Le papier est l’unique support du papier peint : jusqu’en 1831, sinon 1832, le rouleau de papier peint se fabrique à partir de feuilles produites à la forme, à base de chiffons306.
Coûteux, ce papier est parfois remplacé par des papiers de récupération : une bordure française de grande qualité de la fin du XVIIIe siècle est imprimée sur les feuilles d’un livre de bord de navire307 ; on utilise aussi des maculatures d’imprimerie : c’est le cas d’un médiocre papier révolutionnaire imprimé sur un traité militaire que les évènements ont peut-être périmé308. Mais cela reste l’exception, les manufactures font appel aux papeteries. Nicolas Dollfus & Cie décrit précisément ce dont il a besoin quant il écrit à Sonntag & Cie à Schopfheim le 18 août 1790, alors qu’il débute dans le métier309 :
‘Nous avons trouvé (…) par toute notre expérience que toute la bonté de notre papier consiste à être bien uni & collé très fort quant à la couleur elle importe peu excepté dans les papiers très fins.’Il ajoute :
‘Pour faire vos papiers vous les étentés sans doute sur des cordes & cette maniere est mauvaise parce que les traits de la corde se remarquent toujours tout le long du papier & nous incommode beaucoup pour rendre nos fonds bien unis ; donnés donc vos soins pour que ces marques ne se retrouvent plus à l’avenir.’De fait, les inventaires de Mulhouse distinguent des qualités 1, 2 et 3, de 8 à 16 livres la rame, tandis que chez Arthur & Grenard, l’écart est bien plus important : 27 livres : pour la qualité dite « fin double », 25 livres pour la rame d’Annonay, , 24 livres pour la qualité dite « fin », 11 pour la qualité « gris blanc » et 7 pour la qualité « gris ».
Pratiquement tous ces papiers sont en grand raisin soit 0, 50 sur 0, 65 m ; Arthur & Grenard disposent cependant de deux rames de colombier (0, 63 sur 0, 90 m) au prix énorme de 60 livres la rame et Anisson Duperron de 107 rames de couronne (0, 37 m sur 0, 48 m) ; ce dernier stocke aussi des papiers colorés dans la masse : bleu pâle, bleu et des couleurs non précisées310. En fait, c’est le format raisin que l’on retrouve utilisé le plus systématiquement dans la production et qui impose son standard aux papiers peints : 24 feuilles pour un rouleau de 9 aunes. Le prix élevé des grands formats comme le colombier explique le choix du collage quand de grands formats sont nécessaires311. Pourtant Hartmann Risler tente en l’an 8 une fabrication d’uni sur grand-jésus (56 x77,6 cm) de façon à concurrencer les autres manufacturiers avec un produit plus large donc théoriquement plus rapide à poser312.
Les manufactures ont du mal à se fournir : elles se plaignent sans cesse d’une part de l’irrégularité des livraisons313, d’autre part du manque de suivi de la qualité du produit314. Hartmann Risler se trouve à plusieurs reprises en rupture de stock et se révèle incapable de répondre à des commandes315. En 1791, un exemple parmi bien d’autres, Nicolas Dollfus se plaint d’un papier
‘aucunement conforme à nos conventions. Il n’a pas la grandeur convenue (…) il est très mal travaillé, inégal, plein de plis au millieu & de casses aux coins de même que des trous ; il n’a pas la pesanteur de 28 livres la rame, il n’est pas assés collé316 ’En conséquence, les manufactures sont donc forcées de faire appel à de nombreuses papeteries, souvent lointaines. A Paris, d’après l’inventaire de 1789, Arthur & Grenard utilisent du papier d’Annonay, d’Auvergne et de Montargis, au moins pour les stocks dont l’origine est indiquée. A Mulhouse, l’entreprise fait appel sans lendemain aux moulins d’Annonay, Montgolfier et Johannot, mais leurs prix sont obérés par le transport ; Sonntag à Schopfheim et Morel à Montbéliard sont ses fournisseurs réguliers, en dépit de récriminations incessantes317. Rappelons , par comparaison, que l’Encyclopédie a été imprimée sur le papier de 23 moulins différents.318.
