ANNEXE 2
« L’EXERCICE DU METIER DES ARMES DANS L’ARMEE DE TERRE : FONDEMENTS ET PRINCIPES », janvier 1999. Texte fondateur de l’armée de terre française

L’EXERCICE DU METIER DES ARMES DANS L’ARMEE DE TERRE

FONDEMENTS ET PRINCIPES

  Etat-major de l'Armée de terre

Paris, janvier 1999

LE GÉNÉRAL

CHEF D'ÉTAT-MAJOR DE L'ARMÉE DE TERRE

4 Janvier 1999

La Refondation de notre Armée de Terre est globale.

Chacun aura compris que son champ d’action s’étend bien au-delà des mesures de professionnalisation et d’organisation et que, en réalité, c’est bien une nouvelle Armée de Terre que nous construisons ensemble.

Pourtant, il m’est apparu que l’œuvre entreprise n’était pas complète et qu’il y manquait l’essentiel, la clé de voûte qui assure la stabilité de l’édifice, le supplément d’âme qui donne un sens à l’action.

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité la réalisation de ce document, texte fondateur indissociable de la Refondation qui doit permettre à chacun d’entre nous de situer sa place et son rôle dans l’institution, mais aussi en dehors d’elle.

Ce document est un guide.

Je souhaite qu’il vous soit utile et qu’il éclaire votre engagement au service de la Nation.

PHILIPPE MERCIER

  • Ce document n'est pas un règlement : il est un guide pour la réflexion et pour l'action. Comme tel, il doit être étudié, commenté, exploité à tous les niveaux, préférentiellement dans les écoles et au sein des régiments. Il doit inspirer l'ensemble des directives données dans tous les domaines qu'il recouvre.
  • S'inscrivant dans un univers particulièrement mouvant, il doit rester vivant. Les fondements réaffirmés et les principes énoncés sont, pour l’essentiel, des reformulations nécessitées par l’ampleur des changements de la fin du siècle. Une telle démarche pourrait se révéler à nouveau nécessaire.
  • En tout état de cause, ce document constitue la référence éthique sur laquelle se construira l'Armée de terre nouvelle au service de la France.

Préambule. L'Armée de terre française est une communauté d’hommes et de femmes qui peut exiger de chacun, dans des situations extrêmes, un engagement total au service de la mission. Cette singularité impose, pour inspirer l'action, de disposer de convictions fondées sur des références assurées.

Le XXe siècle, pour l'essentiel, aura procuré ces références.

C'est vrai avec la IIIe République qui instaure l’armée, profondément structurée autour de la conscription, comme l’un des piliers de la nation. Dans le même temps, le sursaut conceptuel qui fait suite au désastre de 1870 en fait, comme l'écrit le général de Gaulle dans ses Mémoires, "la plus belle chose du monde". Le point d'orgue est atteint avec la Grande Guerre et les immenses sacrifices consentis pour la défense de la Patrie et la victoire finale, à la faveur desquels l'armée apparaît alors comme le creuset de l'unité nationale et le garant de la liberté et de la grandeur de la France. Les traditions les plus fortes de la plupart des régiments de l'Armée de terre en portent témoignage.

C’est tout aussi vrai, sous d'autres formes, des décennies 1960-1990 marquées par la Guerre froide, à l'ombre de la dissuasion nucléaire, après les épreuves de la Deuxième Guerre mondiale et des conflits de la décolonisation qui ont pu parfois ébranler les certitudes.

L'armée conforte alors son rôle de rempart de la cité ; elle est la garante de l'indépendance et du rang de la France dans le monde, à travers une stratégie de dissuasion nucléaire que l'Armée de terre, armée de conscription, contribue à crédibiliser par l’engagement de son corps de manœuvre. Dans le même temps, pour une part, elle est un acteur important du rôle de la France dans le monde et notamment en Afrique.

Le système alors construit est marqué par une forte cohérence, face à un ennemi potentiel clairement identifié et dans un cadre doctrinal dûment formalisé. L'organisation des forces qui en découle, préfigure dès le temps de paix l'engagement ultime, immédiat, tous moyens réunis. L'exercice du commandement et les comportements à tous niveaux s'inscrivent dans une grande continuité, même si la fin du conflit algérien et l'émergence d'une société marquée par de puissantes aspirations individuelles conduisent à des reformulations à travers le Règlement de discipline générale de 1975, et les directives du général Lagarde élaborées entre 1975 et 1980. Rarement, sans doute, le système que constitue l'Armée de terre se sera montré aussi cohérent.

