Remarques préliminaires

La co‑présence de deux langues, l’arabe et le français, est une caractéristique saillante du corpus PdP. La partie qui suit se focalise tout particulièrement sur cet aspect inabordé jusque‑là dans notre étude en s’attachant à repérer, décrire et analyser l’emploi alternatif du français et de l’arabe, soit d’une interaction à une autre soit à l’intérieur d’une même interaction (voire d’une unité plus petite comme l’échange ou l’intervention). La mixité culturelle des participants aux interactions explique l’alternance des deux langues dans le corpus, mais il ne faudrait pas s’arrêter à cette seule considération. Car si elle existe bel et bien, cette mixité n’est pas de nature homogène. Sans vouloir faire une description détaillée des origines culturelles de chacun des participants, il faut au moins poser que tous ne partagent pas les mêmes origines et les mêmes connaissances des deux langues. Les commerçants, qui sont trois jeunes gens, sont tous trois d’origine maghrébine mais ne parlent pas précisément le même dialecte, B et Bre étant d’origine algérienne et M tunisienne. Il en va de même pour les clients : ils sont pour la grande majorité d’origine algérienne, mais la boucherie accueille parfois des clients d’origine tunisienne ou marocaine (parlant ou non l’arabe), ou encore des clients Français. C’est pourquoi en réalité plusieurs dialectes différents sont représentés dans le corpus. Cependant, pour la présente étude, nous ferons abstraction des différents dialectes de l’arabe pour ne considérer que la seule langue arabe, d’une part parce que l’identification de chacun des dialectes est un travail fastidieux et parfois impossible (les participants parlant parfois plusieurs dialectes) et d’autre part parce que ceci impliquerait une étude à part, consacrée aux variations dialectales, ce qui n’est pas notre objet. Considérer ces dialectes comme faisant partie d’un tout, la langue arabe, ne procède pas d’une grossière généralisation pratique mais émane également d’un point de vue selon lequel selon lequel tous ces parlers sont l’une des manifestations d’une seule et même langue, l’arabe 1 .

Par ailleurs, toujours en ce qui concerne l’étude de l’arabe, nous ne prendrons pas non plus en considération les éventuelles variations de glosses 2 produites dans le discours des locuteurs et ce pour les mêmes raisons que celles invoquées plus haut : l’analyse de la pluriglossie de l’arabe constitue une étude singulière et à part qui n’entre pas dans l’objectif de cette recherche. Nous nous bornerons donc à l’observation, la description et l’analyse des alternances (code‑switiching) d’utilisation de la langue française et de la langue arabe, et ce afin de mieux comprendre comment ces alternances sont produites et gérées par les participants et ce qu’elles signifient (ou pas) dans le discours produit.

D’un point de vue général, les phénomènes de code‑switching relèvent du champ du bilinguisme. C’est pourquoi pour aborder ce point particulier, il convient de resituer plus précisément le code‑switching dans un champ plus vaste.

Notes
1.

Voir notamment sur cette question Dichy (1994)

2.

Voir également sur ce point Dichy (1994) qui donne la définition suivante d’une langue pluriglossique :

Un certain nombre de langues comportent un ensemble de variétés correspondant, non plus à des variations linguistiques telles que celles observées, en synchronie, en français ou en anglais, mais à des systèmes linguistiques (i.e., à des phonologies, morphologies, syntaxes, lexiques, etc.) distincts, bien que fortement apparentés, et associés, d’une part à des comportements linguistiques pour lesquels il est possible de proposer un schéma de fonctions, et de l’autre, à des variations régionales. On appellera ces “variétés” des glosses ; de telles langues seront dites pluriglossiques. (1994 : 22)