ANNEXE 3
Rapport d’information de l’assemblée nationale n°2490, relatif aux actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son Armée, présenté par MM.BERNARD Grasset et Charles Cova, députés.

N° 2490

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES,

sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son Armée

et présenté par

MM. Bernard Grasset et Charles Cova,

Députés.

(EXTRAITS)

COMPARAISONS AVEC QUELQUES ARMÉES VOISINES

L'étude des instances de concertation et de l'expression des militaires a été l'occasion de comparer l'armée française avec celles d'autres pays. Le lecteur trouvera une brève description des armées allemande, américaine, britannique et italienne vues sous cet aspect. Les médiateurs norvégiens et suédois compétents dans le domaine de la défense font également l'objet d'une présentation.

Nous aurions aussi souhaité disposer d'éléments de comparaison avec deux autres États : le Canada, qui a mis en place depuis quelques années un système de médiation original puisque le médiateur est placé sous l'autorité du Ministre de la Défense qui, probablement, doit le nommer. Nous désirions également obtenir des éléments sur la concertation et l'expression dans l'armée du Japon. Grand vaincu en 1945, ce pays est aujourd'hui devenu une véritable démocratie. Qu'en est-il de son armée ? Malheureusement, les attachés de défense français en poste dans ces deux pays, saisis le 11 février 2000 et relancés en avril, ne nous ont toujours pas fait parvenir le moindre document à l'heure où nous présentons ce rapport, le 21 juin 2000. Preuve, s'il en était besoin, que le contrôle démocratique de l'exécutif par le législatif est, dans notre pays, largement perfectible.

LE SOLDAT-CITOYEN DE L'ARMÉE ALLEMANDE

L'actuelle armée allemande, la Bundeswehr, a été créée en 1956, en pleine guerre froide. Dès l'origine, cette armée considérée comme la première armée de conscription démocratique du pays a été conçue comme une contribution à l'Alliance atlantique et non comme une armée purement nationale. L'armée allemande, en pleine restructuration elle aussi, compte actuellement environ 330 000 militaires dont 190 000 de carrière et 135 000 appelés auxquels il convient d'ajouter 140 000 civils. Au lendemain de la réunification, elle comptait 509 000 militaires.

Le concept de l' Innere Führung et le citoyen en uniforme

Le très lourd poids du passé, omniprésent dans la culture militaire allemande, a conduit les autorités à concevoir une armée particulièrement encadrée et surveillée avec pour objectif de réduire l'écart la séparant de la société civile. Cela a abouti au concept de l'Innere Führung, formation civique et morale destinée à éviter que ne se reproduisent les erreurs du passé et qui a pour mission d'aider à atténuer et concilier les tensions qui résultent de l'antagonisme entre les droits et libertés du citoyen, d'une part, et les obligations et devoirs militaires, d'autre part, le but étant d'unir les forces armées dans l'accomplissement de leur mission aux valeurs de la Loi fondamentale allemande.

Ainsi, l'Innere Führung est conçu pour atteindre les objectifs suivants :

  • apporter des explications pour le service quotidien militaire ;
  • promouvoir l'intégration de la Bundeswehr et du soldat ;
  • renforcer la disponibilité du soldat à servir, la discipline et la cohésion ;
  • organiser le fonctionnement interne des armées en conformité avec la constitution allemande.

Cette conception démocratique de l'armée a abouti à la consécration du soldat « citoyen en uniforme ». Le soldat allemand se définit par les trois caractéristiques suivantes :

  • il est avant tout un citoyen conscient de ses responsabilités ;
  • il est également une libre personnalité ;
  • il est évidemment un soldat opérationnel.

Dans ce cadre, les principaux droits du soldat allemand sont :

  • le respect et la protection de la dignité humaine ;
  • le libre épanouissement de la personnalité ;
  • la libre expression de la pensée (sous certaines réserves).

La limitation de certains droits fondamentaux n'est admise que dans un cadre strict et lorsque les besoins du service la rendent indispensable. En contrepartie, la limitation de l'exercice de l'autorité et du devoir, la possibilité d'appartenir à un mouvement et le droit à une instruction civique et politique sont reconnus.

La concertation et l'expression dans la Bundeswehr

Le moral et la vie des unités

Un bureau chargé de veiller à l'état interne et social de la Bundeswehr centralise les comptes-rendus annuels des unités qui sont l'équivalent des rapports sur le moral que connaît l'armée française. Il est également destinataire de tous les rapports relatifs aux incidents ou accidents à signaler : morts accidentelles, suicides, rixes, pertes d'armes... Ce bureau réalise également des sondages trimestriels auprès des appelés et des engagés et s'appuie sur un certain nombre d'enquêtes sociales relatives aux conditions de vie et de logement des militaires.

La « personne de confiance »

Les militaires du rang, sous-officiers et officiers élisent, par collège, un représentant dénommé « personne de confiance », ainsi que deux adjoints. Cette personne, qui peut s'apparenter à un président de catégorie dans l'armée française, est chargée d'assurer la coordination entre les échelons supérieurs et subalternes et est habilitée à accéder directement, quand elle le souhaite, à tout niveau de la hiérarchie sans en rendre compte. La personne de confiance est saisie systématiquement dans les affaires disciplinaires et de mutation.

L'éducation politique

L'éducation politique, qui est à prendre dans le sens d'instruction civique, est un enseignement obligatoire pour les soldats de la Bundeswehr. Les appelés suivent 28 heures de cours d'instruction civique par mois, ce qui correspond à une journée entière par semaine et est considérable ; les engagés, eux, ne bénéficient que de 3 journées d'instruction civique par an auxquelles s'ajoutent des sessions d'une demie heure par semaine consacrées à la diffusion des informations courantes.

Les églises au sein de l'armée

Le rôle des églises reste considérable dans ce pays qui demeure toujours sous le régime du concordat. Des contrats ont été conclus avec les deux principales confessions du pays, la religion protestante et l'église catholique. C'est ainsi que des prêtres servent comme aumôniers militaires pendant quelques années avant de retourner dans leur diocèse civil. Pendant la durée de leur service dans l'armée, ils sont pris en charge par les autorités militaires, ainsi que leurs déplacements.

