CONCLUSION GENERALE

Cette étude a été organisée autour de la question centrale : Comment peut se concevoir la formation d’un soldat de la paix s’inscrivant dans une double référence culturelle, nationale d’une part et transnationale d’autre part ?

Cette question est apparue après avoir constaté qu’aujourd’hui, et précisément en Europe, le rôle d’une armée nationale déborde la sauvegarde des seuls systèmes nationaux. Les Etats-Nations engagent leurs soldats dans des opérations de maintien de la paix au-delà de leurs frontières et aux côtés d’autres armées. Des armées nationales sont regroupées dans des structures internationales, éphémères, sous le mandat de l’O.N.U.. Certaines armées sont intégrées aussi dans des organismes supranationaux tels que l’Eurocorps. Cependant, des obstacles subsistent. Ils se traduisent, pour l’Eurocorps par exemple, dans l’incapacité pour son Etat-major, stationné à Strasbourg, de pouvoir influencer ses propres structures internes qui demeurent sous commandement national.

Aussi, dans la mesure où la causalité nationale n’est plus qu’un des facteurs de l’engagement opérationnel du soldat, la formation ne peut échapper à cette évolution. Si l’aspect technique ne pose pas d’obstacles majeurs à une formation internationale, il en va tout autrement de la légitimité que les soldats peuvent donner à leur propre action militaire dès lors que leur armée se donne comme projet de défendre les intérêts et les valeurs portées par leur nation puisque leur système culturel peut être spécifique et singulier.

Pour éclairer cette étude nous avons emprunté le concept d’identité de H. Erikson repris par Hannoun. 365 Il précise que l’identité se détermine comme un système de sentiments et de représentations de soi à partir duquel la personne peut se définir, se connaître et se faire connaître. Il précise qu’une telle définition suppose trois attributs de l’identité :

Ces attributs - unicité, unité, continuité - marquent alors l’impossible assimilation d’un individu dans une autre culture sans son aliénation complète ou le rejet qui est une source de conflit. Dans cette référence, chaque soldat est unique, représente une totalité tout en s’inscrivant dans une filiation historique. Porteur d’attributs culturels, il est prédéterminé par le passé de ses ancêtres qu’il renouvelle dans son existence. L’identité individuelle est donc une construction personnelle. L’étude sociologique de plusieurs identités individuelles produit alors une identité collective qui est ainsi une construction théorique.

La préservation de l’identité individuelle apparaît donc inaltérable si l’on veut s’inscrire dans le respect de la dignité humaine. Elle prend du relief au cœur de notre question centrale, instrumentée dans le champ de la formation qu’il a été nécessaire de préciser.

La formation technique, qui fait appel à une acquisition gestuelle, ne présente pas d’intérêt pour cette recherche dans la mesure où l’origine culturelle n’a que peu d’influence dans ce domaine. Ce volet de la formation militaire appartient au domaine de l’instruction. En revanche, la formation du soldat dans l’utilisation de ses techniques est d’une autre nature. En effet, le mobile d’intervention du soldat réside plus dans un projet de sauvegarde de la nature humaine que dans la causalité nationale, qui demeure cependant la source de son identité culturelle. C’est précisément cet aspect éducatif de la formation qui a constitué le centre d’intérêt de cette recherche.

En conséquence, tout en respectant les éléments identitaires du soldat de la paix, sa formation devrait se concevoir dans le développement de l’aptitude à se déterminer par lui-même afin qu’il réalise des actions empruntes d’éthique.

A l’évidence, la formation traditionnelle, déterministe, ne prédispose pas particulièrement au développement de la prise d’initiatives nécessaires à l’exercice de cette fonction. La comparaison entre des éléments culturels différents, et ils le sont inévitablement dès lors que le soldat de la paix intervient à l’extérieur de son système national, s’inscrit dans une démarche positiviste. Nous tenons ces enseignements des effets l’éducation comparée. 366 La mise en évidence des différences culturelles présente des situations particulières :

Cependant, la connaissance de son propre référentiel, dans sa dimension conceptuelle, apparaît à la fois élémentaire et essentielle : il inspire les actions et les comportements. Il en va de même de la connaissance du référentiel de l’autre partie. Au lieu de considérer les éléments culturels de l’un et de l’autre comme des différences, il est possible de les considérer comme une diversité qui contribuerait à viser l’horizon d’une humanité. Ainsi, l’hypothèse principale a été formulée ainsi : une tension entre les différences culturelles n’interdirait pas la formation d’un soldat de la paix si les formateurs favorisaient, chez chaque soldat, l’émergence d’une conscience raisonnée de ses actes, inspirée et éclairée par le respect de la dignité humaine.

