ANNEXES

ANNEXE 1 :
Conférence du lieutenant-colonel Weinberg : « le concept de l’Innere Fürhung » dans la Bundeswher, 28-11-2000

L’Officier de Liaison allemand F – 56381 G u e r – Cedex, 28. 11. 2000
auprès des Écoles de Coëtquidan Tel.: 02 97 73 52 84
Der deutsche Verbindungsoffizier Fax : 02 97 75 83 16
an den Französischen Heeresoffizierschulen Aus D: 00 33, ohne 0
BwKz: 90 9533 821 563 52 84
P.N.I.A. : 821 563 52 84

Le concept d’Innere Führung

Adresse,

le Commandant H a r d y m’a demandé de vous parler de « la culture militaire » de mon pays, c'est-à-dire de la culture militaire allemande.

C'est avec grand plaisir que j'ai accepté cette invitation, car je suis convaincu qu’une connaissance mutuelle des partenaires est la condition « sine qua non » d’une coopération en temps de paix comme en opération. La défense européenne prend forme de plus en plus précise. Ce qui nous fait obligation de profiter de toute occasion pour améliorer nos connaissances mutuelles même et surtout dans le domaine de la culture militaire.

Malheureusement je ne maîtrise pas suffisamment votre belle langue pour parler librement sans papier et d'avance je vous prie de m’en excuser.

Le mots clé qui caractérise à mon avis parfaitement la culture militaire de l’armée allemande, c’est le mot « Innere Führung ». Et je suis venu ici afin de vous parler de ce concept, partie intégrante des forces armées allemandes.

Le premier problème qui se pose est celui de l’appellation elle-même. On ne peut pas traduire mot par mot, car « Conduite ou Commandement » avec « intérieur » ça ne donne pas beaucoup de sens. On a aussi tenté de le traduire autrement et vous avez peut-être déjà entendu des versions telles que « formation morale et civique » ou « conduite du milieu militaire ».

Mais ces traductions ne rendent qu'incomplètement l’ambitieux projet de ce concept et je vous propose donc d’en rester au terme allemand.

Je vais maintenant faire mon possible pour que cette notion d’Innere Führung prenne corps et âme devant vous.

La Bundeswehr est – comme l’armée française et beaucoup d’autres – une armée dans une société démocratique.

Cette phrase contient deux notions qui renferment des éléments assurément contradictoires, et l’on est porté à penser à première vue que les principes démocratiques de liberté et les principes d’ordre inhérents aux impératifs hiérarchiques et fonctionnels – principes qui sont propres aux forces armées – s’excluent mutuellement.

Folie an ! !

Et tel est bien le problème principal de chaque armée dans une société démocratique: assurer l’indispensable primauté de la politique dont la légitimité est fondée sur les principes de la démocratie, et en même temps garantir l’intégration de l’armée dans l’Etat et la société en donnant aux soldats le plus grand nombre possible de droits civiques sans risquer de troubler le fonctionnement de cette armée.

Folie aus ! !

Les solutions que les nations ont trouvées sont forcément toutes différentes, car tout diffère d’un pays à l’autre: l’évolution historique , les bases du droit constitutionnel , l’attitude de la population face aux questions de la défense nationale.

L’Allemagne a pu, quant à elle, se forger au cours des 45 dernières années une expérience au contact de forces armées intégrées dans un Etat démocratique. C’est à partir de l’analyse de ces expériences que je vais vous présenter aujourd’hui les principes fondamentaux de ce que nous appelons l’Innere Führung. Et pour parler de l’Innere Führung, j’aurais aussi bien pu adopter comme titre de mon exposé « Le citoyen en uniforme ».

En effet, les deux concepts sont synonymes car c’est au niveau du modèle de Citoyen en uniforme que se concrétisent l’ambition et le rôle de l’Innere Führung.

Mais où se trouvent les racines de ce concept ?

La création du concept d’Innere Führung s’inscrit dans le cadre de la mise sur pied en Allemagne au début des années cinquante de nouvelles forces armées, elle est donc complètement liée à la création de la Bundeswehr.

Lorsque la jeune République fédérale se donna , en 1949, une Constitution totalement « neutre » par rapport au monde militaire, elle suscita, ce faisant, les antagonismes naturels existant entre l’armée et la société pluraliste, antagonismes que l’on s’efforça d'atténuer en arrêtant des dispositions adéquates, notamment pour le domaine de la législation militaire.

Le but de ces mesures était de faire en sorte que cette image de l’homme, telle qu’elle transparaît à travers les textes de notre Constitution, se concrétise aussi dans le milieu militaire et devienne ainsi pour le soldat le modèle à suivre, la norme officielle.

On voulait amener le soldat à devenir par lui-même citoyen en uniforme en restreignant ses droits constitutionnels de citoyen uniquement là où ceci s’avérait nécessaire pour garantir le fonctionnement des forces armées.

