et la nécessité de se former voir même de s’y conformer, le courant romantique s’amorce en Allemagne.

Le romantisme est un ensemble de mouvements intellectuels et artistiques qui fait prévaloir le sentiment sur la raison et l’imagination sur l’analyse critique. 46 Ce mouvement d’idées européen gagne la France au XIX° siècle. Il réclame la libre expression de la sensibilité, prône le culte du Moi et affirme son opposition à l’idéal classique. Le romantisme triomphe en France avec Lamartine, V. Hugo, Musset ; ils prolongent un courant qui remonte à J.J. Rousseau en passant par Mme de Staël et Chateaubriand. Goethe est la figure du romantisme originel dans la ville de Weimar. Il inspire le mouvement littéraire Sturm und Drang qui se présente en réaction au rationalisme et au classicisme (Aufklärung) et qui aujourd’hui interroge encore : « Cela vaut justement pour l’époque des Lumières, notamment dans le domaine de la littérature et de la philosophie. Nous ferions bien de garder présent à l’esprit ce fait, car il s’agit, aujourd’hui comme par le passé, de faire pièce à la tentation de l’irrationalisme. C’est à Paris que pris son essor la foi en l’homme, la foi en la force humanisante de la raison. Des pionniers de la pensée tels que Voltaire, non seulement trouvèrent en Allemagne des auditoires ouverts à leurs idées, mais aussi des penseurs de la même trempe. »  47

L’Aufklärung interroge mais selon Heinrich Kanz « Kant a su donner une expression frappante et définitive à ses arguments contre l'intolérance, l'endoctrinement, la lâcheté et la paresse, de sorte qu'ils peuvent nous servir encore aujourd'hui pour édifier une société universelle sur de bonnes assises. Souvenons-nous de sa définition des Lumières: « Les Lumières se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de minorité où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l'incapacité de se servir de son propre entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d'un manque d'entendement mais d'un manque de résolution et de courage pour s'en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Voilà la devise des Lumières. » 48

La Révolution française dans son expression populaire avait concouru à la même intention de perfectionner l’homme et de servir en même temps la société. La normalisation de la Révolution a eu pour conséquence de pérenniser le centralisme français en cherchant à ajuster la société et les actions des individus qui la composent.

Un train de mesures est mis en place pour répondre à ces intentions. Les programmes sont établis pour toutes les écoles où enseignent des instituteurs qui seront formés dans des écoles normales et payés par l’Etat. Un ministère de l’Education publique est créé en 1823. Les Ecoles Centrales créées avec des intentions de délocalisation à raison d’une école pour 300 000 habitants. Les établissements à vocation nationale préparent les élites de la nation avec une sélection sévère. Napoléon organise l’enseignement universitaire qui perdure encore aujourd’hui. La loi de 1850 a marqué la transition avec le monopole napoléonien en instaurant l’abolition du monopole universitaire. La loi sur l’enseignement supérieur libre a été établie en 1875. La Convention se signale par des créations durables : l’Ecole centrale des travaux publics, l’Ecole normale supérieure, l’Ecole de Mars ou Ecole militaire.

Le Français Victor Cousin, initiateur de l’éclectisme, emprunte à la Prusse et à la Saxe les modèles des écoles normales et des Lycées.

Sous ces diverses influences et par leur comparaison, avec M.A. Jullien disciple de Pestalozzi et initiateur de la pédagogie comparée, les relations pédagogiques évoluent aussi.

Inventoriés au nombre de trois, le premier de ces types est le préceptorat ou l’éducation individuelle. 49 Consommateur de temps et d’intervenant ce type de relation est perfectionné dans un préceptorat alternatif qui le rend inefficace par manque de continuité. Il est apprécié comme tel aussi dans le domaine particulier de la discipline puisque les élèves sont seuls et ne peuvent être confrontés dans une approche que nous pourrions nommer aujourd’hui socio-cognitive.

Le deuxième type, l’enseignement mutuel est emprunté aux pays de l’Europe du Nord. Il s’agit d’utiliser l’érudition spontanée d’enfants précoces qui, armés de techniques rudimentaires de transmission de savoir, deviennent les moniteurs des autres enfants. Cette démarche a eu pour effet d’alphabétiser un très grand nombre d’enfants et de répandre en France la langue nationale.

L’enseignement simultané supplante l’enseignement mutuel lorsque l’enseignement devient une profession qui nécessite une éducation spécifique. L’enseignement simultané constitue les prémices de ce qui existe aujourd’hui dans l’organisation des groupes de scolarisés, des niveaux de classes et des seuils de réussites ou des limites de potentiel. Il favorise la gestion par groupe mais il permet aussi de la flexibilité dans le volume des classes avec un volume constant de professeurs.

Elle répond bien à l’idée que peut se faire le politicien de la nationalisation par l’éducation avec des objectifs de formation non négociés avec l’apprenant puisque c’est lui qui doit apprendre. Nous sommes là dans le dispositif de reproduction de la société pour répondre aux besoins du système de société en place.

Notes
46.

Madame de STAËL., op. cit. p. 211.

47.

Discours prononcé par M. Helmut KOHL, Le traité de l’Elysée a 25 ans, op. cit. p. 23.

48.

Cité par Heinrich KANZ, dans Perspectives: revue trimestrielle d'éducation comparée, vol. XXIII, n° 3-4, 1993, p. 813-830.

49.

REBOUL-SCHERRER (F.). – La vie quotidienne des premiers instituteurs, 1833 – 1882, Paris, Hachette, 1989, 311 p.