L'éligibilité des militaires allemands

Contrairement au système français, être élu à quelque niveau que ce soit a non seulement été jugé compatible avec l'état de militaire mais semble même être encouragé par les autorités militaires, dans la mesure où cela permet de rapprocher l'armée de la Nation et de valoriser l'institution militaire.

Tous les soldats étant éligibles, c'est à l'armée de s'adapter aux contraintes créées par l'éventuelle élection d'un militaire. Ainsi, l'armée allemande compte actuellement entre 6 et 10 de ses membres élus au Bundestag ou dans un parlement régional. Ces personnes bénéficient de décharges de service, ce qui leur permet de continuer à bénéficier des droits à l'avancement et à la pension de retraite.

L'armée allemande compte un nombre encore plus grand d'élus municipaux pour lesquels le mandat s'exerce en même temps que le service, ce dernier étant aménagé : les mutation, par exemple, font l'objet d'une attention particulière.

Le commissaire parlementaire aux forces armées

Institué en 1956, lors de la résurrection de l'armée allemande, le commissaire parlementaire aux forces armées a pour objet de contrôler les forces armées allemandes dans l'optique d'éviter que ne se reproduisent les errements passés. Créé sur le modèle suédois de l'Ombudsman militaire, ce commissaire dont la fonction figure dans la constitution allemande est un membre de la commission de la défense du parlement allemand, le Bundestag, élu au scrutin secret par ses pairs pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois et démissionne aussitôt de son mandat de parlementaire. Le commissaire parlementaire dispose d'une équipe d'une soixantaine de collaborateurs, tous civils, mais dont certains, anciens militaires ou anciens membres du cabinet du Ministre de la Défense, lui apportent une expérience précieuse.

Responsable uniquement devant le Bundestag auquel il remet un rapport annuel et dont il bénéficie du soutien total, le médiateur présente un diagnostic de l'armée allemande et en résume les déficiences. Le rapport est présenté et discuté en commission de la défense, devant le Ministre de la Défense, puis en séance publique devant l'ensemble des députés.

Sa mission est double : d'une part, il est chargé de contrôler les forces armées, sur pièces et sur place, y compris à l'étranger. D'autre part, il est une instance de pétition pour tous les militaires allemands, exerçant à ce titre des fonctions proches de celles d'un médiateur.

  1. Un très large pouvoir de contrôle

Dans le cadre de ses fonctions de contrôle, le médiateur, ou plutôt la médiatrice devrions nous dire puisque les fonctions sont actuellement occupées par madame Marienfeld, n'annonce que très rarement ses visites, se présentant à la porte des casernes ou des bases navales ou aériennes de manière impromptue. Seules ses visites à la brigade franco-allemande sont assorties d'un préavis, par courtoisie à l'égard des militaires français. Depuis que des troupes allemandes sont stationnées hors des frontières du pays (en ex-Yougoslavie), madame Marienfeld se rend trois fois par an auprès de ces soldats expatriés afin d'observer les conditions de vie sur place et de témoigner de l'importance attachée par le parlement à ces opérations extérieures. Le commissaire parlementaire a accès à tous les dossiers, sauf ceux pour lesquels, mais ils sont rares, le secret défense est opposé. Toutes ses questions doivent obtenir une réponse.

  1. Un médiateur à l'écoute des militaires

Dans le cadre de ses fonctions de médiateur, le commissaire parlementaire reçoit selon les années entre 6 000 et 8 000 recours émanant de toutes les catégories de militaires.

Ainsi, sur les 6 500 requêtes reçues en 1999, 11 provenaient de généraux ou d'amiraux et 309 d'officiers d'état-major même si, évidemment, l'immense majorité émane de militaires du rang ou de sous-officiers, bien plus nombreux. 40 % des recours concernent la gestion du personnel, qu'il s'agisse des appelés ou des engagés, 27 % les droits, les ordres et la conduite des hommes, 12,6 % les rémunérations et les questions sociales, 7 % l'approvisionnement et le soutien, 5 % le logement, la nourriture et l'habillement.

En tant que médiateur, le commissaire n'a pas le pouvoir d'intervenir directement mais peut adresser des propositions aux autorités militaires ou au pouvoir législatif, afin de faire modifier la législation. Son rôle se borne essentiellement à vérifier que les droits fondamentaux des soldats sont bien sauvegardés, à surveiller l'obsolescence des équipements militaires qui pourrait avoir une influence préjudiciable sur le moral et, dans un grand nombre de cas, à expliquer certaines décisions à des plaignants qui n'ont pas toujours une vision globale des choses. Car le commissaire parlementaire ne s'intéresse pas qu'aux intérêts des soldats et, loin de jouer un rôle de super représentant syndical, partage également le soucis de la bonne marche de l'armée.

Sa fonction d'autorité morale permet au commissaire parlementaire d'avoir toujours entretenu d'excellentes relations avec le Ministre de la Défense, quelle que soit la majorité au pouvoir, ainsi qu'avec les officiers supérieurs de l'armée allemande, intéressés par l'expérience d'une personne à qui leurs subordonnés parlent souvent plus librement qu'à un supérieur hiérarchique.

  1. Les associations à caractère professionnel

La principale association professionnelle allemande s'appelle la « Bundeswehrverband », que l'on peut traduire par « Association de la Bundeswehr », nom de l'armée allemande. Ce groupement rassemble 65 % des militaires allemands en activité, sans distinction de grade. Chez les officiers généraux, ce taux monte à 90 %. Le Ministre de la Défense en est membre.

La Bundeswehrverband est l'un des membres fondateurs de l'association européenne fédératrice « Euromil », créée au début des années 70 et basée à Bruxelles. En fait d'européenne, cette association qui revendique 500 000 membres est largement dominée par les Allemands qui représentent les deux tiers des adhérants, aux côtés de quelques associations, principalement de retraités et de réservistes, mais aussi de militaires d'active, de différents pays d'Europe du nord et de l'est. Depuis peu, l'Italie (avec deux associations affiliées), l'Espagne (3 associations) et la France (2 associations) y sont représentées. Selon les termes mêmes de son président, l'amiral allemand Hundt, la principale activité d'Euromil est « le lobbying auprès de la Commission europénne, du Parlement et du Conseil, dans le but d'harmoniser la législation européenne concernant les soldats ».

