Conclusion

Etablir des fondements pour la formation d’un soldat de la paix, c’est postulé son existence et en définir les fonctions. Ainsi, le soldat de la paix devrait maîtriser les effets de son action, pouvant aller jusqu’à la destruction, par la graduation mesurée de ses interventions. Cela réclame une pratique de la médiation entre la situation qu’il peut observer comme déréglée, mais dans une évolution permanente, et l’idée qu’il se fait, individuellement, de la situation rétablie. Ce réajustement permanent de l’application des savoirs aux contingences des situations toujours particulières confirme l’inadéquation de toutes planifications d’actions préétablies.

Il en résulte que le soldat de la paix devrait pouvoir réinterpréter des savoirs explicites et implicites jusqu’à pouvoir produire des savoirs expérienciés pouvant infirmer les précédents. Ceci impose, pour la formation, de développer chez chacun des soldats de la paix la faculté de comparer des situations et de lui faciliter une prise de position sensée dès lors qu’elle est éclairée par le refus de soumettre les hommes à une volonté aliénante.

Pour le soldat, il en résulte un changement de statut. Le soldat de la paix n’est plus le soldat de sa nation, il devient le soldat considéré comme neutre et impartial sur le plan politique, philosophique et religieux. Or, cette position implique, pour le soldat, la disparition de la notion de Nation comme refuge identitaire. Cette situation est pour le moins paradoxale, car le soldat de la paix évoluerait au service d’un Etat qui est chargé de gouverner une nation sans que ce soit une référence identitaire pour lui.

Nous sommes là devant des observations communes à celles d’Habermas. 360 Selon lui : « à l’avenir, il s’agira précisément de savoir si nous en restons au statu quo d’une Europe intégrée par le biais du marché ou si nous souhaitons nous diriger vers une démocratie européenne. » 361 Habermas rejoint donc Touraine qui affirme que la renaissance des convictions démocratiques passe par l’avènement d’une démocratie culturelle. 362

Selon Habermas, le degré d’adhésion à la démocratie post-nationale se traduit par quatre positions : les eurosceptiques, les europhiles, les eurofédéralistes, les partisans d’une réglementation politique à l’échelle de la planète (Global Governance). Puis, il pose deux questions particulières : « les communautés politiques constituent-elles une identité collective au-delà des frontières d’une nation, et sont-elles de ce fait capables de satisfaire aux conditions de légitimité d’une démocratie post-nationale ? » 363 A ces questions, il affirme que si l’on répond négativement, l’Etat fédéral européen n’est guère réalisable. Et toute visée plus ambitieuse serait du même coup privée de fondement. Ces observations pourraient être une entrave à la conception du soldat de la paix. Il n’en est rien car, si l’on cantonne le soldat de la paix dans une référence identitaire européenne, nous pouvons en déduire aisément qu’à terme le « nationalisme européen » serait le refuge communautaire du soldat. Or, les références du soldat de la paix s’inscrivent bien dans une dimension universelle mais aussi perpétuelle de la paix comme Kant a pu la décrire. 364

Aux trois articles définitifs (un système républicain, une alliance des peuples, un droit cosmopolitique) kant ajoute dans les suppléments et appendices de son projet que l’Histoire favorise la paix car la guerre apparaît progressivement intolérable aux individus. Il défend aussi l’idée d’une « citoyenneté mondiale » puisqu’un individu possède des droits indépendamment de son appartenance à tel ou tel Etat.

Nous retrouvons donc ici les deux dimensions de l’expérience qui sous-tendent la formation par la production d’effets éducatifs : le temps et l’espace. Or, comme nous l’avons vu, si l’expérience vécue s’inscrit dans la dimension du temps sans que le formateur n’ait une influence directe, la dimension de l’espace est du ressort du formateur devrait pouvoir favoriser l’émergence du soldat de la paix par la mise en pratique de démarches pédagogiques telles que celles de l’O.F.A.J..

Notes
360.

HABERMAS (J.). – Après l’Etat - Nation, une nouvelle constellation politique, Paris, Fayard, 2000, 157 p.

361.

id. p. 33.

362.

« les fondements de la démocratie », Revue Sciences Humaines, n° 81, mars 1998, p. 32.

363.

HABERMAS (J.). op. cit. p. 91.

364.

DEKENS (O.), op. cit. 128 p.