Dans ces conditions, il est donc logique que les stocks de papier à l’inventaire soient faibles : 781 rames et 3 660 rouleaux estimés 11 743 livres. pour Arthur & Grenard en 1789, 140 rames et 10 648 rouleaux estimés 3897 livres pour Nicolas Dollfus & Cie en 1794., 150 rames et 3 870 rouleaux estimés 7679 livres pour Hartmann Risler en 1798 : les manufacturiers se fournissaient au fur et à mesure de leurs besoins et surtout de l’offre.
La solution est alors de fabriquer son propre papier : Réveillon investit de façon temporaire dans un moulin aux côtés de Delàgarde à Courtalin en Brie (Pommeuse, Seine & Marne) de 1771 à 1780, mais il continue à utiliser la production de l’entreprise par la suite 319; Jean Zuber, deux ans après être devenu propriétaire de l’entreprise qui porte désormais son nom, rachète un moulin dans le sud du Haut-Rhin, à Roppentzwiller, en 1804, pour « enfin réaliser notre ancien désir de fabriquer nous-mêmes le papier blanc que nous employons320 » ce qui devrait permettre de résoudre le problème de la qualité ; la régularité, quant à elle, tient en partie aux conditions météorologiques, en partie à l’approvisionnement en chiffons.
Conformément à la technique de l’époque, ce papier est un vergé qui porte régulièrement la marque des vergeures et des pontuseaux, auxquels s’ajoutent, mais rarement, le ou les filigranes du moulin321. Le vélin, dont Réveillon se dit abusivement l’inventeur dans son moulin de Courtalin en 1782, ne se retrouve pratiquement pas dans la production de papier peint : les somptueux panneaux d’arabesques sont par exemple imprimés sur vergé et même quand Réveillon imprime directement sur le papier sans le foncer, pour imiter soit les papiers de Chine (ainsi le n° 600322), soit les toiles imprimées323, il ne fait pas appel au papier vélin. Dans l’inventaire d’Hartmann Risler du 31 janvier 1798, on ne relève que six rames de vélin (sur 150) et 3% de la valeur du papier blanc en stock324. Il faut attendre le début du XIXe siècle pour que le vélin devienne d’un usage courant.
Les rames achetées par la manufacture sont utilisés telles quelles pour les papiers en feuilles, collées pour former des dessus-de-porte ou des panneaux et surtout transformées en rouleaux : vingt-quatre feuilles de format raisin sont alors raboutées les unes aux autres.
Cette pratique, ancestrale en Chine325, est connue depuis la fin du XVIIe siècle en Angleterre : le procédé est mentionné par John Houghton dans sa Collection of Letters for the Improvement of Husbandry and Trade (1689-1703) à la date du 30 juin 1699 :
‘(…) Rolls in long Sheets of a thick Paper made for the Purpose, whose sheets are pasted together to be so long as the Height of a Room ; and they are managed like woolen Hangings(…)’Nous ignorons la date de l’arrivée du procédé en France : sans doute quand s’est affirmé le papier peint dans les années 1760-70. En 1778, la communauté des maîtres peintres, sculpteurs, doreurs et marbriers de Paris impose le rouleau de neuf aunes326. Chaque rouleau doit, par ailleurs, porter à ses deux extrémités la marque de la manufacture, mais la règle est loin d’être systématiquement appliquée puisqu’on ne la retrouve que très rarement lorsque l’on a entre les mains une extrémité de rouleau : en revanche, la cachet de la manufacture apparaît à l’occasion au verso.
Le procédé utilisé nous est représenté dans la coupe de la manufacture Arthur & Grenard de 1789 ; par ailleurs, nous possédons la description qu’en donne l’inventaire de 1789 ; enfin, Sébastien Le Normand, à partir de 1822, dépeint le procédé qui n’a pas évolué depuis le XVIIIe siècle. Il suffit par ailleurs de retourner un papier peint du XVIIIe siècle ou, quand il est posé, d’en regarder soigneusement le recto, pour y trouver des renseignements.
