Ces deux dessinateurs, chacun spécialisé dans son domaine, font la transition entre le passé artisanal et le présent industriel, au moment où la notion d’art décoratif est en pleine élaboration.
Malaine a un parcours classique de peintre de fleurs qui le mène logiquement à travailler pour la tapisserie de meuble des Gobelins et de Beauvais : il aurait aussi bien pu travailler pour Sèvres ou encore, comme les Redouté, à Compiègne pour le décor peint d’intérieur. Il représente bien le cas de l’artiste d’Ancien Régime exerçant son art dans ces domaines : il a une production de peintre, réalise des créations de haut niveau destinées à des séries infimes pour la tapisserie, mais progressivement il abandonne (certes en partie malgré lui) le monde de l’art pour celui de l’industrie, sentant qu’il y a là un métier d’avenir. Si l’on compare par exemple son revenu aux Gobelins, 1640 livres de 1786 à 1789 aux « 15 à 18 000 livres qu’il tire de l’étranger », c’est-à-dire de l’indiennage et du papier peint mulhousiens, son choix peut aussi se comprendre facilement, d’un point de vue purement lucratif.
Quant à Darmancourt, si nous ignorons ce qu’il fit avant puis après avoir travaillé pour Mulhouse et Rixheim, nous n’avons aucune trace d’une activité de peintre. Et son type de travail exploitant la gravure pour créer des motifs à des fins industrielles, son rôle dans l’élaboration du premier décor connu, à défaut de son travail dans le panoramique, en fait assez bien un prototype de ce que sera le dessinateur de papier peint du XIXe siècle, spécialisé dans le décor.
Quelle est la place de ces dessinateurs dans la hiérarchie de l’entreprise ? Ceci se mesure d’abord financièrement. Malaine, outre sa part de 10% des bénéfices (5841 livres en septembre 1792) dans une entreprise où il n’a rien investi, reçoit un salaire confortable de 4 000 livres. Par comparaison, Réveillon, trois ans avant, emploie : « un artiste très distingué (payé) 10 000 livres (…) »; il ajoute : « j’occupe en outre un Dessinateur qui a 3 000 livres avec le logement, un autre qui a 2 000 livres de fixe 258» ; s’y ajoutent par ailleurs des « dessinateurs qui « gagnent 50 à 100 sous par jour (de 750 à 1 500 livres par an) 259». Les 10 000 livres sont très proches du revenu de Malaine, surtout si l’on tient compte qu’il devait aussi travailler en même temps pour l’indiennage. Et Réveillon utilise pour celui qui touche ce salaire le terme d’artiste, sans doute pas par hasard, alors que les autres ne sont nommés que dessinateur. Le ton déférent des lettres de la manufacture à Malaine laisse supposer un statut semblable, quant à ses relations de chef de file avec les autres dessinateurs, elles le placent au sommet d’une hiérarchie. Cette hiérarchie, nous la trouvons tant à Paris (Gantelet, Darmancourt) qu’à Mulhouse : les archives ne nous permettent cependant pas de résoudre clairement le cas de la production courante, les simples motifs répétitifs de quelques couleurs. La manufacture, en confiant à Malaine des élèves, veut sans doute les former à ce type de travail Par ailleurs, l’existence à Mulhouse même de dessinateurs pour l’indiennage permettait sans doute de résoudre cette question. Jean Zuber note dans ses Réminiscences qu’en 1792, la manufacture emploie sur place trois dessinateurs 260 .
Pourtant, même si le dessinateur est un maillon fort de l’entreprise de papier peint, les textes restent discrets sur sa place dans la fabrique et pas un seul ouvrage technique ne décrit son travail, qui fait pourtant appel à un savoir faire tout à fait particulier : les règles du dessin pour papier peint sont très strictes, contraignantes, en particulier pour un peintre qui n’est pas habitué à sa spécificité.
Réveillon 1789.
Réveillon 1789.
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