Cette architecture conceptuelle a donc permis d’observer deux systèmes culturels, celui de la France et celui de l’Allemagne en posant une première hypothèse secondaire que les structures des Etats répondent à des besoins sociaux qui traduisent une référence culturelle identifiable et particulière. En effet, nous pouvons remarquer que le contexte général des deux armées, l’armée française et la Bundeswehr, se caractérise par des conceptions, des structures et des organisations différentes. Installé dans un continuum, chaque pays entretient des relations humaines qui lui sont propres. Deux systèmes culturels sont donc en présence, et, bien qu’éclairées par la défense du respect de la dignité humaine, la France et l’Allemagne apparaissent cependant différentes et, parfois, opposées. Cette opposition à travers le temps s’est concrétisé par des affrontements guerriers pour défendre un idéal circonscrit à leur type de représentation du monde.

Le système français est attiré par la promotion de la dignité humaine celui de l’Allemagne aussi. Cependant l’organisation socio-politique exprime une approche culturelle de deux conceptions de la Nation. Les organismes institutionnels spécifiques à chaque pays abordent l’intégration de leurs ressortissants en relative cohérence avec leur conception de la relation de l’Homme avec son environnement. Il en résulte un rapport des armées avec leur nation, quasiment charnel, pour défendre les intérêts nationaux.

Le système de la France tente de se fixer un idéal de l’être humain quels que soient ses origines, son éducation et les éléments culturels qui peuvent le définir. Considéré comme une valeur absolue à défendre, l’Homme se pose au centre des préoccupations des institutions. L’approche culturelle est alors paradoxale et elle rend complexe la maîtrise des relations humaines dans la considération de la singularité de l’individu. La communauté humaine est alors une société ouverte qui tend vers l’universelle.

La volonté de vivre ensemble et l’adhésion à ce principe de société se traduisent par la notion du contrat. Les tentatives de rationalisation mécanique dans le domaine de l’humain deviennent incohérentes avec cette approche. Par ailleurs, la centralisation des décisions est un non-sens au regard de la référence conceptuelle fondée sur la responsabilité individuelle. L’histoire nous montre d’ailleurs que chacune des fractures socio-politique correspond à un excès de rationalisation et de mécanisme dans les relations au détriment de la préservation de l’idéal.

Le système défini en tant que peuple ou communauté considère, quant à lui, l’idéal humain comme une sorte de pureté de la filiation et de l'héritage génétique. L’identité collective est dominante et c’est celle-ci qui prévaut. Les repères culturels sont construits et ils se concrétisent par une approche réaliste. L’une des conséquences de l’application de cette approche culturelle vise à l’exclusion. L’approche clanique et ethnique de ce système culturel éliminent toutes les possibilités de coopération en dehors de toutes dominations et soumissions. Ce système organiciste récuse le contrat individuel.

La notion de progrès se concrétise dans le domaine économique et financier. Dans l’activité professionnelle, la socialisation est très forte. La culture d’entreprise et la formation technique sont confondues. L’esprit de l’entreprise se développe chez les personnels par contamination avec une référence au positivisme puisqu’il est localisé. La géographie physique, dans la définition des länder, est un des critères qui facilite les repères du positionnement culturel. Cependant tous les habitants de cet espace, défini et fermé, ne sont considérés d’une même culture que par filiation. L’individualisme prend une dimension collective avec une forte inclination pour les symboles. Le système fédéraliste exprime alors des principes d’union et d’alliance de groupe au détriment de l’activité individuelle.

Les organisations sociales, politiques, économique et d’éducation contribuent à pérenniser ces deux systèmes. Cependant, la dichotomie n’est pas aussi rigoureuse dans son application et des interpénétrations sont réelles dans la mise en oeuvre des deux systèmes. Après la Deuxième guerre mondiale avec une influence internationale limitée et contrôlée, et donc dans une démarche coercitive, la mise sous tutelle de l’Allemagne a fait évoluer les mentalités pour sortir du nazisme, qui est l’expression concrète d’un système culturel d’exclusion et, plus encore, d’extermination.