Fondamentalement différente d'un syndicat classique dans la mesure où ses adhérants ne disposent pas du droit de grève et où il n'existe aucune convention collective, l'association se veut solidaire avec le gouvernement. Outre les intérêts individuels de ses membres, elle représente, en accord avec ses statuts, la Bundeswehr en tant qu'institution. Cela ne l'empêche pas de donner son point de vue sur la politique de défense de l'Allemagne. Si les militaires en activité ne peuvent pas critiquer la politique gouvernementale, la Bundeswehrverband peut se le permettre en raison de son poids et de l'élection démocratique de ses représentants. Elle permet ainsi de concilier la nécessaire obéissance des militaires et la possibilité pour eux de s'exprimer.

Notons qu'il existe une seconde association professionnelle, très minoritaire, qui est l'émanation d'un syndicat civil.

Au total, protégé par de puissantes associations, le soldat allemand bénéficie d'un nombre considérable de garanties et dispose de voies de recours diversifiées. S'il s'estime victime d'une injustice, il peut :

  • attirer l'attention de sa hiérarchie par l'intermédiaire du compte-rendu annuel ;
  • s'adresser à la personne de confiance de sa catégorie ;
  • exercer un recours hiérarchique à son supérieur immédiat, droit garanti par l'article 18 de la constitution ;
  • exercer son droit de pétition, garanti par l'article 17 de la constitution. La pétition est adressée directement au ministre ;
  • s'adresser au commissaire parlementaire à la défense, sans passer par la voie hiérarchique ;
  • adresser un recours hiérarchique à son chef d'unité ;
  • adresser une requête auprès du tribunal militaire ou administratif compétent.

Comme on peut le constater, le poids des régimes totalitaires au cours desquels le soldat allemand n'était qu'un instrument docile et sans personnalité a abouti à doter les militaires d'outre Rhin d'un statut particulièrement protecteur et citoyen. Au traumatisme de la période nazie s'est ajouté depuis 1990 le poids de l'absorption de l'armée populaire est-allemande dont la tradition n'avait rien de démocratique et qui participa à la répression du soulèvement de Budapest en 1956 et du Printemps de Prague en 1968. Si, dans les faits, la Bundeswehr n'a admis dans ses rangs que quelques milliers de militaires particulièrement sélectionnés, certaines unités ayant appartenu à la défunte République démocratique allemande y sont encore représentées, même si elles ont depuis changé d'appellation.

CONCERTATION ET REPRÉSENTATION DANS L'ARMÉE DES ETATS-UNIS

En l'absence de conscription, les forces armées des Etats-Unis sont constituées exclusivement de professionnels. Elles regroupent 1 587 000 militaires dont 495 000 dans l'armée de Terre, 462 000 dans l'aviation et 630 000 dans la Marine, sans compter environ un million de réservistes.

Dans une économie florissante où règne une situation de plein emploi, les métiers militaires sont fortement concurrencés par le secteur civil qui offre des situations mieux rémunérées pour des contraintes de disponibilité moindres.

Les militaires américains quittent facilement le métier des armes vers le civil lorsque des occasions se présentent où lorsque les avantages qu'ils retirent de leur situation ne compensent plus les inconvénients. Les grades les plus bas ont légalement droit à l'aide publique aux défavorisés, avec distribution de vêtements et de nourriture. En conséquence, les armées éprouvent de plus en plus de difficultés pour recruter et retenir leurs soldats.

Dans ce contexte très ouvert, la concertation et le droit d'expression devraient être favorisés afin de faire évoluer et de modifier le cadre et les conditions d'emploi des militaires pour les adapter aux transformations que connaît la société.

Ce n'est pas le cas. Même si les différentes armées utilisent fréquemment des méthodes modernes comme les sondages pour évaluer les diverses facettes de la condition militaire et du moral des forces, même si le Congrès possède des pouvoirs d'investigation importants qu'il ne se prive pas d'employer, il manque encore une communication structurée comparable à celle mise en place dans les armées françaises.

Cependant, par tradition, toute éventuelle dégradation du climat général ne s'exprime pas par un mécontentement revendicatif, mais par des démissions.

Les structures de concertation

Les structures de concertation comparables aux nôtres (commission participative d'unité, Conseil de la fonction militaire, Conseil supérieur de la fonction militaire) n'existent pas dans les forces armées américaines. C'est la chaîne hiérarchique qui est chargée de recueillir les souhaits et les observations du personnel, afin de mettre en œuvre les mesures correctives. Cette responsabilité, à la charge des chefs d'état-major de chaque armée, incombe directement aux inspecteurs généraux placés à leurs côtés. Ces derniers ont en effet tout particulièrement en charge le moral, les conditions de travail et le soutien aux familles. Ils disposent à cet effet d'un état-major en propre et procèdent par missions.

A l'occasion de chacune de ces missions d'inspection dans les forces, ils évaluent à l'aide d'un système formalisé les efforts consentis par l'autorité pour tenir compte des souhaits du personnel et ils rencontrent les présidents de catégorie.

Les présidents de catégorie

Seules, les fonctions de « Présidents de catégorie » existent aux Etats-Unis pour les personnels non-officiers, les hommes du rang étant représentés au niveau des unités élémentaires par un de leur pairs, conseiller du sous-officier président des « engagés ».

Les présidents des « engagés », les Command Sergeant majors ou Master Chief Petty Officer pour la Marine, existent à tous les niveaux de la hiérarchie, depuis celui du bataillon, du petit bâtiment ou de l'unité aérienne élémentaire à celui du chef d'état major de chaque armée.

Leur mission est de représenter le personnel non-officier (enlisted) vers le chef de corps ou d'unité auprès duquel ils sont placés mais aussi vers la chaîne directe du Master Chief aux différents niveaux de commandement (unité, commandement subordonné, grand commandement, état-major central). Leur rôle est beaucoup plus important que celui de leurs homologues français. On peut considérer qu'ils sont, après le commandant en second l'autre interlocuteur et relais du commandant d'unité.

Ces Command Sergeant majors ou Master Chief Petty Officer font en particulier remonter vers le commandement toutes les informations qui ne touchent pas à l'exécution de la mission : état du moral, problèmes rencontrés dans la vie quotidienne, amélioration possible des conditions de travail par exemple, organisation sociale des familles...

Ils sont choisis par le commandement parmi des volontaires en fonction de leurs qualités et de l'exemple qu'ils donnent.

