5. Une formation mécanique et utilitaire des sous-officiers

Un document de formation à l’exercice du commandement dans l’armée de terre de l’armée française du début des années 90 précise le type de relations que doit établir un chef d’un niveau hiérarchique considéré. Si des méthodes de commandement sont décrites et imposent un commandement fondé sur la participation, il est énoncé que le commandement des militaires du rang repose sur un commandement par tâches. Les militaires du rang sont des exécutants. Cependant, la formation à l’exercice d’une fonction, quelle qu’elle soit, résulte d’une mise en conformité avec des attendus. Les cadres militaires sont alternativement des chefs et des formateurs ; la grande majorité forme comme elle commande, en donnant des ordres. Ainsi, en toute logique pour eux, les objectifs de formation reposent sur un contrat technique avec leur stagiaire dans une mise en conformité préétablie.

Dans la Bundeswehr, avec la réduction du service militaire à 10 mois, c’est en 1996 que le chef d’état-major de l’armée de terre a décidé de transmettre une nouvelle directive. 165 Elle fixe essentiellement les domaines de l’instruction des appelés. Elle concerne donc tous les militaires affectés, appelés ou engagés, officiers ou sous-officiers. Ces domaines d’instruction sont organisés autour de trois objectifs :

Ces objectifs ne présentent aucune ambiguïté quant à leur visée technique. Il s’agit de préparer les appelés à une fonction graduée et cumulative avec les autres fonctions, éminemment techniques. Le style à adopter pour conduire cette formation n’est pas précisément exprimé dans la directive. En effet, seules sont abordées : les activités pédagogiques et les relations entre les échelons intermédiaires qui agiront sur les stagiaires. Il est énoncé par exemple :

Cependant, les principes sont exprimés comme des injonctions. Cette disposition paradoxale se traduit par des contradictions. En effet, « le chef militaire doit être le premier à accepter charges et risques » puis « il doit convaincre en donnant l’exemple » et « il doit encourager l’esprit d’initiative et la créativité, notamment en ce qui concerne l’organisation de l’instruction. »

Ces prescriptions pourraient présenter une certaine cohérence si l’exemplarité était conçue comme paradoxale, c’est-à-dire si la pratique de l’encouragement à l’esprit d’initiative et à la créativité était une réalité et qu’elle constituerait un exemple à suivre. Mais le chef « doit faire participer activement tous les soldats en leur expliquant l’utilité des séances d’instruction. » Cette nouvelle prescription montre d’une part la démarche utilitaire de la formation mais elle explicite aussi la notion de participation qui ne consiste pas à développer la créativité mais qui exprime la participation physique des soldats.

Aussi, les directives invitent fermement au développement de l’implication des soldats dans leur propre formation tout en les conditionnant sans une réelle formation à la responsabilité par la réflexion. Cette modélisation est explicite puisqu’il est précisé qu’ « A l’issue de notre formation, nous devrons être en mesure d’affirmer que nous savons pour quoi nous servons. » 166

Cette formation repose donc bien sur une référence organiciste avec l’émergence du savoir à partir de l’expérience vécue qui nie, pour une part, l’appel à la raison par acquisition de savoirs à réinterpréter comme le préconise Michel Soëtard. 167

La formation des sous-officiers est donc naturellement objectivée et utilitaire puisque ce sont eux qui commandent les militaires du rang, voués à l’exécution des tâches. Leurs relations sont donc formelles et contraintes mais en cohérence avec les attendus sociaux et professionnels. Dans les situations de formation, les sous-officiers s’installent dans la reproduction sociale et les injonctions dans une pratique pédagogique du conditionnement.

Notes
165.

Directive relative à l’organisation de l’instruction des unités au niveau de la structure la nouvelle Armée de terre pour de nouvelles missions  : l’instruction et l’entraînement des appelés, Bonn, juin 1995.

166.

Ibid.

167.

DE LANDSHEERE (V.). op. cit., p. 3.