6. Des pratiques de formation différentes pour des intentions communes

Nota : les années sont données à titre indicatif.

ANNEES FRANCE ALLEMAGNE

A4
Préparation personnelle
Concours officier
éventuellement
Stage
De sous-officier supérieur
En Ecole d’arme. 3 mois

A5
Admission Officier dans les
Ecoles de Coëtquidan.
éventuellement
Stage de perfectionnement
En régiment
2 à 12 mois.
A6 Préparation personnelle
Stage chef de section
Cours par correspondance
A7 Stage de chef de section
Ecole d’arme. moyenne 3 mois
A8 Stage de chef de section
En école. 3 mois
A9
A10 Recrutement officier technicien
A11-12

A13
Préparation personnelle
Concours officier
Cours par correspondance
A14 Stage d’officier
Ecole application. 1 an
A15-16
A17 Séminaire de perfectionnement
Ecole 2 semaines
A18 Préparation personnelle
Concours major
Cours par correspondance
A19 Recrutement major
concours
A20-21
A22 Recrutement officier
Sur dossier
A23
A24 Séminaire de perfectionnement
Ecole 2 semaines

La comparaison de la formation des sous-officiers doit être complétée par une extension de la formation initiale car le déroulement de carrière influe plus particulièrement sur la fonction de ce corps et la considération portée à ses membres. Il s’agit en quelque sorte d’une formation continue des sous-officiers qui les fait évoluer dans la carrière selon une chronologie présentée ci-dessus.

Nous pouvons observer les passerelles qui permettent aux sous-officiers français d’accéder aux corps des officiers. L’inscription pour franchir ces passerelles traduit une volonté de réussir, et, les échecs ne génèrent pas de mépris de l’entourage. Cette possibilité accordée aux sous-officiers constitue une réelle opportunité de progression et une reconnaissance des valeurs intrinsèques. Ce système se fonde ainsi sur le mérite des postulants.

En France, elles permettent aussi de modérer l’esprit corporatiste, des saint-cyriens par exemple, en intégrant des individus d’autres origines sociales et de parcours scolaires différents. Les possibilités d’intégration dans le corps des officiers, étalées dans le temps, transforment les sous-officiers français en véritable modérateur de la structure humaine de l’armée de terre. En effet, promu au même grade de lieutenant, nous avons ainsi dans l’armée de terre, pour une fonction identique, des lieutenants ayant respectivement et approximativement ( en âge et en ancienneté de service en régiment) :

Recrutement

Officiers
De Saint-cyr
Officiers
« Semi-direct »
Officiers
« Semi-direct tardif »
Officiers
Méritants.
Age 23 ans 27 ans 32 ans 40 ans
Ancienneté 1 an 8 ans 13 ans 23 ans

Cette sorte de régulation sociale par le mixage et l’influence du milieu existe aussi chez les officiers de l’armée de terre de la Bundeswehr dans la diversité des possibilités de contrat ; cependant « l’ascenseur social » dans la Bundeswehr ne fonctionne qu’à une échelle extrêmement réduite.

Les sous-officiers de la Bundeswehr sont cantonnés dans une technicité qu’ils perfectionnent tout au long de leur carrière. Cette grande maîtrise de la technique sectorise l’organisation sociale en catégories diverses : elle préserve le corporatisme des officiers, elle entretient celui des sous-officiers et elle construit celui des militaires du rang. La formation des militaires du rang présente d’autant plus d’intérêt que tous les soldats allemands suivent cette formation. L’enracinement culturel demeure une réalité de l’éducation organiciste.

La structure humaine des soldats allemands et français est composée de trois corps : le corps des officiers, le corps des sous-officiers, les militaires du rang. Si les militaires du rang ne constituent pas un corps en soi, l’exercice de leur spécialité crée des éléments identitaires dans leur expertise, à faire valoir, éventuellement, dans le secteur civil lors d’une reconversion. Les encadrements respectifs les désignent comme des exécutants. Cela se traduit par une prise d’initiative réduite de leur part et une exécution technique de leur métier sans y donner un véritable sens social. C’est dans cette considération hiérarchique que sont formés tous les soldats de l’armée de terre de la Bundeswehr et française. La prédétermination sociale est cependant plus prononcée dans la Bundeswehr.

Au terme de ce chapitre, nous pouvons constater, d’une part, une cohérence entre la culture nationale et les structures de la formation et, d’autre part, une convergence entre les deux politiques de la formation. La délocalisation de la formation en Allemagne traduit l’intention de s’inscrire dans une démarche filiale avec une prégnance donnée à l’éducation des individus dans leur milieu. L’existence de la Bundeswehr est une forme d’agrégation des corps d’armée à l’instar de l’organisation de l’Allemagne fédérale. En revanche, le soldat s’identifie dans un régiment qui fait corps, d’où l’appellation « esprit de corps » qui détermine une identité collective. Cette situation développe concrètement la notion « d’être collectif » qui ne peut répondre explicitement au concept d’identité individuelle (unité, unicité, continuité). Malgré une politique d’ouverture de la Bundeswehr vers la société civile, sous contrôle des instances internationales, l’influence de l’idéologie romantique perdure dans l’organisation des structures et l’expression des mentalités. Les difficultés de promotion professionnelle du corps des sous-officiers vers le corps des officiers illustre cette situation. La contractualisation se réalise entre les unités militaires sans une influence remarquable sur l’identité collective des soldats.

Avec une organisation sociale en trois types de groupes sociaux (les officiers, les sous-officiers, les militaires du rang), l’esprit de corps est aussi très fort dans l’armée de terre française. 141 Cependant, son interprétation est différente de celle de la Bundeswehr dès lors que l’ascenseur social est un élément régulateur dans les différents corps. La contractualisation se pratique alors entre les hommes avec des effets de formation. Cette contractualisation est lisible, aussi, dans l’organisation des cursus en partant du général pour aller au particulier. L’apprentissage d’une technique est toujours postérieur à la compréhension raisonnée de son emploi. Il est fait appel à la réflexion avant l’action, ce qui doit, théoriquement, faciliter une pratique de l’intelligence en situation, en considérant les évolutions permanentes et l’imprévision des situations sociales. L’approche de la formation des soldats français s’inscrit donc dans les principes des Lumières.

Les deux types de filiation réapparaissent dans la formation des soldats de l’armée française et de la Bundeswehr. Comme les autres institutions de leur Etat-Nation, les deux armées entretiennent cette spécificité culturelle. Pour y parvenir, la formation est circonscrite à des objectifs attendus et les pratiques pédagogiques à l’œuvre en formation sont similaires. Ayant chacune leurs symboles particuliers d’identification, caractéristiques de leur Nation, les deux armées nationales développent un corporatisme favorisé par une reproduction sociale traditionnelle. Cependant, la contractualisation se pratique dans les deux armées et offre alors une ouverture sur la diversité que représentent les deux systèmes culturels.

Notes
141.

« La tripartition de la société date de la seconde moitié du XII° siècle :

Les clercs doivent prier,

Les chevaliers sans retard

doivent défendre et honorer,

Et les paysans labourer. »

Présentation par CORVISIER (sous la dir.), op. cit. tome 1, p. 75