Au niveau des chefs d'état majors, les Sergeant majors de l'armée de Terre et du corps des marines, les Master Chief Petty Officer de la Marine et les Chief Master Sergeant de l'armée de l'Air existent depuis vingt-cinq ans environ. Ils sont des interlocuteurs privilégiés pour les chef d'état-major et pour les directeurs du personnel de chaque armée.

Ils sont également des conseillers pour les différentes organisations qui traitent des affaires de personnel. Ils représentent, par ailleurs, les sous-officiers et des hommes du rang dans les manifestations officielles et le représentant central de chaque armée peut être appelé à témoigner devant le Congrès.

Ils disposent de moyens modernes (site Internet officiel, équipe de travail) pour communiquer avec les représentants au niveau des grands commandements et des unités.

Le rapport sur le moral

Le rapport sur le moral tel qu'il est conçu dans l'armée française (c'est à dire une synthèse élaborée par le commandement après consultation des diverses catégories de personnel) n'existe pas dans l'armée américaine. Occasionnellement, une analyse (Command Climate Survey) est conduite pour saisir l'état d'esprit d'une l'unité : en général elle suit la prise de commandement d'un chef. Chaque commandant d'unité organise à sa guise, ou à la demande des intéressés, des réunions sur le moral des différentes catégories de personnel.

Le plus fréquemment, l'institution militaire procède par enquêtes et sondages pour étudier un aspect particulier du moral ou de la condition militaire. Ces consultations peuvent être initiées

  • par les armées (Chief of staff ou inspecteurs) ;
  • par le secrétaire en charge de chaque armée ;
  • par le Pentagone
  • par le GAO (General Accounting Office) qui est l'équivalent de la Cour des Comptes.

Par exemple, l'US Air Force effectue une fois tous les deux ans une étude à l'échelle nationale, la CSAF Survey (Chief of Staff of the Air Force Survey), qui permet de mesurer le moral et la qualité de vie de ses personnels militaires et civils.

La dernière étude, menée du 30 septembre au 29 octobre 1999, a permis à 206 000 membres de l'armée de l'Air, soit 39 % de son personnel, de s'exprimer sur divers sujets (retraite, hôpitaux) Les résultats ont été communiqués en janvier dernier au chef d'état-major de cette armée.

Les organismes chargés de ces études pour l'armée de Terre sont l'Army Research Institute ou (ARI) et l'Army Personnel Survey Office (APSO) qui est l'équivalent du centre de relations humaines de l'armée de Terre française.

Ces formules par sondage sont attrayantes car aisées à mettre en œuvre pour de vastes organisations mais elles affaiblissent le dialogue direct entre le chef et ses subordonnés, alors qu'un certain déficit de communication se fait déjà sentir dans les forces armées américaines.

Le personnel et la qualité de la vie font également l'objet du chapitre 10 du rapport annuel au Président et au Congrès préparé par le secrétariat d'Etat à la Défense. Sont plus particulièrement abordés dans ce chapitre l'égalité des chances, le rôle des femmes et des civils dans les armées.

La prise en compte de statistiques permettant de mesurer pour un personnel le temps passé en déplacement (PERSTEMPO) ou pour une unité, le temps passé en opération (OPTEMPO) ont permis, pour l'armée de l'Air par exemple, la mise sur pied du concept EAF (Expeditionnary Air Forces), visant une meilleure prise en compte de la planification des missions extérieures.

Les associations professionnelles

Le règlement de discipline générale énonce que la condition militaire est incompatible avec l'appartenance à un syndicat. Néanmoins, ce règlement prévoit que tout militaire peut en contrepartie :

  • appartenir à toute organisation ayant une existence légale pourvu que ce ne soit pas un syndicat ;
  • présenter une réclamation au travers de la chaîne hiérarchique ;
  • rechercher toute information ou conseil auprès de toute source autorisée ;
  • se faire représenter par un avocat ou tout autre conseiller ;
  • déposer une pétition auprès du Congrès des Etats-Unis. Mais si un groupe directement concerné par un problème a le droit de signer une pétition, cela ne veut pas dire pour autant qu'il puisse faire circuler cette pétition.
  • entreprendre toute action judiciaire ou administrative conformément à la loi.

Le syndicalisme dans les armées n'est pas une question à l'ordre du jour ; elle n'est même pas dans les esprits. Lorsqu'un militaire n'est pas satisfait de sa situation, il quitte le service et a toutes les chances de retrouver un emploi très rapidement.

Si les militaires ne sont pas autorisés à adhérer à un syndicat, ils peuvent en revanche rejoindre des associations, notamment pour les militaires de l'armée de Terre, l'AUSA (Association of the United States Army) qui est dirigée par un ancien chef d'état major de l'armée de Terre et la Navy League pour la Marine. Les cadres de cette association sont des officiers à la retraite, connaissant bien l'institution et qui, n'étant plus tenus par une chaîne hiérarchique, ont une grande liberté d'analyse et de commentaire.

Le poids de ces institutions tient également au grand nombre de leurs adhérents, (plus de 100 000 pour l'AUSA), à leur symbiose avec les éléments de l'armée et à la qualité de leur réseau de relations tissé avec les grands groupes industriels.

Par exemple, l'AUSA constitue un groupe de pression non négligeable dont l'action est visible au travers :

  • de nombreuses publications (mensuels, études) ;
  • des activités des groupes de travail armée-industrie qui sont un reflet du lien « militaro-industriel » et permettent l'échange des idées, besoins et difficultés de part et d'autre ainsi que la promotion du matériel ;
  • des médias qui sont systématiquement invités à témoigner de la créativité et du dynamisme de l'association ;
  • et surtout, d'une forte activité de « lobbying » ciblée sur le Congrès et l'administration.

Il existe également des Comités, non limités à une armée particulière, qui défendent les intérêts d'un groupe ou d'une minorité, par exemple le Defence Advisory Committe on Women in the Services (DACOWITS).

Dans la vie courante, les militaires se plaignent surtout du phénomène de « surchauffe » (moins de personnel, de plus en plus d'opérations) qui s'installe, auquel il faut ajouter une grande mobilité professionnelle qui peut nuire à la vie de famille.

Pour la Marine, la surveillance constante de l'action des commandants d'unités par de trop nombreuses inspections, ayant été identifiée comme un facteur de départ des jeunes capitaines de frégate, le processus a été corrigé par la hiérarchie qui avait interrogé les catégories de personnel.

