6. L’exercice de la mise en cohérence

La neutralité culturelle, la fonction de facilitation, la méthode raisonnée sont autant de critères de précaution pour l’éducation d’un soldat de la paix. Ils doivent être entretenus par un souci de cohérence qui se traduit en véritable exercice de remise en question pour le formateur.

La première préoccupation relative à la cohérence est en lien avec la méthode dès lors que l’on se pose la question sur le statut du savoir. Cette interrogation est nourrie par la remarque de Pestalozzi : « Tout devait découler non pas d’un plan préconçu, mais plutôt de ma relation avec les enfants. » 315 S’appuyant sur sa propre expérience, Pestalozzi précise que : « tout dépend de la façon dont chaque proposition se présente d’elle-même à eux comme vraie à travers la conscience qu’ils prennent d’une expérience intuitive rattachée à des situations concrètes. » 316

Le savoir acquis par les élèves n’est donc pas la restitution de mots venant de l’extérieur qui dans ce cas sont vides du sens à leur accorder dans une réalité. C’est d’ailleurs ce que Pestalozzi fait observer au lecteur quand il enchaîne : » Faute d’un tel arrière-fond, la vérité ne sera pour eux qu’un simple jouet, la plupart du temps encore inadapté et pesant. » Pestalozzi nous démontre que ce qu’il dit se fonde sur une réalité de son expérience. Pestalozzi n’exprime pas tant ainsi une expérience de type expérimental que son expérience vécue : l’Erlebnis.

Mais la restitution d’une expérience vécue qui n’a pas été élargie par les expériences de la vie, cette restitution ne relate que l’histoire individuelle qui pour autant qu’elle soit juste ne présente pas une dimension universelle et vraie.

Pour laisser croître l’expérience vécue, le savoir doit être alors une reconstruction opérée par les élèves eux-mêmes. Il en résulte, selon Pestalozzi, une vérité, celle que chacun d’entre nous apprend tout au long de sa vie en lien avec l’environnement dont celui de la formation : « Moi-même j’apprenais avec eux. » 317

Hameline confirme la nécessité de favoriser la reconstruction du savoir qui s’opère dans l’acte pédagogique : « Il faut à la fois qu’il soit emprunté « ailleurs » - là où il a été validé par les autres - et qu’il émerge « ici et maintenant », de ma propre saisie de ce que je fabrique et de ce qui arrive. » 318 Cette raison théorique se concrétisait dans une raison pratique de Pestalozzi dès lors qu’il indique : « C’est ainsi, qu’avant de parler d’une vertu, je faisais précéder mes discours par le sentiment vécu de chaque vertu ; car je tenais pour mauvais de parler avec des enfants d’une chose quelconque à propos de laquelle ils ne savaient pas eux-mêmes s’exprimer. » 319  

Cette reconstruction sociale est donc un impératif pour la formation d’un soldat de la paix. Ce savoir-faire pédagogique est en effet absent dans la mesure où on attribue aux connaissances un statut de savoir acquis qui doit être maîtrisé et qu’il faudrait donc transmettre. Ce à quoi les formateurs s’emploient dans une pratique pédagogique de conditionnement. Solidement ancrés dans leur référence culturelle originelle, les soldats d’une nationalité particulière, peuvent être en accord avec ces injonctions sans pour autant admettre que d’autres soldats le sont aussi, ce qui entraîne un désaccord entre eux.

Notes
315.

id p. 28.

316.

id p. 47.

317.

id p. 57.

318.

In Manifeste pour les pédagogues, collectif HOUSSAYE (J.), SOËTARD (M.), HAMELINE (D.), FABRE (M.), Issy-les-Moulineaux, E.S.F., collection pratiques & enjeux pédagogiques, 2002, p. 75.

319.

id p. 34.