2. Le cadre de l’enquête

Or, nous l’avons vu, l’historiographie démontre que le passé du papier peint diffère profondément du présent de ce matériau de décoration. L’historien ne peut donc que se réjouir de l’ampleur des études actuelles, devenues enfin scientifiques, après une longue stagnation. Cependant, de vastes domaines restent à défricher pour faire « parler » de façon efficace le papier peint ancien : en dépassant l’histoire des formes, d’un intérêt certes fondamental, en allant au-delà de la généalogie des entreprises, il est vrai indispensable ; il s’agit désormais d’entrer dans une dimension plus concrète, dans ce que Daniel Roche a nommé « l’histoire des choses banales51 », de tenter de cerner ce que l’objet « papier peint » enferme d’ingéniosité, de choix et finalement de culture52. Or, durant une longue période, nous l’avons vu, les seules approches furent celle de la prosopographie, puis plus récemment celle de l’histoire des styles : le papier peint n’était-il pas une parfaite « grammaire des styles » qui se sont succédés du milieu du XVIIIe siècle à nos jours, en particulier de tous les styles historicistes du XIXe siècle dont il aurait été la caricature ? Le papier peint était dans ce cas considéré comme un objet d’art décoratif en soi, ce qui ne pouvait, dans la plupart des cas, que le déconsidérer par rapport à d’autres formules d’art décoratif estimées à tort ou à raison comme plus abouties – et ceci pratiquement dès la fin du XVIIIe siècle.

L’erreur était de couper le produit de son contexte : si la recherche anglo-saxonne, en l’absence il est vrai de collection notable, mais aussi à cause de son intérêt manifeste pour l’intérieur, l’a replacé in situ dès sa première approche historique, il n’en est pas de même en France, jusqu’à certaines publications récentes. Définir aussi le cadre de sa création, l’entreprise, le studio de dessin, l’atelier, voir comment et à qui il était vendu, son mode de pose, permettent de mieux saisir sous la surface du motif, un peu de ce poids de civilisation qui le sous-tend et lui donne tout son sens.

Ce travail a donc la modeste ambition de faire le point sur les différents aspects matériels du papier peint, du stade de la conception à celui de la pose, de la manufacture au mur, en se centrant moins sur la production courante mais davantage sur la production « fine » pour reprendre l’expression des manufacturiers du XIXe siècle, non seulement parce qu’elle s’est révélée une spécialité quasi-exclusive de l’industrie française, mais aussi, sources obligent, parce qu’elle est un peu mieux documentée que le reste de la production. Pour ce faire, nous disposons d’une source exceptionnelle, le fonds de la manufacture Jean Zuber & Cie, autour duquel nous avons centré notre étude, sans pourtant négliger d’autres sources, chaque fois que nous l’avons estimé nécessaire.

Notes
51.

On se réfère ici à l’ouvrage de Daniel Roche du même nom qui a sous-tendu notre interrogation. L’approche de Versailles par Frédéric Tiberghien dans son étude sur le chantier de Versailles, la méthodologie qu’il a développée nous a aussi vivement conforté dans notre recherche.

52.

Pour plagier L’éloge de l’objet de François Dagognet.