1.2.5. La technique du dessinateur

Au reçu d’une commande, le dessinateur rassemble de la documentation, à moins que le manufacturier ne la lui fournisse : il dispose tout d’abord d’exemples de la concurrence que, nous l’avons vu, les manufacturiers recherchent systématiquement, en particulier pour s’informer de la nouveauté, en dessin comme en coloration, quelle que soit leur crainte de la copie : ce qui ne les empêche pas de vanter, non sans ambiguïté, les vertus de la création :

‘P. le plus grand bien de nos intérêts n/ devons être original & non les copistes des autres, la copie quoique changé & mieux exécuté ne se porte jamais au prix de l’original261.’

Pourtant, cette copie est bien réelle, comme nous le verrons. 

Nous avons constaté que par ailleurs, les manufactures disposaient sinon d’une bibliothèque, du moins de documentation, mais il est clair qu’il ne s’agit pas des seuls ouvrages utilisés : rien que pour l’élaboration des arabesques, nombre de détails ont été copiés dans les recueils les plus divers262.

À partir de ces sources, en fonction de leur talent, les dessinateurs réalisent pour les commandes les plus importantes une maquette simplifiée à l’intention du manufacturier. Son approbation acquise, ils peuvent pousser plus loin l’élaboration : c’est par exemple le cas pour les décorations élaborées par Darmancourt en 1797.

Concrètement, le dessin se présente sous la forme d’une gouache sur papier aux dimensions du futur papier peint : à notre connaissance, seul Malaine utilise l’huile, dans la tradition des cartons de tapisserie. Le dessinateur doit faire appel à une technique de dessin particulière, puisqu’au lieu d’obtenir son volume par un jeu de dégradé, conformément à la tradition issue de la Renaissance, il est forcé de décomposer son motif en aplats263 correspondant au nombre de couleurs prévu. Plus nombreuses sont les couleurs, plus coûteuse sera la gravure des planches et les lettres de la manufacture au dessinateur retentissent inlassablement d’appel à l’économie quant au nombre de couleurs264. A partir de là, si le projet est accepté par le manufacturier (il est des cas de refus), il rejoint l’atelier de gravure. Si le dessinateur est sur place, il peut surveiller la délicate étape de la mise sur bois, sinon il peut contester le résultat final : Darmancourt se plaint par exemple de la coloration de l’impression de sa « décoration étrusque », ce à quoi Hartmann Risler qui a toujours rêvé de le voir auprès de lui à Rixheim, répond :

‘Si Mr darmancourt veut venir ici pour quelques mois, il corrigera ce que l’exécution a de deffectueux 265.’

Il semble que le problème se soit résolu par correspondance…

En dépit de leur état médiocre après la phase de la mise sur bois qui massacre littéralement le document, les dessins originaux sont souvent gardés d’après les maquettes parvenues jusqu’à nous, en provenance de Réveillon, de Jacquemart & Bénard266 et d’Hartmann Risler 267: Sans doute servaient-ils de référence ; il fallait aussi parfois envisager une regravure en cas de succès268, les planches étant usées.

Notes
261.

MPP.Z 108, 6 prairial 6.

262.

Jordan 1995, passim.

263.

On trouvera au siècle suivant l’expression : « teinte plate » ou « touche plate » à ce propos.

264.

Nous en avons un exemple concret avec la maquette du panneau à la corbeille de fleurs de Malaine (Jacqué 1995 IB6 et p. 120) :entre la maquette et l’impression, le nombre de couleurs a été nettement réduit.

265.

MPP Z 108, 17 vendémiaire an 7.

266.

Exemplaires au MAD, Paris et au MPP, exemples dans Jacqué 1995.

267.

Exemplaires au MPP, Jacqué 1995..

268.

Zuber 1895, p. 20 à propos d’une rosace