L’environnement culturel de chaque pays, héritage des Lumières pour l’un et du Romantisme pour l’autre, constitue donc le fond de tableau des systèmes de défense spécifiques, en particulier de l’armée française et de la Bundeswehr. Tandis que les politiques respectives cherchent à promouvoir la paix, les systèmes culturels demeurent différents, et, les institutions de chaque pays cherchent à préserver et à promouvoir leur système culturel ce qui tend à reproduire leur différence.

La différence de ces deux systèmes culturels devrait imposer des systèmes de défense non moins différents. C’est le cas, dans la mesure où les armées sont sous commandement national. Chaque armée est donc organisée pour défendre un système politique et une organisation sociale. Néanmoins, nous avons observé l’influence des instances internationales. Elles invitent les armées à s’inscrire dans une référence qui transcende les cultures nationales. Ancrée dans les Droits de l’homme, orientée vers les actions humanitaires, cette référence culturelle internationale vient en tension avec le système national (identité individuelle pour la France et identité d’un « être collectif » pour l’Allemagne) dès lors que celui-ci ne s’inscrit pas pratiquement et concrètement dans la première.

Le concept d’identité – unité, unicité, continuité – rend impossible la préservation identitaire des soldats d’une nation qui se trouvent en tension entre deux référentiels culturels auxquels s’ajoute le référentiel culturel de l’autre nation, alliée. Ainsi, la question centrale de cette recherche trouve son fondement ici : Comment peut se concevoir la formation d’un soldat de la paix s’inscrivant dans une double référence culturelle, nationale d’une part et transnationale d’autre part ?

Eclairé par notre deuxième hypothèse secondaireen favorisant l’instinct grégaire des individus, les organisations sociales favorisent l’agrégation des identités individuelles en identités collectives – notre questionnement a été prolongé pour envisager la perspective de la construction d’une défense européenne. Orientée par notre hypothèse principale – une tension entre les différences culturelles n’interdirait pas la formation d’un soldat de la paix si les formateurs favorisaient, chez chaque soldat, l’émergence d’une conscience raisonnée de ses actes, inspirée et éclairée par le respect de la dignité humaine – on a pu observer l’influence des deux systèmes culturels sur chacune des armées et les conditions conceptuelles qui inspireraient les fondements de la formation d’un soldat de la paix.

Chaque nation possède ses références culturelles qui, élevées au rang d’une identité collective, devient à la fois, la référence de l’armée et un intérêt majeur à défendre. Or, nous pouvons définir une théorie par la mise en dynamique des deux conceptions qui inspirent traditionnellement les deux systèmes culturels. En effet, chacune des conceptions éclaire une organisation sociale au regard de la considération portée à la nature humaine. L’une d’elle, celle de la Bundeswehr, repose sur l’idée que les soldats doivent se conformer à une organisation prédéterminée qui se définit dans une identité collective. L’intégration est un conditionnement valorisé par une connaissance historique et traditionnelle. L’autre, celle de la France, avance l’idée sur la nécessité de construire le tissu social à partir de la volonté des soldats qui devraient pouvoir apprécier les situations toujours imprévisibles.

Mais, la confusion est entretenue par les théoriciens si on les considère isolément. La théorie de Clausewitz considère, en effet, une contractualisation possible dans le « savoir-faire pratique » du métier dans la mesure où les raisons d’intervention sont dictées par le politique pour atteindre ses fins. Le but est la guerre totale et l’anéantissement de l’ennemi. Le soldat défend la politique du moment. Lyautey, quant à lui, développe une autre conception qui valorise la responsabilité individuelle en accordant au soldat une fonction d’éducation qui prévaut sur une fonction de guerre. La contractualisation estalors de l’ordre de la morale.

Dans cette perspective, chaque nation forme ses soldats au vu de leurs intérêts. Cependant, l’influence culturelle de chacun des deux systèmes sur la formation militaire demeure ambivalente. Si les structures matérielles et techniques relatives à la formation concrétisent les approches conceptuelles nationales dans chaque armée, les pratiques pédagogiques sont plus diffuses et entremêlées. Ainsi, l’application du concept d’identité individuelle à une organisation sociale développe-t-elle le corporatisme.

