CHAPITRE 3
PAR-DELA LE « SOLDAT-CITOYEN » et « L’ARMEE DU PEUPLE », LA RECONNAISSANCE DE LA PERSONNE

En 1834, l’officier a été le premier français à recevoir le statut de fonctionnaire de l’Etat dans l’organisation sociale du pays. 173 Cette disposition le met à l’abri de l’arbitraire du pouvoir exécutif et, tout en gardant une liberté de la pensée, lui permet d’agir au nom de valeurs fédératrices. Elle visait ainsi à préserver une sorte de stabilité de la société militaire malgré les vicissitudes des hommes politiques attirés par le pouvoir. L’aspect mercenaire du métier militaire devait disparaître. Tout en étant un homme d’action, le militaire français serait animé d’un état d’esprit afin de dépasser la défense des intentions partisanes. Cette disposition impliquait la formulation d’une politique à portée générale qui transcende les aspirations individuelles. L’armée française devient l’armée de la nation, mais précisément de la nation « à la française. »

Comme l’armée française avant 1834, successivement Reichswehr puis Wehrmacht, l’armée allemande est un système de défense qui évolue au gré des changements politiques. En effet, les princes allemands avaient leur armée et au gré des changements, les militaires changeaient d’option ou étaient démis de leur fonction. L’action et la mise en œuvre de la technique militaire étaient donc privilégiées. Le militaire est dévoué et soumis à un parti pris, dans un esprit communautaire. Après la seconde guerre mondiale, l’armée allemande est devenue la Bundeswehr. Ainsi, l’armée de la République Fédérale s’inscrit dans une référence culturelle qui transcende les spécificités des Länder.

Les deux armées sont donc sorties d’un système communautaire dans lequel l’une et l’autre étaient animées par l’idéalisation d’une culture filiale. De même que les princes allemands possédaient leur armée, en France les colonels achetaient leur régiment avec un recrutement familial. Napoléon avait sa garde impériale et au fur et à mesure des conquêtes, il accordait un territoire à ses plus fidèles. La fidélité à l’empereur était d’ailleurs une vertu que chaque soldat devait entretenir jusqu’à la mort.

Aujourd’hui, en apparence, les deux armées sont similaires : elles constituent le bras armé des Etats pour la défense de leur pays qui a cependant un dispositif politique qui lui est propre. Considérant la conception organique et réaliste que défend le soldat allemand fondamentalement différente de la conception volontariste et idéaliste que défend le soldat français, mais considérant, en même temps, ces deux conceptions inséparables, il s’agit d’analyser les conditions qui permettent de les rendre complémentaires.

Notes
173.

La loi Soult du 19 mai 1834, CORVISIER (sous la direction), tome 2, p. 448.