2.3 Deux conceptions de l’éducation : la complémentarité des sciences de l’éducation et de la pédagogie

Le centralisme français influe-t-il sur la manière d’aborder et de traiter les questions relatives à l’éducation ? Rémi Hess l’affirme dans sa présentation des Sciences de l’Education : « Sur le plan de l’exportation des productions, le nombre d’auteurs français traduits en langue étrangère est encore faible. On peut le chiffrer à 5 % du corps des enseignants chercheurs en sciences de l’éducation. Cela s ‘explique par le fait que, trop souvent, les chercheurs français, même lorsqu’ils ont des perspectives passionnantes, n’abordent leur objet que sous un angle toujours très étroit et hexagonal. » 54

Dans une comparaison entre la France et l’Allemagne, R. Hess veut montrer que les différenciations entre les positions présentées ne constituent pas un système classificatoire plus ou moins formel mais que la différenciation découle de paradigmes différents.

Tout d’abord, il note que les sciences de l’éducation en France ne sont que trentenaires et qu’elles existent depuis près de deux siècles en Allemagne. Les caractéristiques des sciences de l’éducation fondées sur l’interdisciplinarité et l’approche multiréférentielle sont confirmées par Gaston Mialaret et Jürgen Schriewer. 55 Les sciences de l’éducation n’ont pas vraiment de spécificités en tant que science, mais plusieurs sciences traitent de l’éducation : la philosophie, la psychologie, la sociologie, l’histoire, etc.…

En Allemagne, au début du XIX° siècle, Schleiermacher, collaborateur de Humbolt influence la pédagogie humaniste par sa compréhension de l’herméneutique. Ses travaux participent à reconnaître la subjectivité individuelle. Il place le sujet qui comprend ou ne comprend pas au centre de sa recherche, car ce n’est pas la compréhension, mais l’incompréhension des autres qui semblent être pour lui le « bon objet. »

Après avoir averti le lecteur de l’aspect délicat de contextualisation, R. Hess montre la pertinence de l’exercice de traduction en tant que confrontation à la pensée de l’autre. Il compare les mots Erziehung et Pädagogik avec éducation et pédagogie. L’analogie est trompeuse, la signification est simplement inversée. Il faut comprendre dans le mot Pädagogik la définition de l’éducation à la Française qui englobe les activités scolaires, celle dans la famille et dans la vie sociale. La pédagogie trouve une compréhension similaire à Erziehung qui restreint sa portée aux activités scolaires.

R. Hess cite ensuite le professeur allemand de Sciences de l’éducation, Christoph Wulf, qui cherche à faire l’histoire des problématiques de sa discipline. Il dégage trois paradigmes constitutifs des sciences de l’éducation, de la pédagogie et de la formation en Allemagne au XX° siècle :

En Allemagne, la dynamique créée par les controverses entre les trois courants des sciences de l’éducation reflète la discussion entre trois postures méthodologiques : l’herméneutique, le rationalisme critique et la théorie critique. R. Hess décrit enfin le « Savoir pédagogique » de Wulf comme fédérateur des paradigmes des sciences de l’éducation allemandes.

Dans cette présentation, aucun tableau de comparaison n’est possible entre la France et l’Allemagne. Les intentions sont supposées similaires et l’organisation des sciences de l’éducation livre du sens quant à la considération portée à leur utilisation.

En France, elles sont jeunes et cherchent à s’affirmer. La rationalisation et le positivisme ont opposé les sociologies française et allemande à leur origine. Durkheim a été opposé à Weber qui est le fondateur de la sociologie compréhensive. Comme peuvent l’être les sociologues allemands, il est souvent considéré en tant que philosophe. Les sciences de l’éducation française sont teintées par une approche pédagogisante pour instruire plutôt qu’éduquer. Accepter la pluralité des approches de l’éducation rend compte de sa complexité dans « un objet très précis : l’étude des situations et des faits d’éducation. » 56 Paradoxalement cette diversité signifie une intention d’esprit convergente des disciplines dans l’éducation de l’individu par agrégation ce qui correspond à sa conception dans la nation.

Les sciences de l’éducation allemandes constituent une discipline scientifique autonome avec ses concepts spécifiques et ses méthodes. Elles caractérisent l’unité, la globalité ou la totalité et en même temps elles apparaissent isolées dans un corps de disciplines sectorisées et indépendantes ; ce qui fait dire à J. Schriewer dans sa redéfinition du statut de la pédagogie : « Si la Pädagogik décide de se constituer comme science de l’éducation, ceci ne peut pas se produire autrement que comme faculté interdisciplinaire (ou mieux transdisciplinaire). » 57 Enfin, elles ne rendent pas compte des effets de la Bildung dont nous parlerons plus loin.

Notes
54.

HESS (R.).- Des Sciences de l’Education, Paris, Economica, col. Anthropos, 1997, p. 29.

55.

MIALARET (G.). – Les Sciences de l’Education, Paris, P.U.F., 1993, 6° édition corrigée, p. 95 à p. 100.

SCHRIEWER (J.) et KELNER (K.). – « Kommunikationsnetze und Theoriegestalt : Zur Binnenkonstitution der Erziehungswissenschaft in Frankreich und Deutschland » L’éducation comparée, Revue française de pédagogie, INRP, n° 121, octobre-novembre-décembre 1997, p. 186.

56.

MIALARET (G.), op. cit. p. 95.

57.

SCHRIEWER (J.) et KELNER (K.), op. cit. p. 186.