3. La neutralité culturelle

Le premier critère repose sur la neutralité culturelle. Les dispositifs d’éducation, nous l’avons vu, sont des produits qui s’inscrivent généralement dans une filiation historique.

Dewey et Ardoino, mais aussi Weber, se posent la question à propos de l’influence de la politique sur l’éducation. 301 Avant eux, Pestalozzi rend compte des enseignements qu’il retient de son expérience. L’acuité de cette expérience lui donne du relief dès lors que Pestalozzi s’inspire de Rousseau qui définit le contrat social comme une solution au problème fondamental : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant. » 302

C’est ainsi que Pestalozzi traduit ses relations avec la politique en matière d’éducation : « Sans accorder foi à l’extérieur de la forme politique que la masse de ces gens pourrait se donner, je tins quelques idées mises à l’ordre du jour et quelques intérêts éveillés pour aptes à entraîner ici et là quelque chose de vraiment bon pour l’humanité. » 303

Cette rupture entre le politique et l’armée constitue alors un critère particulier qui devrait préserver l’intégrité culturelle du soldat comme cela fut le cas au milieu du XIX° siècle en France. En 1834, l’officier français a été le premier à recevoir le statut de fonctionnaire de l’Etat français dans l’organisation sociale du pays. 304 Cette disposition le met à l’abri de l’arbitraire du pouvoir exécutif et, tout en gardant une liberté de la pensée, lui permet d’agir au nom de valeurs fédératrices. Elle visait ainsi à préserver une sorte de stabilité de la société militaire malgré les vicissitudes des hommes politiques attirés par le pouvoir. L’aspect mercenaire du métier militaire devait disparaître. Tout en étant un homme d’action, le militaire français serait animé d’un état d’esprit tel qu’il pourrait dépasser des intentions partisanes. Cette disposition impliquait la formulation d’une politique à portée générale qui transcende les aspirations individuelles. L’armée française est devenue alors l’armée de la nation mais précisément de la nation « à la française. »

Aujourd’hui, le soldat de la paix est amené à agir en dehors des frontières de son propre pays. La liberté de penser du soldat de la paix devrait donc être préservée et garantie par le souci d’humanité à faire prévaloir sur toutes références politiques partisanes.

La formation des soldats de la paix repose donc sur une neutralité politique et dans un horizon d’universalité : le respect de la dignité humaine.

Cette neutralité doit être une réalité aussi dans le domaine religieux. 305 A Stans, Pestalozzi ne cache pas sa situation de réformé, il sait aussi que les références politiques et religieuse sont sources de méfiances et de craintes. Mais en aucun cas, il enseigne la morale ou la religion. Il focalise donc sa démarche éducative sur les relations humaines en cohérence avec son élément de médiation dans cette jachère des différences : promouvoir l’humanité.

La neutralité constitue donc un des principes pour la formation d’un soldat de la paix. L’éducation du soldat de la paix visera précisément à l’acquisition de cette neutralité qui devrait lui permettre de passer du stade égocentrique au stade de la contractualisation morale en développant sa capacité de jugement avec une volonté de vouloir vivre ensemble.

Notes
301.

ARDOINO (J.). – Education et politique, Paris, Anthropos, 1999, 392 p.

DEWEY (J.). – Démocratie et éducation, Paris, Armand colin, 1975 et 1990 pour la traduction française, 444 p.

WEBER (M.). – Le savant et le politique, Plon, 1959, union générales d’Editions, 1963, Paris, éditions 10/18, nouvelle impression 1994, 222 p.

302.

ROUSSEAU (J.J.), Contrat Social, Chapitre VI.

303.

PESTALOZZI. Op. cit. p. 11.

304.

CORVISIER (sous la direction de ), op. cit. tome II, p. 448.

305.

PESTALOZZI, Op. cit. p. 21 et 31.