Le poids du législatif

Le Congrès des Etats-Unis, dont les pouvoirs sont plus largement utilisés que par le Parlement français, compte dans ses rangs des autorités qui suivent de très près les intérêts des personnels militaires, et tendent à les faire respecter. Les groupes de pression, les fameux lobbies, jouent ici un rôle déterminant.

La Chambre des Représentants et surtout le Sénat dont l'action est relayée par un personnel important, n'ignorent pas la défense. Le Congrès est appelé à arbitrer entre les armées qui, disposant chacune en propre d'un budget, sont souvent concurrentes.

Les sénateurs et les représentants sont généralement portés à défendre les intérêts locaux : amicales de vétérans qui sont un pilier de l'Amérique traditionnelle, sites industriels travaillant pour la défense, poids de la garde nationale dans les différents États entraînent la plupart des élus à s'intéresser aux questions militaires.

Enfin, le Congrès peut convoquer les militaires qu'il souhaite entendre dans le cadre de ses investigations.

Les structures de médiation

Il n'existe pas de structure de médiation à proprement parler. Deux organismes particuliers sont chargés de protéger les individus.

L'inspecteur général de chaque armée, déjà évoqué, s'intéresse aux dysfonctionnements constatés dans l'armée dont il a la charge et traite en particulier tout ce qui s'apparente aux abus de commandement.

Le bureau d'Equal Opportunity organise la prévention et lutte contre toutes les formes de discrimination ou de harcèlement sexuel. Il veille à l'égalité des chances de chacun, quelle que soit son origine ethnique, son sexe, ses opinions philosophiques ou religieuses. Pour la surveillance du harcèlement sexuel, il enquête sur les manquements aux règles nombreuses et précises qui régissent les comportements entre hommes et femmes outre Atlantique.

L'expression des militaires

Le droit d'expression, garanti par le premier amendement de la constitution, s'applique sans restriction aux militaires. Néanmoins, dans la vie courante, il existe au moins deux limites :

  • - les auteurs ne doivent pas publier d'informations classifiées sous peine de poursuites ;
  • - les publications ou déclarations qui s'écartent des idées retenues par le commandement ne favorisent pas toujours un déroulement de carrière harmonieux, même si l'originalité de la réflexion est encouragée.

Les jeunes recrues s'engageant dans les forces reçoivent dès leur incorporation une carte, la « bill of rights », qui leur rappelle leurs droits, au nombre de six 367 , et plus particulièrement ceux en matière de harcèlement sexuel et discrimination.

La carte comporte les numéros de téléphone de la chaîne de commandement, y compris ceux des inspecteurs généraux ainsi que l'équivalent d'un numéro vert valable dans le monde entier.

Il faut noter, enfin, l'existence de nombreux magazines militaires indépendants du ministère de la Défense, tout au moins sur les plans juridique et financier, et qui constituent des forums d'opinions souvent intéressants.

Les militaires d'active peuvent :

  • - voter et exprimer une opinion politique à condition qu'ils ne parlent pas au nom de l'armée ;
  • - faire des dons à des organisations politiques ;
  • - participer à des réunions politiques à condition de ne pas porter l'uniforme.
  • S'ils n'ont pas le droit de participer à une campagne électorale, les militaires américains sont autorisés à mener toutes les actions qui s'apparentent à de l'éducation civique. Enfin, ils ne peuvent pas se porter candidat à un poste électif fédéral ou d'Etat.

CONCERTATION ET DROIT D'EXPRESSION DANS LES FORCES ARMÉES BRITANNIQUES

Pour une population de soixante millions d'habitants, le Royaume-Uni dispose d'une armée qui compte environ 220 000 militaires ainsi répartis : 115 000 dans l'armée de Terre, 47 000 dans la Marine et 56 000 dans l'armée de l'Air. Professionnalisée de longue date, l'armée britannique ne compte aucun conscrit.

Une absence de structures participatives

Les forces armées britanniques n'ont pas de structures de concertation comparables à celles en vigueur dans les forces armées françaises (présidents de catégorie, commissions participatives d'unité, Conseils de la fonction militaire, Conseil supérieur de la fonction militaire, rapport sur le moral...). Les préoccupations des militaires sont habituellement relayées par la voie hiérarchique ou soulevées à la faveur des inspections. Toutefois, une équipe de liaison, placée auprès de chaque chef d'état-major d'armée (briefing team dans l'armée de Terre), composée de deux à trois officiers et sous-officiers effectue des visites d'unités, procède à des entretiens confidentiels avec les différentes catégories de personnels et rend compte directement au chef d'état-major de chaque armée ou à son adjoint des difficultés constatées.

En outre, tous les six mois, un sondage (continuous attitude survey) élaboré et exploité par des psychologues du ministère de la Défense, destiné à évaluer le degré de satisfaction, l'état d'esprit et les grandes tendances qui se dessinent, est réalisé sur quelques points particuliers prédéterminés.

Il n'existe pas de médiateur compétent dans le domaine militaire au Royaume-Uni.

Les forces armées n'ont pas de syndicats. Mais les militaires peuvent adhérer à des syndicats d'autres organisations professionnelles ou à des associations et assister individuellement à des réunions, à condition de ne pas porter l'uniforme et d'éviter toute implication dans les questions purement politiques.

Une protection principalement assurée par la hiérarchie et les règles de droit.

En ce qui concerne les soldes des militaires, un organisme, l'Independent Pay Review Body, composé de personnalités civiles, propose tous les ans un certain nombre de recommandations au Premier ministre. Elles sont généralement acceptées. Pour ce qui concerne les questions de harcèlement sexuel et de discriminations sexuelle et raciale, dans chaque régiment ou formation autonome est affecté un equal opportunities adviser, du grade d'officier ou de sous-officier (senior NCO), qui conseille le commandement. En outre s'agissant des litiges dans le domaine de la solde, du harcèlement sexuel ou de la discrimination raciale, les militaires ont accès aux juridictions professionnelles (qui correspondraient, en France, aux Conseils des Prud'hommes).

Enfin, les militaires qui ont des doléances à exprimer peuvent le faire par la voie de la chaîne hiérarchique jusqu'au Defence Council pour les sous-officiers, et de la Reine (en fait, le Ministre de la Défense) pour les officiers. Cette procédure est désignée sous le nom de redress system.

