2.4 Des activités de convergences

La différence entre les sciences de l’éducation des deux pays est à l’image des différences dans l’évolution des systèmes éducatifs. La traçabilité de l’éducation dans l’histoire par Jean Vial montre l’évolution de l’humanisme qui, à partir d’une approche globale, s’est transformée en humanisme matérialiste. L’humanisme de l’antiquité est devenu humanisme chrétien, puis humanisme technique. Ce parcours historique, pour autant qu’il soit nécessaire dans la compréhension contemporaine, ne rend pas compte de la dualité persistante entre les deux pays qui, dans une certaine concurrence, s’opposent mais aussi se dynamisent dans la construction d’un monde meilleur. Les différences entre la France et l’Allemagne n’apparaissent pas fondamentales. En France, nous trouvons aussi trois pôles d’organisation : l’enseignement général, l’enseignement technique et l’apprentissage. La notion de promotion sociale en Allemagne semble prédominante au regard de l’adaptation sociale allemande. Le cloisonnement entre les filières allemandes n’autorise pas les passerelles et fait persister le dualisme entre université et école technique supérieure (Fachhochschule). Les Fachhochschulen, qui ne requièrent pas le baccalauréat, cherchent d’ailleurs à acquérir la dignité académique tout en continuant à mettre l’accent sur leur profond rapport à la pratique. 58

Cette dichotomie apparaît avec d’autres caractéristiques dans l’apprentissage. La formation (Ausbildung) des apprentis trouve des repères communs ; les élèves sont qualifiés « d’échec scolaire » (en enseignement général), et, ils devront cependant s’insérer dans la société. Dans son reportage ayant pour thème « l’apprentissage comme moyen d’insertion », la production télévisuelle de « la Sept-Arte » montre cette préoccupation dans tous les pays d’Europe. La réalisatrice d’une émission de télévision, Ariel Camacho propose à la comparaison, à partir de témoignages, les éléments relatifs à l’apprentissage en France et die duale Berufschule en Allemagne. La compréhension de ces éléments montre des approches nuancées de la formation qui sont consécutives, pour une part, à la référence du rapport au savoir que chacun se fait.

Enfin, en Allemagne se pose la question paradoxale, à terme, du maintien de l’effort de formation dans une pénurie économique sachant que leur survie dans l’organisation actuelle passe par ce consentement financier. Les partenaires de la formation en Allemagne regardent donc de près les montages financiers de la formation en France, sous forme de subventions, dans la mesure où la première paraît précaire si l’on considère sa dépendance avec l’évolution économique du pays et des entreprises partenaires.

Après l’importation des méthodes de formation allemandes par les Français, il y a là un retour des choses possibles avec l’importation des méthodes de financement françaises dans le système de formation des apprentis allemands. Ce constat n’est pas à considérer comme une anecdote dans un dispositif européen plus général qui porte attention à l’éducation.

Le programme Leonardo prédispose aux échanges et à la mobilité des apprentis qui feront circuler avec eux leurs méthodes et leurs techniques, mais aussi leur manière d’être qui évoluera par comparaison avec leur propre référentiel.

Le système Socrates assure une fonction identique pour l’enseignement général. Sur le plan politique, le traité de Maastricht précise le cadre d’intervention de la communauté concernant les contenus et l’organisation générale des systèmes éducatifs (article 126), et la formation professionnelle (article 127).

Ces dispositifs permettent une possibilité de collaboration entre les nations afin d’assurer le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales par l’éducation, la science, la culture et la communication. C’est le but de l’U.N.E.S.C.O..

Pourtant, cette présentation vue sous l’angle de la formation montre les difficultés à vaincre dès lors que les intentions sont instrumentées car les deux systèmes sont exclusifs à leur manière.

Le système français développe l’élitisme et la sélection, ce qui pourrait expliquer que le taux de chômage des jeunes soit deux fois plus important qu’en Allemagne. L’exclusion est individuelle. Le système allemand, quant à lui, génère l’élitisme de groupe et rend les jeunes gens dépendant d’un système en concurrence avec les autres. Dans ce cas, l’exclusion est collective.

L’histoire nous montre l’opposition et la concurrence entre la France et l’Allemagne. Les organisations et les systèmes socio-politiques sont les faits des hommes qui agissent sur eux-mêmes ou sur leurs générations en héritage. La réforme a répondu au traditionalisme, le romantisme au rationalisme, la revanche est une attitude des Etats Nation qui entretiennent une surenchère de leurs communautés et une sorte de faire valoir.

La connaissance des systèmes d’éducation entre la France et l’Allemagne montre donc des convergences mais aussi des différences qui constituent des obstacles à une harmonisation de ces systèmes. Aussi particuliers qu’ils soient, les systèmes éducatifs sont le reflet de l’organisation sociale et politique du pays.

Ils sont à la fois le prolongement des organisations et les instruments d’une réalisation de cette politique. A titre d’exemple en France, l’école a été mise au service de la construction de l’état (moment Napoléon), puis au service de la nation (moment Ferry), et encore au service de l’économie (moment de Gaulle). Cependant, l’adaptation aux circonstances peut à termes présenter des effets pervers ; c’est la question que pose De Champris : « On favorise aussi (en Allemagne) la création d’universités spécialisées (FH), plus petites, mieux équipées et où l’enseignement, plus pratique, jouit d’une excellente cote dans l’entreprise. De fait, les 143 FH déjà existantes enregistrent un afflux croissant. Depuis 1993, le nombre d’étudiants a augmenté de 16 000. Ces évolutions renvoient à la situation de l’enseignement supérieur français. Ne court-il pas à la catastrophe avec sa tendance toujours forte à la centralisation et à la massification, entraînant un afflux croissant d’étudiants vers des facultés engorgées et dramatiquement inadaptées et favorisant des grandes écoles qui, vivant en vase clos, ne tirent pas le système universitaire vers le haut mais, par les castes qu’elles engendrent, accentuent l’éclatement de la société ? » 59

Ainsi, les dispositifs techniques d’organisations sociales sont l’expression de deux conceptions des relations au monde de la vie qui ne sont pas toujours connues, voir avoués. La formation des apprentis français et allemands illustrent ces deux approches. Pourtant, à l’exception de quelques nuances, une certaine cohérence est assez remarquable à l’intérieur de chaque pays parmi les quelques descriptions que nous avons analysées.

Les dispositifs techniques et matériels apparaissent donc incompatibles tandis qu’analysés isolément, ils rendent compte d’une réalité qui ne souffre pas la discussion. Il est incontestable que les procédures d’éducation ont évolué en donnant plus de place à « l’éduqué » celui qui découvre la société dans laquelle il devra vivre. Cependant le face à face entre la société et ses lois, et l’individu, oscille entre une mise en conformité et une auto – détermination. Nous constatons, ainsi, que le système politique et ses institutions entretiennent une reproduction culturelle qui appartient au monde des adultes et qui détermine les individus. Ainsi, les deux systèmes culturels sont-ils entretenus par l’organisation de leur propre système éducatif. Comparés, ils laissent supposer une cohérence interne qui présage des références culturelles différentes que nous devons définir.

Notes
58.

De CHAMPRIS (T.). – « La fin de l’université de masse », La lettre d’Allemagne n° 276 du 15 avril 1999. La lettre d’Allemagne est produite sur le site :

www.amb-Allemagne.fr/actualités/chronique/19.htm du 30 juillet 1999.

59.

Cité par De CHAMPRIS (T.), op. cit.