3. 2. Les données de l’expérience de formation

A ce moment là, l’équipe des chercheurs m’a demandé de faire une intervention de 3h00 sur le thème de la culture militaire française et le code du soldat français. Cette confiance m’a été accordée après qu’ils aient eu connaissance d’une de mes interventions dans une présentation du style de commandement de l’armée de terre devant le Président de la République, dans l’exercice de ma profession. Dans l’esprit des séminaires de l’O.F.A.J., le contenu de mon intervention ne pouvait être négocié a priori ; cependant j’ai souhaité appliquer aussi ma méthode de travail. Il s’agit pour moi d’écarter le cours magistral et de présenter le thème sous forme interactive, ce qui m’a été accordé.

Pendant cette séquence de trois heures, j’ai donc l’opportunité de réaliser une « démarche formation » pendant laquelle je peux pratiquer une observation participante dans une démarche éducative qui met en présence des participants, a priori bien installés dans leur référence culturelle. Elle diffère d’une démarche interculturelle dans la mesure où un élément de médiation déterminant a été présenté : toutes réflexions et suggestions devraient passer au crible du respect de la dignité humaine. Je suis à la fois participant aux yeux de tous et à titre personnel, c’est mon centre d’intérêts, je suis « formateur-chercheur. »

La méthode que je mets en place en tant que formateur consiste à ne pas livrer le contenu du « code du soldat français » au début de mon intervention. Je pose l’hypothèse que les règles de comportement énumérées dans le code du soldat traduisent une logique humaine fondée sur la raison. Je fais donc le pari que des participants, aux références culturelles aussi diverses peuvent, ensemble, trouver les éléments d’un code spécifique à une armée non moins spécifique que l’armée de terre en France. Cette expérience est palpitante mais les risques sont restreints, à mes yeux, puisqu’il s’agit de reconstruire des éléments qui eux-mêmes sont le fruit des expériences humaines.

Bien que prospectif et injonctif le code du soldat français se fonde sur l’expérience et exprime des enseignements du passé. Chaque élément, présenté sous forme d’article – il y en a onze – est un élément de synthèse ou une conclusion consécutif d’une analyse de situation. Par analogie à une loi, chacun des articles peut paraître incompréhensible à celui qui n’établit pas de relation avec une situation existante ou un contexte dans lequel elle est opérante. Nul ne pouvant prévenir une situation par avance, une loi est donc toujours fondée sur un existant ou un ayant existé. L’évolution des sociétés et l’évolution des contextes créent des jurisprudences et elles rendent la loi caduque.

Le pari de reconstruire « le code du soldat » peut donc, raisonnablement, réussir dès lors qu’une situation est clairement établie au départ ou que certains participants possèdent dans leur réservoir de connaissances des situations qui peuvent justifier l’existence de ce code. Ainsi, les vécus individuels étant extrêmement divers, les explications des uns doivent favoriser l’ouverture des autres.

Au-delà d’une simple rencontre de sympathie, il faut envisager encore l’émergence de conflits non pas par faute d’explications mais par défaut de compréhension. En revanche, la réussite de cette expérience fournirait des éléments de savoirs éducatifs et une formation autogérée des participants sans imposition du savoir ce qui répondrait en même temps à une exigence pédagogique et à une référence philosophique qui préserve l’œuvre de la Bildung.

Cependant le nombre important de participants pouvait contrarier la réussite de cet objectif ; C’était une des raisons du mécontentement lors des premiers séminaires. Je décide donc de réaliser trois groupes de travail qui chercheraient à reconstruire le code du soldat. Ces trois groupes se rassembleraient en séance plénière pour échanger leur point de vue. Cette préparation d’intervention se termine quand j’organise les trois groupes, le plus harmonieusement possible, de telle façon que les détenteurs d’éléments identitaires, a priori similaires, soient répartis dans chacun des groupes.

Afin de prévenir les conflits, dans une certaine mesure, mon rôle de formateur reste alors à définir. Je prends le parti d’être un animateur dans une réunion avec un projet éducatif sans pouvoir en mesurer totalement les effets. Cette réunion constitue aussi un projet programmatique définit par un objectif à atteindre. Dans la monographie du projet programmatique, je décide donc de ne rien imposer en terme de contenu.

Mon rôle d’animateur se définit alors à partir de trois activités : la production, la facilitation et la régulation. La production rejoint le projet programmatique, je dois obtenir un résultat : des éléments du code du soldat. La facilitation consiste à gérer le temps de parole, à solliciter la production en demandant des explications complémentaires, en permettant les échanges. Les participants sont détenteurs du pouvoir de s’exprimer, la facilitation de l’expression doit permettre de centrer les propos sur le thème considéré et elle doit faire prendre conscience des digressions non pas en les signifiant mais en demandant d’établir des liens implicites avec le thème. La reformulation au sens empathique du terme doit me permettre la facilitation. La troisième activité, la régulation, doit prévenir les conflits entre les personnes qui, inévitablement, auront des points de vue différents. La mise en évidence de la richesse potentielle et de la diversité et doivent éclairer la régulation.

Je décide alors d’organiser mon intervention en trois phases. La première phase consistera à exposer, pendant dix minutes, une problématique du métier des armes dans une armée en pleine mutation. Cet exposé s’adressera à tous les participants. Il se terminera par une question à laquelle chaque groupe apportera une réponse : « En vous appuyant sur vos aspirations, quels sont les principes que nous pourrions donner au soldat français pour l’exercice de son métier ? »  La référence au respect de la dignité humaine sera rappelée comme un impératif intangible.

La deuxième phase sera conduite dans chacun des trois groupes. Elle consistera à apporter une solution à la question.

La troisième phase rassemblera les trois groupes. Chaque groupe fera part aux deux autres des résultats de ses travaux. C’est à ce stade que je décide de fournir le code du soldat français en y apportant quelques commentaires et en opérant une comparaison avec la production des groupes.