3. Les sources exploitées

Ce fonds Zuber, conservé au Musée du papier peint (MPP) de Rixheim, se révèle exceptionnellement documenté. Le début d’inventaire engagé par le CNRS en 197253 a révélé sa richesse : l’ensemble de la production de la manufacture depuis le début du XIXe siècle, mais aussi un ensemble d’archives qui, à défaut d’être complet, a l’avantage de la cohérence. Ajoutons que ce fonds provient d’une des manufactures majeures de l’histoire du papier peint, ce qui lui donne une dimension particulière. Précisons enfin que ce fonds d’origine privée n’a aucun équivalent54.

S’y ajoutent les collections du Musée proprement dites : outre le fonds de la manufacture se sont ajoutés depuis 1982 des ensembles qui ont pour ambition de couvrir l’ensemble de l’histoire du papier peint, tant sur le plan historique que géographique, des arabesques les plus somptueuses de la manufacture de Réveillon autour de 1790 aux audacieux papiers du Bauhaus à partir de 1929. Nous avons pu aussi, par ailleurs, consulter les grandes collections publiques55. C’est le contact quotidien avec ces papiers qui a nourri ce travail et nous a poussé à en savoir davantage sur les étapes de leur vie, de la manufacture au mur.

Pour cerner toutes ces étapes, nous avons pu largement utiliser la vaste documentation du musée, rassemblée depuis 1982 autour des différentes approches possibles du papier peint. La documentation technique (brevets, articles et ouvrages professionnels de tous les pays occidentaux) s’est révélée particulièrement utile, mais ne saurait faire oublier tout ce qui a été accumulé dans le domaine de l’intérieur : plus d’un millier de dossiers inédits d’intérieurs comportant du papier peint, à l’échelle internationale56.

Les collections de matériel technique conservées à Rixheim, documentées par les inventaires de la manufacture, bien conservés de 1794 à la fin du XIXe siècle, ont servi de base à l’étude technique : si les traités professionnels se sont révélés indispensables, c’est pourtant l’étude directe des papiers peints qui nous a le plus apporté dans ce domaine, concrétisant ou limitant ce que peut décrire la littérature spécialisée.

Quant au domaine de la commercialisation, il n’est ici esquissé que dans ses grandes lignes, grâce aux archives de Jean Zuber & Cie, fréquemment lacunaires dans ce domaine : l’absence d’archives de revendeurs limite de toute façon fortement l’approche.

En dehors de Rixheim, nous avons pu exploiter pour le XVIIIe siècle les dossiers de la Maison du Roi aux Archives nationales57, à notre connaissance, seule source donnant systématiquement une idée de l’usage du papier peint, de la soupente du domestique aux appartements du roi  : si rien ne subsiste de ce qui y est documenté, du moins la précision de la description des mémoires donne une idée très précise de l’usage du papier peint qu’il est possible de mettre en rapport avec ce qui est conservé par ailleurs in situ à l’heure actuelle. Nous n’avons pu prolonger ce dépouillement au XIXe siècle ; mais les sondages montrent que les fonds se révèlent moins riches : les investigations concernant par exemple le Compiègne du Second Empire où pourtant abondent encore des papiers peints plus ou moins bien conservés dans les suites destinées aux « séries » se sont révélées très décevantes. Par contre, pour le XIXe siècle, en dehors même de ce qui est encore conservé sur le mur, en particulier dans de très nombreux châteaux allemands58, nous possédons, au moins pour les intérieurs aisés, d’une iconographie surabondante, encore que dispersée59 : les familles du XIXe siècle ont multiplié les albums de vues d’intérieur destinés à conserver le souvenir de lieux aimés au cours d’une vie plus itinérante qu’on ne l’imagine60.

Notre recherche s’est concentrée sur une période qui démarre dans les années 1770, à partir de l’apparition du papier peint en rouleau imprimé en détrempe sur le continent européen, pour s’achever avec la Première guerre mondiale, même si les nouveaux horizons qui s’ouvrent dans l’Entre-deux-guerres sont évoqués en conclusion.

