6. La reconnaissance des défenses nationales par les institutions européennes

Dans le traité de Maastricht, la légitimité européenne est développée en même temps que les légitimités nationales sont réaffirmées :

L’Union européenne ne fusionne donc pas les différents éléments de l’Europe unie ; au contraire, l’Union est un cadre général fait de trois piliers :

Chacun des trois piliers a son organisation, ses procédures propres (pour la communauté, la mécanique de l’intégration ; pour les deux autres domaines, la coopération intergouvernementale).

La Politique Etrangère et de Sécurité Commune (P.E.S.C.) fonctionne donc selon des mécanismes de concertation intergouvernementale, tandis que la défense relève de la seule compétence des Etats en attendant l’élaboration d’une politique de défense commune. La défense est liée, selon des modalités diverses, à l’Alliance atlantique.

Les règles internationales fixent le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune. L’article 40 du Code de conduite relatif aux aspects politico-militaires de la sécurité rédigée à l’issue de la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe (C.S.C.E.) à Budapest, le 3 décembre 1994, mentionnent : « Rien dans le présent Code ne modifie la nature ni le contenu des engagements contractés au titre d’autres documents de la C.S.C.E.. »

Les articles relatifs à l’aspect militaire sont éloquents et significatifs des intentions des Etats participants. Voici ces articles :

« ….

…..

…. »

Ces articles de la conférence de Budapest mettent en exergue la responsabilité individuelle dans une référence au respect des individus. Cette insistance pèse sur l’exercice du métier des armes et la formation des militaires, mais leur présentation met en évidence un appel à la responsabilité des Etats en considérant cette approche comme une référence contractualisante. Les responsables des deux pays s’expriment d’ailleurs dans ce sens. Dès 1988, le chancelier KOHL précisait : « Notre vision de l’Europe comporte finalement aussi la mise en place d’un ordre de paix pour l’ensemble de l’Europe – d’un ordre de paix dans lequel les individus puissent se retrouver dans une liberté commune et sur la base des droits de l’homme. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons réellement surmonter la division de l’Europe, et aussi la division de l’Allemagne – et je sais que cette division n’est pas moins artificielle aux yeux de nombreux français qu’aux yeux de nombreux allemands. » 106

Coté français, le général J.R. Bachelet, chargé de mission auprès du chef d’état-major de l’armée de terre, responsable du groupe de travail chargé de rédiger les fondements et principes de l’armée française devenue professionnelle, donne une conception de l’armée dans une référence à la nation à la Française. 107

Le Général précise que la caractéristique de l’armée est d’être délégataire d’une force qui détient, dans son essence même, une extravagante capacité : celle d’infliger la destruction et la mort, le cas échéant à grande échelle. Cette caractéristique, plus encore que sa non moins extravagante symétrie, à savoir la disponibilité à y être exposée en retour, fait qu’on ne saurait, sauf graves dysfonctionnements ou égarements, concevoir l’armée autrement que comme membre exécutif d’un être collectif qui en inspire, encadre et légitime l’action.

Cet « être collectif » nécessairement incarné reste pour les militaires aujourd’hui la nation, mais la nation à la Française, c’est-à-dire « ce vouloir vivre ensemble » comme la qualifie Renan, qui réunit des peuples divers, au-delà des disparités ethniques ou religieuses, dans une identité commune au nom de valeurs universelles : Ainsi la référence nationale légitime-t-elle l’action militaire, quand les valeurs universelles, dont la France se réclame, préservent cette action de la barbarie. Tel est le sens qu’il faut accorder au lien « armée-nation » : pour qu’une armée soit une armée, c’est-à-dire une institution de civilisation qui fasse pièce à la violence et non pas précisément une institution de violence, ce lien est premier, essentiel, à développer et à cultiver de toute nécessité.

Notes
106.

Le traité de l’Elysée a 25 ans, op. cit. p. 33.

107.

BACHELET (J.R.). – « L’armée dans la nation », Revue militaire Sommet, 1er semestre 1999.