5. Une initiation à la liberté de conscience en cohérence avec l’exercice de la citoyenneté d’appartenance

Les durées de formation, similaires en apparence, sont à mettre en perspective dans le cursus de chaque formation et à observer dans leur chronologie. Aux neuf semaines de formation du sous-officier allemand, il convient d’ajouter les six mois de formation en tant que militaire du rang du début de carrière, ce qui équivaut aux huit mois de formation du sous-officier français. Cependant la démarche est bien différente. Le sous-officier allemand apprend concrètement à devenir militaire du rang tandis que le sous-officier français est un cadre en apprentissage dès le premier jour de sa formation. La formation des six premiers mois du sous-officier allemand correspond alors à une formation technique en parfaite cohérence avec la conception de toute formation professionnelle dans les entreprises civiles allemandes.

Ainsi, les deux types de formation présentent des analogies et des différences qui peuvent être identifiées.

Les domaines similaires sont d’ordre relationnel, intellectuel, et sportif :

Les différences sont observables à l’intérieur même des disciplines et des cours de formation. Le sous-officier français aborde des notions de gestion administrative que l’on n’observe pas dans la formation du sous-officier allemand. Il en va de même pour la pratique d’une langue étrangère et l’utilisation des multimédias.

Le sous-officier allemand aborde la connaissance des cultures politiques et un enseignement de la morale dispensé par l’aumônier militaire. L’enseignement des cultures politiques atteste de la volonté d’une formation de « citoyen en uniforme » et de « soldat citoyen » par une connaissance approfondie des orientations qui guident l’existence de la Bundeswehr. Le sous-officier allemand n’est pas étranger à la vie politique de la cité et il est très souvent un des élus de l’une des communes allemandes.

L’intervention de l’aumônier militaire a pour objectif d’aborder l’éthique et les questions du sens à donner au métier de militaire en posant comme postulat que « les militaires sont des assassins et les soldats sont le sabre de Dieu. » 137 Elle valide les dispositions politiques de la R.F.A. relatives à la prise en compte de la présence religieuse. Elle s’inscrit aussi dans la trajectoire historique de l’Allemagne puisque, nous l’avons vu dans la première partie, les princes décidaient de la religion à adopter à l’occasion de leur avènement. Plus largement, le lien religieux dans la société allemande se traduit dans le livre blanc sur la sécurité dans lequel sept articles sont consacrés à l’existence de l’aumônerie militaire, son organisation et à son fonctionnement. 138 Les articles 746, 747 et 749 précisent : «L’aumônerie militaire est la contribution apportée par les églises - et souhaitée et appuyée par l’Etat - pour assurer la liberté de pratique du culte dans les armées… », « Chaque communauté religieuse a le droit d’organiser une aumônerie pour les militaires y appartenant… », « L’aumônerie militaire apporte une contribution à l’orientation religieuse et morale des militaires, surtout lorsqu’il s’agit de questions posant des cas de conscience. Cette orientation est donnée dans le cadre de cours d’éthique. »

Nous avons ici deux points particuliers, la politique et la religion, qui permettent de définir les approches différentes de la formation des sous-officiers, mais plus largement les soldats des deux armées. Ces considérations particulières illustrent des effets significatifs de la formation dans un environnement culturel national.

La notion de la neutralité, caractéristique du soldat des deux armées, émerge sous des formes différentes. Le sous-officier français peut ne pas avoir de formation politique dans la mesure où sa formation vise à s’inscrire dans une référence quasiment transcendantale. Quelle que soit l’appartenance politique, religieuse ou culturelle de son adversaire, les raisons qui fondent son action et qui l’orientent en même temps sont essentiellement le respect de la personne. 139 A ce titre, il doit dépasser ses convictions personnelles et ne peut s’exprimer sur ce sujet au nom « du droit de réserve. » L’armée française considère ainsi que la connaissance des cultures politiques ne contribue pas à une prise de conscience pour envisager la neutralité. Les caractéristiques de la neutralité sont précisées dans la Constitution française. Il s’agit des domaines politiques, philosophique et religieux.

Pour des raisons identiques, le sous-officier français ne reçoit pas de formation particulière en référence à la morale religieuse. Son engagement éthique repose alors sur la dimension humaine qu’il s’engage à respecter au-delà de tous les repères identitaires religieux y compris les siens. Considéré intégré dans la sphère privée, le domaine religieux est donc appréhendé sous l’angle de la laïcité qui est une forme d’acceptation de l’existence de toutes les religions.

Nous sommes là au cœur de cette étude puisque sous des différences voir des contradictions apparentes, l’article 749 du livre blanc de la Bundeswehr précise plus particulièrement : » Le travail des aumôniers n’est pas soumis à des instructions de l’Etat, il est réalisé au nom et sous le contrôle des Eglises. Il est respecté et soutenu par les supérieurs militaires. » La neutralité, posée a priori pour les militaires français, l’est aussi, a posteriori, pour les militaires allemands. Mais cette neutralité est différente dans la mesure où la formation dans la Bundeswehr se fonde sur l’expérience vécue développée par Finger. 140

Notes
137.

Document de synthèse d’une présentation de l’école des sous-officiers de l’armée de terre de Weiden, séminaire n°3, 1998.

138.

Livre blanc sur la sécurité de la République Fédérale d’Allemagne et la situation et l’avenir de la Bundeswehr, op. cit. p. 149 et 150.

139.

L’exercice du métier des armes : fondement et principes, armée de terre, op. cit. p. 19.

140.

FINGER (M). op. cit., pp. 39 à 46.