En matière de droit d'expression, les militaires ne peuvent ni s'exprimer sur les questions de défense qui pourraient d'une manière ou d'une autre gêner le gouvernement ni aborder des sujets politiques.

Toutes les règles relatives aux statuts ou à la discipline sont contenues dans les Queen's Regulations, c'est-à-dire le règlement de chaque armée, qui sont révisées tous les cinq ans par une loi (Act of Parliament).

LE SYSTÈME DE CONCERTATION ITALIEN

Peuplée de 58 millions d'habitants, l'Italie dispose d'une armée de 295 000 militaires dont 188 000 pour l'armée de Terre, 63 000 pour l'armée de l'Air et 44 000 pour la Marine. A ces forces, il convient d'ajouter les Carabiniers et la Garde des finances. L'armée italienne fait appel à la conscription.

L'Italie est un pays qui a longtemps entretenu une certaine défiance vis-à-vis de ses forces armées. Aussi, les rapports entre les forces armées et les représentants nationaux ont toujours été plus proches du rapport de force que de la relation de confiance.

Un système de concertation moins étendu que le nôtre...

A première vue, le système de concertation et d'expression italien semble moins développé que le système français ou que les systèmes nordiques : il n'existe pas dans l'armée italienne l'équivalent des présidents de catégorie. Il n'existe pas non plus d'équivalent au rapport sur le moral, même si le chef de chaque unité adresse à sa hiérarchie un rapport qui est surtout un état des lieux de son unité et un bilan sur son fonctionnement : punitions, évolution du recrutement... Il n'existe pas non plus de médiateur militaire.

La concertation dans l'armée italienne repose essentiellement sur un ensemble d'organes collégiaux qui se situent à trois niveaux :

  • - 360 conseils de base (Cobar) à l'échelon de l'unité ou de la base. Les militaires sont représentés à proportion d'un délégué pour 250 hommes ou femmes dans cette instance qui rappelle les Commissions participatives d'unité de l'armée française ;
  • - 10 conseils intermédiaires (Coir) à l'échelon des commandements de région ;

Un conseil central interarmées (Cocer) à l'échelon du chef d'état-major des armées. Cet organisme est subdivisé en cinq sections dans lesquelles sont traités les problèmes spécifiques aux armées ainsi qu'aux différentes catégories de personnels : officiers, sous-officiers, militaires du rang et appelés. Le Cocer, qui fait penser à notre CSFM, compte actuellement 69 membres dont 13 pour sa section Cocer/terre.

... mais basé sur l'élection des représentants

Les représentants des militaires siégeant dans les Cobar et les Cocer sont élus par leurs pairs au terme d'une procédure qui se veut la plus démocratique possible. C'est au chef de corps qu'échoit la responsabilité d'organiser des réunions informatives sur le rôle de ces organismes ainsi que sur le bilan des conseils sortants.

Il doit également organiser l'emploi du temps de ses subordonnés de manière à leur permettre de participer à toutes les phases de l'élection, inciter éventuellement ceux qu'il juge les plus aptes à se présenter et établir la liste des candidats et des électeurs.

Dans les dix jours précédant la date de l'élection, les candidats mènent leur campagne électorale dans l'unité, oralement ou par voie d'affiches. Une fois élus, les délégués restent dans leur emploi et sont tenus de continuer à remplir leurs fonctions au sein de leur organisme d'affectation.

Afin de s'assurer de la représentativité des délégués, ne peuvent être élus au niveau central (Cocer) que les délégués déjà élus au niveau de la base (Cobar). Le mandat, renouvelable tant que l'intéressé porte l'uniforme, est de trois ans pour les militaires de carrière, d'un an pour les militaires du rang engagés volontaires et de six mois pour les appelés.

Les attributions et le fonctionnement de ces conseils

Aux termes de la loi, les Cobar doivent se réunir au moins une fois par mois, le Coir et le Cocer une fois tous les six mois. La présidence de chaque conseil est assurée par le militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé.

Ces conseils de représentation ne peuvent s'exprimer que sur des sujets relevant de la condition militaire (moral, solde, loisirs, familles...) à l'exclusion de tout ce qui relève de l'organisation, de l'entraînement et de l'emploi opérationnel des forces.

Chaque réunion fait l'objet d'un procès-verbal qui remonte à l'échelon supérieur, c'est à dire du Cobar vers le Coir et de ce dernier vers le Cocer. Toute question posée doit recevoir une réponse dans les soixante jours, faute de quoi la question remonte à l'échelon supérieur.

Les dérives possibles du système

La loi étant assez libérale avec les déclarations à la presse, certains membres du Cocer n'hésitent pas à s'exprimer librement, ce qui peut avoir de fâcheuses conséquences lorsque le chef d'état-major, par exemple, est mis en cause.

En outre, la légitimité assurée par leur élection peut inciter ces mêmes délégués à entrer en contact direct avec le Ministre de la Défense ou les commissions parlementaires compétentes pour la défense en contournant l'autorisation hiérarchique de l'état-major prévue par les textes. Un danger sérieux de politisation guette donc ce système de représentation.

Malgré cela, l'action des conseils de représentation est jugée largement positive, la majorité des problèmes étant résolus de manière satisfaisante et rapide. Ainsi, le statut juridique des cadres, la réinsertion des appelés dans le monde du travail et d'une manière générale la condition militaire ont été améliorés grâce au travail de ces conseils.

LE MÉDIATEUR À LA DÉFENSE NORVÉGIEN

Comme beaucoup de pays d'Europe du nord, la Norvège se caractérise par un contrôle réel du législatif sur l'exécutif. Les médiateurs nommés par le parlement en sont l'un des éléments. S'il ne faut sans doute pas surestimer leur rôle au sein d'une armée bien plus petite que la nôtre, nous devons constater que leur pouvoir moral est très grand, ce qui facilite les contacts avec la hiérarchie militaire. Mais le médiateur n'est qu'une voie de recours parmi d'autres.

