1. Les fondements de l'exercice du métier des armes

L’ébranlement des repères et des références provoqué par les profondes transformations qui affectent simultanément le contexte géostratégique, les équilibres économiques et financiers, les mentalités occidentales et l’armée française elle-même, en cette fin de XXe siècle, ne peut laisser indifférent. Dans ces conditions, l’institution militaire, plus que toute autre, se doit d’aborder le XXIe siècle avec une claire perception de son identité et de son sens.

Le premier de ces fondements est celui de l'existence même des armées et de l'emploi de la force. Certes, les menaces militaires directes contre le territoire national se sont éloignées ; de même, les perspectives d’affrontements armés entre grandes nations se sont estompées ; plus globalement, la guerre, au sens historique du terme et avec le caractère dévastateur que lui confère désormais le pouvoir de destruction des armements modernes, semble céder la place aux crises multiformes à divers niveaux d'intensité, parfois sans adversaire clairement identifié.

Mais, précisément dans ce cadre-là, la violence demeure à l'horizon des sociétés humaines, parfois déchaînée, toujours inacceptable. Nul ne peut, par ailleurs, exclure la perspective de résurgence d’affrontements majeurs. C’est pourquoi, demeurent aussi, de la part des Etats, la nécessité et la légitimité du recours à la force, seule susceptible de s'opposer à cette violence à partir de certains seuils, c'est à dire, in fine, la capacité de contraindre, si nécessaire par la destruction et la mort. Cette capacité est celle de l'institution militaire exercée sous l'autorité de l'Etat ; la nature de l'armée et la spécificité du soldat en découlent.

  • L’armée est délégataire de la force que l’autorité politique, représentant la volonté nationale, estime devoir opposer aux violences qui pourraient menacer l’intégrité, les intérêts et les engagements de la France dans le monde. Le soldat est détenteur, au nom de la nation, dont il tient sa légitimité, de la responsabilité d’infliger la destruction et la mort, au risque de sa vie.

une telle institution reste aujourd'hui nationale, même si on assiste à l'émergence de solidarités élargies entre les peuples. Dans le même temps, l'Europe se construit comme une ardente obligation. Pourtant, la nation reste bien le cadre d'une communauté de destin des hommes et des femmes qui la composent. Pour la France, cette communauté offre la particularité de se définir, dans la République, en référence à des valeurs universelles qu'elle a contribué à promouvoir, bien traduites par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et synthétisées dans sa devise même. C'est dire si cette référence à la nation se démarque de tout nationalisme étroit et transcende les appartenances particulières, notamment de nature ethnique, sociale ou religieuse, qu'elle a au contraire vocation à fédérer. Tel est le second fondement où l'institution militaire puise à la fois son sens et sa légitimité.

L’institution militaire peut dès lors se définir comme suit :

L'armée est une émanation de la communauté nationale  : en tant qu'institution, elle en exprime fortement l'identité, la volonté et la souveraineté. En effet, dépositaire des armes de la France, elle est délégataire de la force que l'autorité politique, représentant cette volonté nationale, estime devoir opposer aux violences qui pourraient menacer son intégrité, ses intérêts et ses engagements dans le monde. L'Armée de terre, parce qu’elle agit directement et durablement au contact des acteurs de violence et des populations, est au cœur même du dispositif. Comme telle, elle se caractérise par la mise en œuvre de systèmes complexes au sein desquels l'homme garde un rôle prééminent.

le soldat est un citoyen au service de son pays ; ses devoirs et ses droits sont d'abord ceux du citoyen et de tout serviteur de l'Etat. De surcroît, sa spécificité réside dans le fait de se trouver détenteur, au nom de la nation dont il tient sa légitimité, de la responsabilité, directe ou indirecte, d'infliger la destruction et la mort, au risque de sa vie, dans le respect des lois de la République, du droit international et des usages de la guerre, et ce, en tous temps et en tous lieux.

Ainsi se trouve affirmée la spécificité militaire. La claire conscience de celle-ci est nécessaire, à la fois aux militaires eux-mêmes pour percevoir leurs devoirs et pour guider leur action et leurs comportements, et à la communauté nationale pour comprendre ce qu'elle peut et doit attendre de l'institution, quand la banalisation de cette dernière exposerait à de fâcheux contresens.

Néanmoins, une affirmation excessive de la spécificité de l'institution militaire serait non moins fâcheuse : elle s'inscrirait ainsi en rupture par rapport à la communauté nationale dont elle émane et dont elle est tributaire, alors qu'elle y puise sa ressource humaine, qu'elle y fonde sa légitimité et qu’elle en est un élément constitutif.

Citoyen, membre de la fonction publique et de l'armée, le soldat, dans sa particularité qui explique notamment un certain cantonnement juridique, est avant tout un serviteur de l'Etat.

Dans l’ensemble complexe que constitue l'Armée de terre, la singularité ainsi affirmée pourrait, de prime abord, sembler ne concerner qu'une minorité, celle des "troupes de contact". Il n’en est rien. Car, se situant au cœur même du système, elle en inspire l’ensemble par son caractère déterminant. Les vastes sous-systèmes logistiques, administratifs et de soutien s’inscrivent eux aussi dans cette logique, ce qui donne un sens à leur action. Dans ce cadre, il en est de même pour le personnel civil qui constitue désormais une part significative des effectifs. Tel est le socle sur lequel doivent se fonder l'action collective et les comportements individuels. Les exigences qui en découlent sont souvent antagonistes. Cette problématique ne doit pas être esquivée avant de dégager les principes propres à en surmonter les difficultés.