  • Aujourd’hui, s’imposent des références, notamment éthiques, adaptées aux réalités de cette fin de siècle et propres à inspirer les comportements.

Ces temps sont désormais révolus et la dernière décennie du siècle est marquée par une véritable rupture. Cette rupture affecte d'abord le contexte géopolitique des relations internationales. La disparition de l'Union soviétique et de la menace massive qu'elle représentait laisse la place à un monde chaotique, marqué à la fois par la domination d'une superpuissance unique et par la résurgence et l'explosion de violences multiformes longtemps contenues. Simultanément, la mondialisation de l'économie et des échanges, la Révolution de l'information, conséquence d'une véritable mutation technologique, et la poursuite de l'édification d'un ensemble européen plus interdépendant, posent la question de l’identité nationale en des termes nouveaux.

L'action militaire perd ainsi ses repères antérieurs : les menaces contre le territoire national se font beaucoup moins perceptibles. Dans le même temps se multiplient des interventions extérieures, le plus souvent dans le cadre de coalitions ou d'organisations internationales, dans des conflits s'apparentant à des guerres civiles, sans adversaire clairement désigné.

Les armées, et notamment l'Armée de terre, s'adaptent à ce nouveau contexte par des transformations dont l'ampleur se mesure à l'échelle du siècle : fin du service militaire obligatoire comme mode de réalisation principal des effectifs, professionnalisation, réduction drastique du format, féminisation, importance accrue du personnel civil, nouvelles réserves. Simultanément, s'échafaude un nouveau corps de doctrine d'emploi, s'appuyant sur le principe de modularité pour la constitution de "forces de projection", et sur une organisation rénovée et partagée du commandement.

Ces transformations s'inscrivent dans le cadre tracé, à la fois par le Livre blanc sur la Défense de 1994 et par la loi de programmation 1997-2002. Elles font l'objet, de la part de l'Armée de terre, d'un véritable plan de manœuvre, destiné à conduire un changement méthodique et ordonné. L'ampleur et la difficulté de la tâche mobilisent très largement les énergies, à tous niveaux, concurremment avec la préparation opérationnelle et l'accomplissement de missions qui exigent des adaptations continues et une disponibilité sans faille.

Ainsi s'impose une double priorité sur les aspects techniques des transformations à opérer et des capacités à développer et à entretenir.

Toutefois, la mutation en cours va bien au-delà de ces aspects techniques, si complexes soient-ils. En effet, c’est l’ensemble de la société qui est en profond mouvement. La souveraineté des opinions publiques, la primauté de l’individuel sur le collectif et l’avènement de l’ère de l’information ne sauraient être sans conséquence sur le comportement du soldat, comme sur l’exercice de l’autorité. La nation elle-même cherche de nouvelles références à l'heure de la mondialisation et de la construction européenne. Cela éclaire d’un jour nouveau la question, cruciale, des relations armée-nation.

Toutes les conséquences de ces changements, souvent très profonds, n’ont pas encore été mesurées. Il faudra pour cela du temps et des réflexions approfondies dépassant largement le cadre de la seule Armée de terre.

Pourtant, faute de références, notamment éthiques, adaptées aux réalités de cette fin de siècle et propres à guider les comportements, les hommes sur le terrain peuvent se trouver bien démunis pour résoudre les crises complexes et délicates dans lesquelles ils sont engagés. C’est pourquoi s’impose dès à présent et au risque de l’imperfection, une reformulation de ces références, faisant la part de ce qui demeure toujours nécessaire et de ce qui est éminemment contingent.

Tel est l'objet de ce texte qui vise, sur la base de "fondements et principes de l’exercice du métier des armes dans l’Armée de terre", à inspirer des directives de commandement et de formation, et des codes de comportement, individuels et collectifs.

Ainsi, chacun, dans l’exercice de ses responsabilités et de ses attributions, pourra trouver l’esprit qui devra éclairer son action.