C’est précisément à ce point qu’intervient dans cet univers d’idées et de principes notre concept d’Innere Führung.

Il s’agissait donc alors, comme il s’agit encore aujourd'hui, de mettre en harmonie les droits fondamentaux du citoyen et l’indispensable structure hiérarchique de cette armée qui – évidemment et malgré tout – doit toujours fonctionner selon les principes d’ordre et d’obéissance.

En d’autres termes, l’objectif de notre Innere Führung est de conjuguer le système de valeurs et de normes de la Constitution avec les principes de commandement, d’instruction, de formation et d’éducation en vigueur dans les armées.

On ne peut donc pas, comme on l’a fait souvent et à tort, définir ce concept comme étant une discipline spéciale de la formation, ou un élément spécifique au sein de l’organisation des armées.

Non, l’ensemble des principes qui sous-tendent ce concept intervient à tous les niveaux, partout où il s’agit de commander, de diriger, de conduire, d’encadrer et d’éduquer.

En devenant ainsi le principe fondamental régissant tous les aspects du commandement et du comportement au sein des armées, cet ensemble de principes marque et anime, en tant que tel, tout le service militaire dans la Bundeswehr. Pour employer un terme du monde économique : c’est la « culture de l’entreprise » de la Bundeswehr.

Mais, qu’est-ce que cela signifie dans la pratique ?

Le nombre de cas où l’Innere Führung détermine la vie courante dans notre armée étant illimité , je me concentrerai sur quelques exemples.

Tout d’abord: la conduite des hommes ou le style de commandement.

La conduite des hommes est d’une importance primordiale, c’est la raison pour laquelle je la cite en premier lieu.

Elle intervient dans tous les domaines et elle est l’un des éléments essentiels permettant de concrétiser dans la pratique de la formation et des missions les principes de notre concept d’Innere Führung. Elle contribue ainsi à ce que ces mêmes principes deviennent perceptibles et soient expérimentés dans tous les domaines du milieu militaire.

La conduite des hommes se place ainsi au centre de tout acte de commandement et devient par là-même la base décisive de l’accomplissement de la mission. Elle doit faire ses preuves dans un contexte empreint d’antagonismes, un contexte où elle se trouve prise entre les exigences fonctionnelles de la mission militaire, d’une part, et l’impératif du respect de la personne du soldat et de ses aspirations justifiées de citoyen, d’autre part.

Elle exige de la part du chef une attitude positive et ouverte, une attitude qui tient compte des intérêts personnels du soldat ; elle s’adresse au cœur autant qu’à l’esprit.

Le succès dans la conduite des hommes est fonction du climat de confiance qui règne entre le chef et ses subordonnés . Ce climat sera assuré chaque fois que le chef par son aptitude à communiquer, par l’attention toute personnelle qu’il porte à ses subordonnés, par sa disposition à collaborer en tant que partenaire, par l’accomplissement consciencieux de son devoir et grâce à sa compétence en tous domaines convaincra d’une part ses soldats de ses authentiques qualités de chef et sera à même d’autre part de leur expliquer le sens de leur mission et la façon dont celle-ci s’insère dans des contextes plus vastes.

C’est de cette manière que la conduite des hommes devient en même temps la clé du dévouement en pleine confiance ainsi que de la cohésion d’une unité militaire qui pour les soldats peut ainsi devenir une sorte de terroir.

Un deuxième exemple est la formation civique où s’appliquent tout particulièrement les principes de base. Elle a pour but de faire vivre aux soldats l’ordre des valeurs défini par notre Constitution. Elle ne doit pas se limiter à débiter de façon stérile des leçons toutes faites ,car la formation civique bien comprise signifie vivre et faire vivre les principes-mêmes de la démocratie.

Le modèle du « citoyen en uniforme » implique aussi, entre autres, que le soldat soit informé dans le domaine politique, qu'il s’intéresse à son environnement social, qu'il soit soucieux de parfaire sa culture et d’accroître ses connaissances.

S'il atteint ces objectifs , la nécessité et le sens profond du service au sein des armées se révéleront au soldat. C'est sur son intime conviction que se fondera alors ce service. Ce qui est décisif, en fait, pour la formation civique des militaires, c’est que, dans l’accomplissement quotidien de leur service , on leur fasse vivre en permanence les principes civiques.

A une époque où la cogestion fut introduite dans le monde économique, des institutions qui permettent à chacun de protéger ses droits personnels et qui lui donne la possibilité de s’exprimer ont été créées dans la Bundeswehr dès le début de sa fondation.

Voilà quelques-unes de ces institutions :

L’homme de confiance:

Elu dans chaque unité élémentaire au niveau des hommes de rang et des sous-officiers et dans chaque bataillon / régiment au niveau des officiers, il a le droit de soumettre à son supérieur disciplinaire des propositions sur

  • + le service intérieur
  • + l’aide sociale
  • + la promotion professionnelle et
  • + la vie en dehors du service.