Un contrôle hautement démocratique du législatif sur l'exécutif

La Norvège est un pays dans lequel le parlement, le Storting, dispose de larges pouvoirs. C'est lui qui nomme les membres de l'équivalent local de la Cour des comptes. Le Storting nomme également depuis 1963, un médiateur pour l'administration civile et, depuis 1952, une instance de médiation à la défense, l'Ombudsmann for Forsvaret. Il est d'ailleurs intéressant de relever que dans ce pays, le médiateur civil, dont le rôle s'apparente à notre Médiateur de la République, a été créé onze ans après le médiateur à la défense, grâce aux enseignements apportés par ce dernier. Notons qu'il existe d'autres instances de médiation, nommées par le gouvernement, mais aucune d'elles n'a de compétence dans le domaine militaire.

L'instance de médiation compétente pour les affaires de défense est en fait un comité de sept personnes, dont le président, actuellement M. Per A. Utsi, est plus particulièrement chargé de traiter les requêtes individuelles, tandis que ses six collègues (actuellement trois hommes et trois femmes) examinent plutôt les questions d'ordre général : retour des soldats du Kosovo, emploi des hélicoptères de secours, nombre de médecins dans les forces armées... L'ensemble des membres de ce comité exerce également une mission de contrôle au quotidien des casernes, de la nourriture, des équipements, des conditions de vie et des loisirs des militaires. Un compte-rendu est publié à l'issue de toutes les visites effectuées sur le terrain tandis qu'un rapport général de l'activité de l'instance de médiation est publié chaque année. Quatre fonctionnaires secondent les sept médiateurs.

La nomination des sept médiateurs à la défense est le premier acte du nouveau parlement, tous les quatre ans, lors du début d'une nouvelle législature. Le mandat est renouvelable indéfiniment, M. Utsi étant en poste depuis quinze ans.

En raison de sa nomination et son rôle, cette instance de médiation fait penser à une super commission de la défense, la commission parlementaire de la défense du Storting ne comptant que dix membres. De par leur nomination, les sept médiateurs sont souvent choisis parmi le personnel politique et sont parfois d'anciens parlementaires, mais ce n'est évidemment pas une condition car leur rôle ne se veut pas politique. Nos amis norvégiens nous ont expliqué que leur nomination par le Storting était une condition indispensable pour qu'ils puissent exercer un véritable pouvoir de contrôle sur l'exécutif.

Une quantité de requêtes à l'échelle d'une petite armée

Les requêtes doivent en principe prendre une forme écrite, mais de nombreux litiges, voire des malentendus, sont réglés par téléphone. Le médiateur ne donne pas de suite aux demandes anonymes, quelle que soit leur forme. Le médiateur à la défense reçoit environ 130 requêtes écrites par ans, chiffre qui peut sembler faible mais qui doit être rapporté à l'échelle de l'armée norvégienne qui compte 12 500 militaires d'active, 20 000 appelés et 11 000 civils. Il existe en outre une garde territoriale composée de 80 000 personnes qui sont, en fait, des réservistes territoriaux effectuant une semaine d'exercices par an. Rappelons que la Norvège ne compte que 4,2 millions d'habitants.

La plupart des requêtes émanent des officiers et des militaires du rang, même s'il arrive que des officiers généraux saisissent le médiateur : récemment, un général s'est plaint d'être moins bien rémunéré que lorsqu'il était colonel. Le médiateur a pris son parti. Notons qu'il n'existe plus en Norvège de sous-officiers. 40 % des requêtes proviennent des civils du ministère de la Défense, 33 % de l'armée de Terre, 12 % de la Marine, 12 % de l'armée de l'Air et 3 % de la garde nationale. Les requêtes portent principalement sur des questions de discipline, les litiges relatifs aux mutations des officiers étant négligeables. On estime que 1 % des décisions relatives à la discipline font l'objet d'un recours.

Une excellente coopération entre le médiateur et l'état-major

L'action du médiateur ne semble pas paralyser la hiérarchie militaire dans la mesure où le recours n'est pas suspensif et où les ordres sont exécutés. Le fait pour un appelé de savoir qu'il a déposé une requête devant le médiateur peut même l'inciter à continuer à obéir à sa hiérarchie, sachant que l'instruction suit son cours. L'avis du médiateur n'intervient qu'a posteriori et n'a donc pas, selon les termes mêmes du président de la commission de la défense du Storting, de conséquence opérationnelle.

La neutralité et l'objectivité de l'instance de médiation sont reconnues par la hiérarchie militaire qui lui accorde de ce fait un grand crédit. Les remarques et les demandes du médiateur sont généralement prises en considération par une hiérarchie militaire qui lui communique tous les documents demandés, comme cela est prévu par la loi instaurant les Ombudsmannen for Forsvaret. Le médiateur semble jouir d'un immense pouvoir moral qui lui permet d'être respecté par tous les acteurs du domaine de la défense, d'autant plus qu'il ne rend que des avis non contraignants. Il nous a, par ailleurs, été indiqué que le médiateur pouvait avoir un effet modérateur sur le comportement de certains officiers.

Une question reste toutefois en suspens : quel sera son rôle dans le cadre des opérations extérieures auxquelles la Norvège participe depuis peu et quelles seront les conséquences sur le plan opérationnel de cette petite armée qui n'a plus connu de combat depuis soixante ans ? Le médiateur n'a, en effet, pas encore été saisi par un militaire en opération hors du territoire national. La décision de n'envoyer en opérations extérieures que des volontaires même parmi les officiers de carrière devrait faciliter les choses.

Les autres voies de recours

Outre le médiateur, les militaires norvégiens peuvent bien sûr s'adresser à « l'homme de confiance » de leur unité, qui est l'équivalent des présidents de catégorie dans l'armée française. Ils peuvent déposer un recours devant leur hiérarchie. Le recours hiérarchique n'est pas un préalable obligatoire à la saisine du médiateur, de même que les tribunaux civils ou administratifs peuvent être saisis directement. Mais en passant par l'entremise du médiateur, le militaire a l'assurance de voir son dossier traité à fond et dans des délais raisonnables, ce qui peut rendre inutile la saisine de la justice.

Enfin, même s'ils ne disposent pas du droit de grève, les militaires norvégiens ont également la possibilité de faire appel à un syndicat ou à une association professionnelle pour défendre leurs droits, mais sauf question de principe, ces derniers s'intéressent davantage aux sujets d'ordre général qu'aux litiges personnels. Enfin, le recours aux tribunaux leur est bien entendu pleinement ouvert, même s'il reste assez rare.

