4. La traduction de la culture nationale dans le cursus de formation initiale des sous-officiers allemands et français

« Proche de leurs hommes, tant pendant le service quotidien que lors d’un engagement, le sous-officier est le repère principal du jeune soldat. Pour l’essentiel c’est de son savoir-faire et de ses qualités personnelles que dépendent à la fois la motivation des soldats, la disponibilité opérationnelle des troupes et la réputation de la Bundeswehr auprès des appelés. » 135

Cet extrait du livre blanc sur la sécurité de la R.F.A. fixe la position du sous-officier allemand dans sa hiérarchie, dans sa fonction et dans ses rôles. Son affectation directe dans un régiment, puis le suivi d’une formation technique sont donc, dans le domaine de la formation, la concrétisation de la volonté d’une structuration professionnelle qui rejaillit sur le comportement humain. Cette organisation de la formation des sous-officiers est d’autant plus réaliste qu’elle est en cohérence avec l’organisation de la formation des officiers allemands. Ils sont tout d’abord affectés dans un régiment avant de suivre un enseignement militaire pour entrer dans un cursus universitaire. L’approche organiciste de la formation du sous-officier allemand est amplifiée par une formation dans une école de spécialité et dans une école dédiée à un enseignement général toutes les deux intégrées dans un corps d’armée. En conséquence, et bien que les programmes soient similaires entre Münster, Weiden/Oberpfalz et Delitzsch, son influence culturelle corrobore le système culturel de référence en Allemagne ce qui atteste d’une cohérence entre l’approche fédéraliste de l’Allemagne et la formation du sous-officier de l’armée de terre dans la Bundeswehr qui n’est donc pas représentatif du sous-officier de la Bundeswehr puisqu’il n’existe pas de « formation fédérale. »

Ce constat s’applique aussi au sous-officier français puisque des études ont montré la spécificité des sous-officiers de l’armée de l’air, de la gendarmerie, de la marine et de l’armée de terre. D’ailleurs, il y a moins de vingt ans les sous-officiers de l’armée de terre étaient formés dans les écoles d’armes avec une spécificité technique de l’arme qui influençait précisément leur comportement. Aujourd’hui, la moitié des sous-officiers de l’armée de terre rejoignent l’école unique de formation, l’Ecole Nationale des Sous-officiers d’Active, après avoir exercé une spécialité pendant quatre ans, en moyenne, dans un régiment. Venant de plusieurs régiments, ils suivent donc un stage dont l’un des objectifs consiste à les décentrer par rapport à la culture régimentaire qui les a imprégnés jusqu’ici. Les acquis militaires permettent cependant de réduire le stage à trois mois pour le rendre similaire au stage des sous-officiers recrutés directement du secteur civil. Ce stage provoque une rupture identitaire qui, d’ailleurs, est attendue puisque programmée. Certains cadres le qualifient de « stage d’adaptation. »

Le tableau ci-après résume le parcours de formation initiale des sous-officiers français.

FRANCE ALLEMAGNE

période1
Formation commune en Ecole Nationale.
8 mois
Formation de base, régiment. 6 mois
Stage en école d’application. 5 mois
Stage perfection. En école. 9 semaines

période 2
Formation professionnelle
En Ecole de spécialité
2mois à 3 ans.
Formation professionnelle
En régiment.
2 à 11 mois.

période 3
Vérification d’aptitude
En régiment. 6 mois.
Emploi.

Emploi.

Il concerne les élèves dont le recrutement s’effectue d’une manière relativement analogue à celle des sous-officiers allemands. Bacheliers, ils subissent des tests psychotechniques qui déterminent leur aptitude à devenir sous-officiers de l’armée de terre bien qu’ils s’engagent au titre d’une spécialité que l’institution nomme un métier. Les formateurs ont un devoir de réussite dans la mesure où la sélection à lieu en amont de la formation lors des tests de sélection. L’objectif de la formation est de les rendre aptes sur le plan intellectuel, physique et moral à organiser, commander et animer un groupe d’une dizaine d’hommes. Cette formation initiale de généraliste précède la formation technique d’arme que le sous-officier français pratique, ensuite, dans un environnement favorable à l’apprentissage, pendant six mois, à l’occasion de sa première affectation en régiment.

Si les techniques professionnelles à maîtriser sont sensiblement les mêmes dans les deux armées (allemandes et française), l’organisation de la formation dans sa dimension culturelle et de commandement présentent des particularités. Nous l’avons vu, les sous-officiers français ont un pôle unique à Saint-Maixent l’Ecole tandis que les Allemands sont intégrés dans une des trois écoles des corps d’armée : Münster, Weiden/Oberpfalz et Delitzsch.

Le sous-officier français appréhende avant toute chose le développement et la construction d’éléments identitaires d’homme, de citoyen, de soldat et de chef pendant huit mois. Quant au sous-officier allemand, après une formation de militaire du rang et une formation professionnelle en lien avec la technique militaire, il suit cette formation pendant neuf semaines, pour « devenir compétent sur le plan humain et technique, physiquement résistant, avec une sûreté de comportement et une assurance de soi. » 136

Les deux formations visent à développer les fonctions de chef, d’instructeur et d’éducateur. A l’inverse de la formation des sous-officiers français qui est orientée « vers la compréhension des autres » en faisant appel à la raison, la formation des sous-officiers allemands est centrée sur les dispositions naturelles dans une démarche organique. La formation du sous-officier allemand est donc fondée sur les effets de l’imprégnation avec une mise en conformité dans l’utilisation des techniques du métier militaire. La formation militaire française est donc socialisante dans une activité exogène, tandis que la formation allemande vise plutôt au développement personnel en laissant croître les facteurs intrinsèques propres à chacun par assimilation en favorisant une activité endogène.

Notes
135.

Livre blanc 1994, sur la sécurité de la République Fédérale d’Allemagne et la situation et l’avenir de la Bundeswehr, op. cit. p. 7, article 721.

136.

Document de synthèse d’une présentation de l’école des sous-officiers de l’armée de terre de Weiden, interne à l’école, 1998, fiche 3/1.