Le supérieur doit le convoquer pour discuter les propositions qui lui ont été faites et pour motiver un refus.

En cas de punition ou pour décerner des félicitations, le supérieur disciplinaire est obligé d’entendre et de tenir compte de l’avis de l’homme de confiance.

Le Délégué parlementaire à la Défense

Elu par le Bundestag, notre assemblée nationale, pour 5 ans, il est chargé d’aider le parlement à contrôler la défense et de protéger les droits constitutionnels du militaire.

Tout soldat, comme tout employé civil a le droit de lui soumettre directement ses doléances sans passer par la voie hiérarchique.

Quant à lui, il a le droit de visiter sans être annoncé à l'avance toutes les unités, les écoles et installations de la Bundeswehr pour s’informer directement de la situation réelle.

Encore quelques mots de deux droits spécifiques qui existent dans la Bundeswehr :

le droit d’adhérer à des syndicats

Chaque militaire et civil de la défense a le droit d’adhérer à un syndicat de son choix, à toutes les associations et même aux partis politiques.

Le « Bundeswehrverband » est une association qui représente et défend les militaires et les civils de la défense vis-à-vis du ministère de la défense et du pouvoir législatif sans avoir pour autant le droit de grève – mais c'est le cas de tous les autres fonctionnaires aussi.

Si vous voulez, le Bundeswehrverband est une sorte de lobby des militaire.

l’éligibilité aux différents parlements fédéraux et régionaux

De nombreux militaires sont présents dans les différents parlements .

Voici le nombre de militaires titulaires d’un mandat politique au début de cette année:

  • 7 au Bundestag
  • 17 aux parlements régionaux (Landtage)
  • 1343 aux assemblées communales.

L’activité politique des militaires souligne le degré d'intégration de la Bundeswehr dans la société. Ces activités politiques trouvent cependant leurs limites dans la loyauté particulière que les militaires doivent à l’Etat, les restrictions correspondantes étant fixées par la Constitution et par la loi sur le statut juridique des militaires. Ainsi toute activité politique en faveur ou au détriment d’une tendance politique déterminée est-elle interdite pendant les heures de service et à l’intérieur des installations militaires. Cette restriction, imposée par le législateur, est indispensable pour ne pas compromettre la solidarité et l’esprit de camaraderie militaire, prémisses de la discipline et de la valeur opérationnelle des unités. Pour éviter de mettre en cause la neutralité politique de l’institution, il est strictement interdit à tous les militaire d’assister au manifestations politiques en tenue militaire.

Après les quelques exemples concrets montrant l’influence du concept d’Innere Führung sur tous les domaines de la vie militaire, permettez-moi maintenant, Mesdames et Messieurs, en guise de conclusion de résumer mon sujet :

Le concept d’Innere Führung est appelé à faire ses preuves partout où naissent des antagonismes entre les contraintes, les impératifs restrictifs mais indispensables pour assurer le fonctionnement de l'armée et la discipline militaire, d’une part, et les droits dont le militaire-citoyen en uniforme peut se prévaloir ainsi que ses aspirations en ce qui concerne l’organisation de ses libertés personnelles, d’autre part.

Il s’ensuit que c’est un concept à la fois exigeant et dynamique, un concept qui doit continuellement être recréé dans le monde réel où il est appelé à exister.

Il est particulièrement exigeant en ce qui concerne le comportement qu’il demande au chef d’adopter chaque fois qu’il s’agit de diriger, de conduire, de commander, d’encadrer ou d’éduquer et on peut par conséquent le considérer d’une manière très générale comme étant un principe fondamental régissant tous les aspects du commandement et du comportement.

Un principe qui est s'inspire de l’image de l’homme et l’ordre de valeurs tels qu’ils transparaissent à travers les textes de notre Constitution.

C’est un principe directeur qui a fait ses preuves dans la vie militaire courante et – élément capital – pendant toutes les opérations menées par la Bundeswehr à l’extérieur de notre pays au cours de ces dernières années.

Depuis 45 ans, les militaires de tous niveaux « ont grandi » avec ce principe et, de ce fait, les objectifs et le rôle de l’Innere Führung ne font plus l’objet d’aucun litige au sein de la communauté militaire.

Je ne veux pas dire par là qu’il n’y a plus de problèmes. Il suffit de se reporter au rapport annuel du Délégué parlementaire à la défense pour s’apercevoir que, de temps à autre, ça et là, il existe un fossé entre l’ambitieux projet et la réalité.

Mais, en adoptant ce concept, la Bundeswehr s’est dotée d’une nouvelle « culture d’entreprise » et, pour ma part, je suis persuadé qu’aujourd’hui comme à l’avenir ce concept apportera une contribution décisive aux défis auxquels se trouvent confrontée l’armée allemande au début du 21° siècle.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie vivement de votre attention même si c’est devenu par sa longueur un vrai discours allemand.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à me les poser directement, si votre programme le permet.