LA MÉDIATION SUÉDOISE

La Suède est le pays qui a la plus longue expérience en matière de médiateur puis que le premier « Ombudsman » fut créé en 1809. C'est quelques années après que le pays devint neutre. Peuplé de 9 millions d'habitants, la Suède compte environ 56 000 militaires, dont à peu près 40 000 pour l'armée de Terre, 7 000 pour l'aviation et 9 000 pour la Marine. La conscription existe toujours en Suède, mais en réalité, comme les besoins des armées sont faibles, seuls 30 % à 35 % des jeunes gens d'une classe d'âge, en fait quasiment des volontaires, sont appelés sous les drapeaux.

Une culture de la médiation

La Suède peut être considérée comme le « paradis » des médiateurs : il en existe dix. Six sont nommés par le gouvernement (la création d'un septième serait à l'étude) : il s'agit du médiateur des consommateurs, de celui de l'égalité des chances, de celui contre la discrimination ethnique, de celui des enfants, de celui des handicapés et de celui de la presse.

Dans le cadre du contrôle qu'il exerce sur le pouvoir exécutif, le parlement, le Riksdag, en élit quatre autres dont les champs de compétence recouvrent, au total, l'ensemble de l'activité du gouvernement. Ainsi, le médiateur compétent pour la défense s'occupe également de l'administration pénitentiaire, de la police, des services fiscaux et des assurances sociales. Au total, les quatre médiateurs parlementaires gèrent un budget de 44 millions de couronnes (environ 35 millions de francs ou 5,3 millions d'euros) et sont aidés par une cinquantaine de fonctionnaires.

Les médiateurs parlementaires (Justitieombudsmännen) sont élus pour un mandat de quatre ans, traditionnellement à l'unanimité. Ces mandats sont renouvelables et l'actuel médiateur compétent pour la défense, M. Jan Pennlöv, est en poste depuis dix ans. Les médiateurs sont souvent d'anciens juges sans profil politique.

Une grande liberté de saisine

Bien qu'élu par le parlement, le médiateur dispose d'une totale liberté vis-à-vis du Riksdag qui ne peut influer sur ses décisions. Les sujets sur lesquels il se penche émanent généralement de saisines, mais le médiateur peut également se saisir de toute question ayant attiré son attention par l'intermédiaire de la presse ou par tout autre moyen. Il peut également classer sans suite certaines requêtes qui lui paraissent injustifiées. Ni le parlement ni le gouvernement n'ont d'influence sur le choix des affaires traitées. N'importe qui peut saisir le médiateur, sans condition de nationalité ni de résidence. Seule restriction : la saisine doit être écrite.

Le Justitieombudsmän compétent pour les affaires militaires reçoit environ 5 000 requêtes par an, mais seulement une trentaine concernent l'armée, la plupart relevant de ses autres champs de compétence. Ce faible nombre s'explique par l'importante baisse des effectifs de l'armée suédoise et notamment des conscrits. Jusqu'en 1967, époque à laquelle existait un médiateur entièrement spécialisé dans le domaine militaire, le nombre de requêtes annuelles pouvait dépasser les 2 000. Les principaux types de requêtes qu'il reçoit sont les suivants :

  • - infractions aux règles de sécurité ;
  • - litiges relatifs à la discipline, aux sanctions et mauvais traitements infligés aux appelés ;
  • - litiges relatifs à la responsabilité, lorsqu'une décision n'a pas été prise par la bonne autorité ;
  • - litiges relatifs à l'accès à certains documents.

Des pouvoirs très étendus

Outre son travail de médiation proprement dit, le médiateur a également une fonction de contrôle qui le conduit à se rendre dans les casernes, consacrant 20 à 25 jours par an à ses déplacements. Il rencontre à la fois le commandant de l'unité et les simples militaires du rang. Il contrôle les conditions de vie (logement, soins, nourriture...) ainsi que toutes les pièces relatives aux sanctions. Le médiateur a accès à tous les documents et on ne peut lui opposer aucun secret civil ou militaire. Il prévoit de se rendre prochainement au Kosovo où des troupes suédoises sont déployées.

Les pouvoirs des médiateurs parlementaires suédois sont particulièrement étendus et peuvent même nous paraître surprenants dans la mesure où, même si cette pratique semble assez peu courante, ils ont la possibilité de mettre en examen et de déférer devant la justice des personnes qui aurait commis des actes répréhensibles. Enfin, le médiateur rend un rapport annuel. Par souci de transparence, les requêtes, décisions et avis sont tous rendus publics avec les noms des personnes en cause.

De très bonnes relations avec l'état-major

La surveillance que le médiateur exerce sur l'administration publique est culturellement admise et les militaires, comme les autres, acceptent que le Justitieombudsmän vérifie la bonne application des textes en vigueur. Les relations du médiateur avec l'état-major semblent particulièrement bonnes, les critiques émises étant généralement prises en compte. Les recommandations du médiateur n'ont pas de caractère coercitif et ne revêtent que la forme d'avis, souvent suivis d'effets. Le grand intérêt que la presse semble accorder à l'action des médiateurs semble expliquer l'empressement que mettent les armées à suivre les conseils du médiateur.

Comme chez leurs voisins norvégiens, les Suédois s'interrogent sur les conséquences de l'action du médiateur sur le plan opérationnel de leur armée, notamment lors d'opérations extérieures. Si, en théorie, il est envisageable que des décisions opérationnelles fassent l'objet de contestation, il est par contre exclu que le médiateur accepte des requêtes mettant en cause des décisions issues de l'ONU ou de l'OTAN.

Rappelons enfin que, comme en Norvège, les militaires suédois ont la possibilité de se syndiquer (taux de syndicalisation : 90 %) et bénéficient même du droit de grève qui n'a jamais été mis en œuvre, même si des préavis ont parfois été déposés.

Notes
367.

Etre informé des lois et des règlement ayant une incidence sur l'entraînement et la vie quotidienne.

- Recevoir une formation et un entraînement militaires de qualité.

- Travailler et vivre au sein d'un environnement exempt de toute discrimination raciale ou de harcèlement sexuel.

- Refuser les ordres, suggestions ou demandes immoraux ou inappropriés de la part de quiconque (instructeur, hiérarchie, civil ...).

- Etre traité avec respect et dignité.

- Dénoncer le comportement immoral ou inapproprié de ses propres autorités, en passant ou non par la voie hiérarchique.