Si le papier peint du XVIIIe siècle est envisagé dans toute sa variété, dans la mesure où il est encore un produit d’exception, relativement bien documenté, nous avons préféré une approche différente pour le siècle suivant. Comme ce décor se démocratise, les sources se font plus rares et les exemples conservés sur le mur plus exceptionnels ; nous nous sommes plus particulièrement intéressé à deux produits particuliers au papier peint et spécialement bien documentés : le panoramique et le « décor » ; si le premier a donné lieu à une monographie61, nous avons souhaité envisager une approche plus concrète que celle développée jusqu’alors, sans pour autant remettre en cause fondamentalement cet ouvrage, en faisant un large usage des archives et de la documentation disponibles ; nous avons prolongé le travail par l’étude de ses « succédanés » de la seconde moitié du siècle, « tableaux » et « tapisseries » ; quant aux « décors », nous avons approfondi les données existantes par un large usage des sources.

Nous nous en sommes tenu à un plan chronologique, avec trois grandes parties. Après l’analyse de la situation du XVIIIe siècle, la coupure du début du XIXe siècle, qui nous a été suggérée par la prise en main de l’entreprise de Rixheim par Jean Zuber en 1802, est loin d’être aussi artificielle qu’il y paraît : l’usage de la planche prend alors une autre dimension avec l’usage systématique de la presse et le lancement sur une grande échelle du panoramique et du décor ; quant au système de pose, il évolue profondément, les producteurs, en mettant en œuvre des concepts nouveaux, remplacent les décorateurs dans l’usage du produit. L’essor de la mécanique à partir de 1850 sur le continent correspond aussi à une étape de l’histoire de la manufacture : celle-ci épuise désormais jusqu’à la Première Guerre toutes les possibilités des techniques traditionnelles, dans l’essor du décor en particulier, mais aussi de tout ce qui est susceptible de remplacer le panoramique, cela au moment où la mécanique remet définitivement en cause son approche. Un rapide survol du XXe siècle en manière de conclusion permet de mieux comprendre la situation actuelle, par comparaison avec le passé.

Notes
53.

Par Odile Kammerer, sous la direction de Jean-Pierre Seguin, conservateur au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, cf. BSIM 1984, p. 50-51.

54.

Les archives Desfossé et Leroy, conservées au Musée des arts décoratifs de Paris, se révèlent bien plus modestes, abstraction faite des papiers peints, bien sûr : au mieux quelques « livres de gravure » incomplets.

55.

Nous avons eu la chance de consulter le fonds du Musée des arts décoratifs, le seul qui puisse lui être comparé, celui, fort riche mais moins homogène, du Deutsches Tapetenmuseum de Kassel, celui, centré sur les Réformistes anglais, de la Whitworth Art Gallery de Manchester et les superbes fonds, très français, du Cooper Hewitt Museum de New York, de la Society for the Preservation of New England Antiquities, du Musée de la Rhode Island School of Design à Providence.

56.

Nous citons ces dossiers « doc° MPP » : ils sont classés au Musée en fonction de la localisation géographique des lieux envisagés.

57.

Ma dette ici est immense envers Marc-Henri Jordan qui, travaillant dans les fonds de la Maison du Roi sous un autre angle d’approche, m’a signalé de nombreux documents intéressant ma recherche.

58.

Pour lesquels il manque une étude synthétique : du moins les monographies sont-elles abondantes et de qualité, en particulier la série exemplaire éditée par la Staatliche Verwaltung f. Schlößer, Gärten u. Seen de Bavière. Pour un survol, on pourra consulter : Le temps du voyage, voyage dans le temps, Ratisbonne 1999.

59.

Les références de base sont les ouvrages de Thornton 1984 et Praz 1990. Mais, il en existe de nombreux recueils en Europe centrale, comme l’exemplaire ouvrage tchèque de Krizova en 1996.

60.

Voir Jacqué 2001, p. 75-80 pour la problématique de ces vues d’intérieur.

61.

L’ouvrage Papiers peints panoramiques (Paris1990, édition revue 1998) dirigé par Odile Kammerer-Nouvel (auquel nous avons participé) reste le pivot de toute étude par les contributions qu’il réunit et par son catalogue raisonné.