C’est pourquoi, il est possible d’attribuer des fonctions différentes à chacune des conceptions qui inspire les deux systèmes culturels. La contractualisation, critère d’une conception rationaliste, peut constituer l’assise d’une organisation sociale mais elle ne peut prétendre servir de fondement à la formation individuelle du soldat de la paix. En même temps, si la formation de la personne qui repose sur la Bildung érigée en organisation sociale développe le corporatisme et le sectarisme, elle est néanmoins considérée d’abord comme un processus de formation intériorisée de chaque soldat.

De ce point de vue, les conceptions de Fichte et de Renan ne s’opposent pas, elles se complètent par leur diversité. Elles ne devraient pas être considérées comme des conceptions d’une organisation sociale d’une nation mais elles s’inscrivent dans le champ de la formation pour l’une et dans le fonctionnement social pour l’autre. Ces deux attributions peuvent être admises dès lors que l’on introduit le respect de la dignité humaine comme élément de médiation dans l’usage qui peut être fait des deux conceptions. En formation, le respect de la dignité humaine consiste à respecter la construction identitaire de chaque individu qui est unique, qui constitue une unité et qui se développe dans une continuité. Il en résulte que dans une organisation sociale, le respect de la dignité humaine repose sur la reconnaissance des identités individuelles dans une acceptation de vivre ensemble. Ainsi, nous avons démontré que la formation est le fruit d’une expérience qui est une alchimie entre une forme d’expérimentation (Erfahren) qui se rapporte à l’espace, et l’expérience vécue (Erlebnis) qui est produite par le temps.

Ainsi, le soldat de la paix devra faire appel à la raison dans la pratique de son métier et dans la mise en œuvre des armes. Mais, en amont de cette pratique, le soldat de la paix devra faire appel à une raison théorique relative à l’exercice de son métier qui viendra éclairer la pratique de son métier. Au vu du concept d’identité – unité, unicité, continuité – cette raison ne peut être une rupture avec son identité originelle, mais elle est un élargissement de son état culturel qui lui facilitera l’acceptation des différences. Elle devra aussi lui permettre de favoriser l’acceptation des différences par les belligérants entre lesquels le soldat de la paix devra s’interposer.

C’est précisément ce passage de l’état culturel originel à un état culturel élargi qui constitue l’acte pédagogique de la formation du soldat de la paix. Il ne peut se réaliser sans les fondements de l’éducation des soldats de la paix. Pour les aborder, nous avons posé une troisième hypothèse secondaire qui postule l’introduction d’un impératif en tant qu’élément de médiation d’une démarche comparative favorise l’accès à l’autonomie et préserve l’identité individuelle.

Cette observation permet de définir le soldat de la paix, qu’il soit allemand ou français. Le sens à donner à son engagement n’est plus, dans ce cas, la défense de sa propre nation mais celui du respect de la dignité humaine qui inspire son action. Infliger une destruction et atteindre ainsi la dignité humaine ne peut donc se réaliser que pour faire pièce à la violence qui, elle-même, serait installée dans le processus d’une atteinte à la dignité humaine. Cette dignité humaine n’étant pas une autre mais unique. Portée dans chacun des êtres humains singuliers, elle se définit alors dans une dimension universelle. L’emploi de la force devra donc faire appel à la raison et dépasser les sentiments, en particulier ceux d’une appartenance communautaire.

Dans cet entre deux, il s’agit de partir d’une situation naturelle, restreinte et circonscrite pour atteindre une dimension supranationale, voire universelle c’est-à-dire : Faciliter l’élargissement de l’état culturel qui caractérise l’identité individuelle du soldat de la paix. Considéré à tort comme une rupture, ce passage ne peut donc pas être le résultat d’une intervention extérieure mais il ne peut, non plus, s’opérer sans elle.

L’espace et le but de l’acte pédagogique ont été définis comme un passage des sentiments vers la raison. Ainsi, le soldat de la paix devrait maîtriser les effets de son action, pouvant aller jusqu’à la destruction, par la graduation mesurée de ses interventions. Cela réclame une pratique de la médiation entre la situation qu’il peut observer comme déréglée, mais dans une évolution permanente, et l’idée qu’il se fait, individuellement, de la situation rétablie. Ce réajustement permanent de l’application des savoirs aux contingences des situations toujours particulières confirme l’inadéquation de toutes planifications d’actions préétablies.

