4. L’attitude du formateur : facilitateur, mais aussi éducateur

D’une manière générale, les élèves, les étudiants ou les stagiaires attendent des recettes et se satisfont d’interventions magistrales. D’ailleurs, l’approche éducative fondée sur l’exemplarité et l’imitation est fortement ancrée dans l’institution militaire. 306 La formule » faites comme moi » est couramment utilisée par les formateurs militaires. Efficace dans la transmission de capacités gestuelles, cette approche pédagogique développe aussi une reproduction sociale qui détermine les individus dans un devenir fermé, sectaire et intolérant. Aussi, si l’instrumentation des individus aboutit à une capacité technique accrue, cette pratique produit des effets illusoires quant au développement du discernement, d’autant que les stagiaires se complaisent dans cette recherche d’identité collective. Les effets pervers de cette intention sont soulignés par Weber : « l’erreur qu’elle commet (la jeunesse) en ce cas consiste à chercher dans le professeur autre chose qu’un maître face à ses élèves : elle espère trouver un chef et non un professeur. » 307

Dans le même esprit, Pestalozzi met en garde l’éducateur : « l’homme veut si volontiers le bien, l’enfant lui prête si volontiers une oreille attentive ; mais il ne le veut pas pour toi, maître, il ne le veut pas pour toi, éducateur, il le veut pour lui-même. Le bien auquel tu veux le faire accéder ne doit pas être le fruit d’un caprice de ton humeur ou de ta passion… » 308

C’est une mise en garde de Pestalozzi. En effet, les élèves sollicitent des interventions formelles pour résoudre les problèmes que leur pose l’éducateur. Cette relation duelle incite alors l’éducateur à transmettre son savoir et, pour cela, il use de pédagogie sous toutes les formes dont la didactique qui devrait permettre de mieux faire absorber les connaissances par les élèves. Cette situation constitue d’ailleurs une situation valorisante et de séduction pour l’éducateur dès lors que les élèves deviennent dépendants de l’éducateur par l’entremise du savoir.

Cette mise en garde constitue donc une frustration pour les éducateurs dont le métier, selon Pestalozzi, ne peut être exercé que par des philanthropes. 309 Ce statut impose plus de devoirs que de droits envers les élèves et implique une posture d’accompagnement ou de facilitation.

C’est justement ce que Pestalozzi se fixe comme ligne de conduite à Stans. Il veut accompagner l’œuvre de la Bildung de chaque enfant sans la contrarier, sans la brusquer, sans la détruire. Il ne veut donc pas imposer ses connaissances mais il cherche ce qui est voulu, désiré, attendu par l’enfant. Il vérifie auprès d’eux si ce qu’il pressent correspond effectivement aux attendus. Si c’est le cas, sans fournir les concepts ou les solutions, Pestalozzi continue à expliquer et à montrer les bienfaits de l’objet de connaissance que l’élève recherche. Il fait de la pédagogie.

C’est ainsi que Pestalozzi laisse croître et fait s’exprimer l’expérience vécue (l’Erlebnis) de chaque enfant en échappant à la tentation forte de livrer la connaissance comme une imposition. Dans ce cas, l’éducateur n’impose pas le savoir c’est le savoir qui s’impose en répondant précisément à un besoin de l’enfant. Pestalozzi témoigne de ce savoir-faire pédagogique quand il affirme : « J’ai vu croître chez les enfants une force intérieure dont l’ampleur a dépassé de loin mes attentes, et dont les manifestations me remplirent d’étonnement autant qu’elles m’émurent. » 310

Un autre principe de la fonction du formateur, consiste à faciliter pour laisser croître les forces intérieures de chaque soldat de la paix. C’est donc à chacun d’entre eux de faire œuvre de leur Bildung pour que chacun fasse œuvre par lui-même. Le passage d’un état d’identité culturelle à un autre est alors garanti.

Cette posture du formateur écarte l’intervention magistrale qui impose aux stagiaires et aux élèves d’être seulement des réceptacles du savoir pour n’accomplir qu’une expérience du type expérimental. Cette démarche là présente d’autres vertus qui ne répondent que très partiellement aux attendus d’un soldat de la paix dont sa référence de départ se définit comme une référence singulière. Les avis très réservés sur la formation actuelle des soldats en milieu international confirme les limites de ces pratiques pédagogiques.

Notes
306.

Manuel de pédagogie militaire, op. cit.

307.

WEBER (M.), op. cit. p. 108.

308.

PESTALOZZI, op. cit. p. 19.

309.

Id. p. 11.

310.

Id. p. 33.