2.1 Centralisme républicain et fédéralisme régional

La différence entre les systèmes éducatifs qui apparaît majeure se comprend dans l’organisation sociale et politique de deux pays. Francine Vaniscotte distingue quatre perspectives des systèmes éducatifs en Europe :

  • Le type scandinave,
  • Le type anglo-saxon,
  • Ceux qui sont marqués par une orientation précoce et une préférence pour la distinction des filières dans le système éducatif : le type (ou « préférence ») germanique (Allemagne, Autriche, Luxembourg, Pays-Bas, Belgique.)
  • Ceux qui insistent sur les troncs communs : le type latin et méditerranéen (France, Espagne, Italie, Portugal, Grèce.) 50

Elle n’explique pas l’attachement aux filières par les pays fédéraux. Pourtant ne considérant que la France et la République Fédérale d’Allemagne, nous constatons un centralisme de la France qui ne laisse que peu de place à l’initiative décentralisée mais qui est toujours en quête d’unité nationale. Le tronc commun se porte ainsi garant du système politique ; la reconnaissance du diplôme sur le plan national donne le loisir de s’ouvrir aux autres régions administratives. Les évènements sociaux de 2003 relatifs à la décentralisation dans l’éducation nationale est caractéristique de cet esprit. Le centralisme se présente, selon ses défenseurs, comme un garant de l’égalité des chances, critère déterminant de la pensée républicaine française. La décentralisation est dénoncée alors comme un germe de régionalisation et de sectorisation.

L’Allemagne, dans son système de fédération, laisse des prérogatives politiques aux Länder ; l’éducation est une responsabilité qui incombe à chacun des länder et permet de constater l’absence de ministre de l’éducation au niveau fédéral. Le souci du tronc commun est de ce fait moins présent qu’en France. Les éléments fédérateurs sont identifiés dans d’autres champs de la politique. D’ailleurs des diplômes obtenus dans un Land ne sont pas systématiquement validés dans un autre Land. Débarrassé de cette préoccupation, les Allemands se consacrent à l’immédiat et à l’utilitaire, c’est-à-dire à la recherche de l’adéquation entre les besoins du cercle social circonscrit au Land et les dispositions personnelles qui sont alors « orientées. »

Nous tenons là, la notion de culture dans la définition de l’identité culturelle qui, avec la formation militaire, constituent le centre d’intérêt de cette étude. Les éléments d’études sont empruntés à F. R. Ringer. 51

L’auteur veut montrer le lien étroit entre l’idée de formation et l’idée de science ou de recherche. Il compare deux types d’organismes destinés aux études supérieures au début du XX° siècle, représentés d’une part par l’Académie française et l’Institut de France et d’autre part l’Ecole Normale Supérieure et la Facultés des Sciences.

Deux attitudes différentes s’affrontent, l’une dite « traditionaliste » qui se trouve dans le premier groupe, l’autre dite «  réformatrice » dans le deuxième groupe. Une attention différente de la culture classique, en particulier de la culture latine, se manifeste dans les deux groupes.

Ringer met en évidence le processus de formation d’une personne. Il précise que la Bildung n’est pas une activité extrinsèque. Elle caractérise le monde allemand qui a une préférence pour le classicisme grec. C’est ainsi que s’affrontent le modèle classique allemand de la Bildung comme auto-développement individuel et un autre caractérisé par la multiplicité des liens entre l’individu et la société. Comme nous l’avons vu deux modèles différents de sociologie s’enracinent dans ces deux modèles, mais aussi deux sciences tout court et donc deux façons de comprendre l’œuvre de l’éducation. L’apport exogène dans la rationalisation s’oppose alors au processus endogène. Nous retrouvons là deux approches qui s’inscrivent, chacune, dans nos deux systèmes culturels. Toujours éclairé par notre hypothèse partielle – les structures des Etats répondent à des besoins sociaux qui traduisent une référence culturelle identifiable et particulière – nous pouvons observer maintenant la traduction de ces deux conceptions dans les structures éducatives de chaque Nation.

La souveraineté des Länder dans le domaine de l’éducation marque ainsi une sorte de centralisation filiale qui sépare l’enseignement général et l’enseignement technique, ce qui permet de qualifier d’unique cette approche allemande de l’éducation.

Chaque Land définit son propre programme scolaire dont un enseignement religieux, catholique et protestant, qui devient facultatif à partir de 14 ans sur simple décision des enfants eux-mêmes et a priori hors du consentement des parents. Les écoles confessionnelles sont très rares.

Après l’école primaire, die Grundschule, d’une durée de quatre ans, les élèves entre dans une phase intermédiaire de deux ans, die Orientierungsstufe, pendant laquelle ils doivent choisir, avec leurs enseignants, entre trois types de scolarité :

  • Pour un tiers des candidats, la scolarité se poursuit pendant quatre ans dans une Hauptschule (école secondaire élémentaire) avec un enseignement général, une langue étrangère et des cours d’introduction au droit du travail. A la fin de la quatrième année, ces études se prolongent par une formation mi-professionnelle mi-scolaire jusqu’à l’âge de 16 ans (die duale Berufsschule).
  • Le deuxième tiers va fréquenter une Realschule (école d’enseignement général court), pendant quatre ans. Le diplôme obtenu permet l’entrée dans une école spécialisée (Fachoberschule) puis dans un institut universitaire spécialisé (Fachhochschule). Cette formation est nécessaire aux métiers de cadres moyens dans l’industrie ou l’administration.
  • Le dernier tiers va au lycée (das Gymnasium) durant sept ans pour obtenir le baccalauréat (das Abitur). Pendant les deux dernières années, les élèves doivent choisir certains cours intensifs pour approfondir leurs connaissances dans des matières qu’ils préfèrent et se préparer ainsi à leur cursus universitaire.

Dans certains Länder, des Gesamtschulen, sorte d’écoles globales, cherchent à réunir les trois voies afin de repousser l’orientation le plus longtemps possible. Dans ce cas les élèves ne font leur choix définitif qu’après la dixième année scolaire. Les Länder de l’ex RDA préfèrent instituer un régime bipartite ou même tripartite ou la Gesamtschule remplace la Hauptschule. Même dans les Länder de l’Ouest, elle est délaissée au profit d’un Gymnasium 1er cycle, auquel s’adjoint une section Realschule qui tend à remplir la fonction de Gesamtschule.

Notes
50.

VANISCOTTE (F.). – « Les écoles de l’Europe - Systèmes éducatifs et dimension européenne », Paris, INRP ; Toulouse :IUFM, 1996, 351p.. L’éducation comparée, Revue française de pédagogie, INRP, n° 121, octobre-novembre-décembre 1997, p. 189.

51.

RINGER (F.R.). – « Bildungsideologien und Wissenshaftideologien : Frankreich um 1900 vergleichender Perspektive », L’éducation comparée Revue française de pédagogie, INRP, n° 121, octobre-novembre-décembre 1997, pp. 185-186.