Il en résulte que le soldat de la paix devrait pouvoir réinterpréter des savoirs explicites et implicites jusqu’à pouvoir produire des savoirs expérienciés pouvant infirmer les précédents. Ceci impose, pour la formation, de développer chez chacun des soldats de la paix la faculté de comparer des situations et de lui faciliter une prise de position sensée dès lors qu’elle est éclairée par le refus de soumettre les hommes à une volonté aliénante.

Cette production de savoirs pédagogiques repose sur un savoir-faire pédagogique pratiquée dans l’expérience que Pestalozzi a conduit à Stans. Cette démarche profondément humaniste répond au fondement du soldat de la paix qui, dans ses attitudes, dépassent tous les clivages culturels. Pestalozzi met en évidence un mouvement entre le cœur, la main et la tête. Ce mouvement traduit la nécessité de partir d’une situation naturelle et d’ordre communautaire (le cœur) pour être capable de faire appel à la raison (la tête) après une intervention pédagogique, (la main). Cette méthode implique des précautions telles que la neutralité du formateur, la pratique d’une fonction de facilitation en formation et la mise en œuvre d’une méthode raisonnée.

Mais plus qu’une méthode, la démarche de Pestalozzi est un savoir théorique dont l’utilisation vise à faciliter l’expression de l’expérience vécue de chaque soldat de la paix afin d’élargir son état culturel.

Ainsi, l’obstacle à résoudre réside dans la nature de l’expérience qui produit des savoirs. Cette production ne peut s’inscrire dans une expérience de type mécanique ou dans la reproduction de savoirs. La formation est alors du ressort du soldat de la paix lui-même dans un statut d’apprenant. Cette formation articule donc trois processus – l’instruction, la modélisation et l’éducation – qui résultent de l’articulation de trois points d’appui : le formateur, l’apprenant, l’environnement. La tension entre ces trois processus, garantie par le formateur, constitue la formation. Cependant, l’intention du formateur peut se traduire par une normalisation contre laquelle il doit s’opposer dans ses pratiques.

La valorisation de l’expérience vécue par le formateur réside alors dans l’utilisation de la « comparaison sensée » en tant que savoir-faire pédagogique. Le formateur facilite l’intégration du savoir du soldat de la paix, théorique ou pratique, puis il montre que celui-ci accueille aussi d’autres savoirs qui sont opposés en apparence alors qui sont des éléments constituants donc complémentaires. Cet espace théorique plus large sert d’élément de médiation non pas pour amputer le savoir originel mais pour l’élargir. La production de cette réflexion pose la question des processus de socialisation et de la mise en œuvre des procédures. Les démarches pédagogiques de l’O.F.A.J. constituent un modèle qui pourrait mettre le corps d’armée européen au service de la paix en s’appuyant sur les enseignements que procure le fonctionnement social de la brigade franco-allemande.

C’est ce que nous avons analysé après l’observation participante dans le programme de l’O.F.A.J.. L’expérience de formation a mis en évidence une production de savoirs inhérents à un savoir-faire pédagogique expérimental. L’approche partisane de chaque participant, reflet d’un état culturel singulier, a été dépassée par l’introduction d’un élément de médiation : le respect de la dignité humaine. En accédant à un certain degré de raison, ils ont pu reconstruire des règles de comportement du soldat que l’armée de terre enseigne à ses soldats. Nous pouvons convenir que les savoirs acquis, inscrits dans la mémoire collective, sont en réalité à reconstruire pour une prise de conscience de leur réalité sociale.

Le modèle de formation présenté trouve nécessairement des limites. L’une d’elle réside probablement dans le choix que le soldat de la paix et le formateur dans l’action ont à faire entre la nécessité et l’essentiel. A cette dimension de l’espace Kant ajoute la dimension du temps pour que la Bildung fasse son œuvre. La médiation par le respect de la dignité humaine appelle alors la raison pour atténuer les passions sans jamais pouvoir atteindre la perfection idéale dans l’adéquation entre l’action et l’intention.

Notes
365.

HANNOUN (H.). – « L’intervention éducative dans le conflit identité-intégration », Revue Penser l’éducation, n°2, 1996, p. 61.

366.

GROUX (D.) et PORCHER (L.).- L’éducation comparée. Paris, Nathan, 1997, 152 p.