7 - Les armées entre identité nationale et sollicitation internationale

« Nous coopérons déjà sur le terrain ; nous procédons à des échanges ou des exercices d’entraînement communs. Mais il manque une pièce essentielle à ce puzzle : nous ne disposons d’aucune école de formation initiale qui puisse donner, à l’orée de la carrière d’officier, une approche et une sensibilité voisines pour favoriser une culture commune aux officiers et pouvant être définie comme la volonté de penser puis d’agir ensemble…le métier militaire, plus que tout autre, est un métier européen. »Cette communication duministre français de la défense montre une volonté politique quant à l’avenir des armées des nations en Europe. 108 Cela montre surtout la carence en matière de formation malgré les échanges entre les armées dès lors que des officiers d’une armée suivent les cursus de formation des armées d’une autre nation depuis les décisions prises lors du premier séminaire franco-allemand d'officiers à l'Ecole militaire de Paris le 21 et le 22.5.1987; le 25.11.1993, les marines française et allemande conviennent, à la suite d'une manœuvre commune, d'échanger, tous les ans, des aspirants officiers.

C’est pourquoi, la Conférence des Ecoles et Académies Militaires de l’union européenne du 16 au 18 juillet 2002 présente un intérêt particulier. Organisée à l’occasion du bicentenaire de la création de l’Ecole militaire de Saint-Cyr, le thème général était : « la dimension militaire de l’intégration européenne » ; les cadets de quatorze pays de l’Union européenne ont pu aborder 6 thèmes cités ci-après :

  • les intérêts de sécurité européens : quels scénarios de crises et quels espaces d’intervention ?
  • les industries de défense européennes correspondent-elles aux besoins de la PESC/PESD ?
  • la culture militaire européenne : avons-nous la même culture ?
  • les dimensions concrètes de la coopération : les conditions de la formation en vue de l’action commune ;
  • que défend l’Europe ? (Quelles valeurs, quel projet ?)
  • les institutions européennes correspondent-elles aux objectifs de l’Europe de la défense ?

La problématique de cette conférence montre l’actualité du sujet puisque l’un des groupes de travail a abordé la culture en ces termes : « L’Europe manque sans doute de signaux concrets et l’émergence d’une culture commune aux Européens en matière de politique étrangère apparaît cardinale pour la réussite du projet, tout autant que la création d’une culture commune propre aux militaires européens. Cette culture peut-être définie comme la volonté et l’habitude de vivre penser et agir ensemble. »

Cette avancée est confirmée dans la déclaration du conseil franco-allemand de Défense et de sécurité au palais de l’Elysée à Paris le 22 janvier 2003. 109 Sous la rubrique « formation commune de leurs personnels » de cette déclaration, il est mentionné : « elles (la France et l’Allemagne) proposent à leurs partenaires de l’union européenne la création d’un ‘Collège européen de sécurité et de défense’ destiné à promouvoir une culture commune des cadres civils et militaires des Etats membres de l’Union européenne dans ce domaine. »

La France et l’Allemagne expriment ainsi, explicitement, la fonction de leurs armées respectives : l’avenir de l’armée française et la Bundeswehr résident dans la défense de l’Europe. Pour les responsables politiques, la référence de chacune des armées n’est donc pas la culture nationale mais une culture européenne qui est encore mal définie.

Cependant, 40 ans après le traité de l’Elysée, la formation des militaires n’est qu’à l’état embryonnaire. La seule création d’un collège européen ne constitue donc qu’un début car les parcours éducatifs singulier de chaque militaire, et l’environnement politique, administratif et culturel ne prédisposent pas d’emblée à partager un destin commun.

Par ailleurs, la formation des militaires peut-elle se réduire à la seule formation des officiers ? Bien que cette démarche réponde à une pédagogie de la responsabilité, elle ne serait que la traduction d’une conception sociale du « corps militaire pour une défense européenne » fondée une construction de type organique en reléguant les sous-officiers et les militaires du rang à des rôles d’exécution technique du métier militaire. Cette organisation sociale de l’armée correspondrait alors à l’organisation de la cité idéale de Platon. 110 Il est précisé que la cité est organisée en trois fonctions essentielles comme dans l’âme individuelle : gouvernement, défense, production ; la solidarité entre ces trois fonctions est assurée par l’exercice de trois classes : les magistrats, les guerriers, les travailleurs manuels ; la raison étant du ressort du magistrat comme elle pourrait l’être pour les officiers.

La question centrale de ce travail est ici au cœur de la réalité des évolutions : comment peut-on être soldat d’une armée nationale et, en même temps, être intégré dans une organisation internationale avec d’autres soldats qui, eux-mêmes, appartiennent à une autre armée nationale ? A cette question Ehrenberg en ajoute une autre : « si la tradition républicaine voit dans l'armée une école de démocratie, l'armée fait aussi partie de ces institutions closes où la démocratie est en suspens : le soldat n'est-il pas avant tout le modèle de l'obéissance absolue ? » 111 Cette question porte en elle une réponse en contradiction avec la responsabilité individuelle que la culture nationale accorde au militaire français et que la formation devrait développer dans le futur dispositif social d’une défense européenne.

La reconnaissance des armées nationales par les instances internationales est en réalité une reconnaissance de leurs différences ou plus exactement de la singularité du système politique qu’elles défendent. Les inciter à s’inscrire dans une référence internationale permet d’éclairer chaque armée sur leur propre référentiel. Cela pose véritablement la question qui a initié cette recherche :Comment peut se concevoir la formation d’un soldat de la paix s’inscrivant dans une double référence culturelle, nationale d’une part et transnationale d’autre part ?

Notes
108.

Conférence des écoles militaires de l’Union européenne : extraits du journal Ouest – France du 17 juillet 2002.

109.

Ce document consulté dans l’institution militaire est disponible sur le site : www.elysee.fr

110.

Encyclopédie Hachette, op. cit. p. 3500.

111.

Cité en 4ème de couverture dans EHRENBERG (A.), op. cit.