Première étape : le rognage des feuilles ; à l’aide d’une presse à rogner, c’est-à-dire une table et une plaque de bois de la taille de la feuille souhaitée, un rogneur rogne deux rames ensemble à l’aide d’un couteau de relieur, en étant attentif de « perdre le moins de papier qu’il se peut » selon Le Normand. Ce travail est exécuté chez Arthur par un homme seul, mais l’inventaire relève deux presses à côté de lui, et un tas de rognures : 300 livres de rognures estimées à 210 livres, encore qu’on puisse se poser la question de leur réutilisation (carton ?).
L’opération suivante consiste à mettre bout à bout ces feuilles sur une table de façon à les « rabouter » : l’inventaire décrit
‘une grande table de neuf aunes de long servant à assembler les papiers garnie d’un traiteau de 45 pouces de large ; ’si la table a exactement la longueur requise, en revanche, elle permet sans doute de réaliser deux rouleaux dans la largeur, ce qui explique la présence d’ouvrières des deux côtés ; il est aussi possible qu’un rouleau sèche recouvert d’une planche alourdie d’une pierre pendant que l’autre est en fabrication.. On retrouve à Mulhouse dans l’inventaire de 1794 la presse à rogner, estimée 20 livres, mais s’il y a des tables à rouler, une table à rabouter n’est pas spécifiquement décrite.
Le Normand précise longuement les gestes du raboutage, qui tiennent du « truc » de métier : « cette opération se fait, pour ainsi dire, sans regarder » dit-il, alors même que l’on a bien du mal à comprendre ce qu’il décrit si on ne le voit pas ; nous sommes là dans le domaine du difficilement transmissible, autrement que par l’apprentissage, de règle dans la production du papier peint. En examinant de près les rouleaux, on s’aperçoit de la précision du travail, très régulier : les feuilles sont collées à la colle de farine par leur côté le plus large ;. la rabouture dépasse rarement le 1/2 cm.
Le Normand insiste sur le fait que ce travail est exécuté par des petites filles : dans la vue intérieure d’Arthur, c’est le seul atelier où on rencontre de la main d’œuvre féminine, sans que l’on puisse préciser son âge. Réveillon, dans sa Relation historique, ne fait pas allusion à ce travail mais emploie des enfants entre douze et quinze ans, sans préciser leur activité. Même chose dans le document listant le personnel de Jacquemart & Bénard327 où il est fait simplement allusion à 94 ouvriers occupés à diverses activités dont « au treillage et au rognage des papiers en rame ».
Dernière opération, qui se déroule dans le fond de l’atelier d’Arthur, le roulage, exécuté aussi par du personnel féminin ; l’inventaire parle de « 2 tretteaux et (d’) une table arouler ». ; des « corps de case » permettent le stockage avant le fonçage.
Intéressons-nous à un cas particulier d’utilisation du papier : les panneaux, comme les panneaux en arabesques (ill° 3.1)328. Le même panneau peut être imprimé en petite et en grande largeur, de façon à adapter le panneau à l’usage que l’on souhaite en faire, au besoin l’agrandir en largeur au pinceau. En vue de grandes marges329, on utilise des feuilles de papier non pas collées par leur grand côté, mais des feuilles en double rang dans le sens de la hauteur, donc raboutées dans les deux sens ; à Moccas Court (ill° 3.6), les panneaux en arabesques, en fonction de leur emplacement, sont collées selon la voie normale ou dans les deux sens. Pour les dessus-de-porte, on use de techniques semblables : l’inventaire de la manufacture de Mulhouse en 1794 liste
‘330 feuilles N° 2 de 12 feuilles pour Dessus-de-porte’ | ‘7’ | ‘115. 10’ |
‘150 idem de 14 feuilles’ | ‘8’ | ‘60’ |
‘290 idem de 16’ | ‘9’ | ‘130. 10.’ |
Les standards du papier et leur influence sur les dimensions des rouleaux sont loin d’être indifférents. On peut d’abord constater que la largeur d’un rouleau de papier peint est à peu de chose près celle d’une laize de soierie ou d’un cuir gaufré : ce qui fait que le papier peint n’a pas révolutionné les normes du motif répétitif traditionnel des tentures, bien au contraire, il les a réutilisées à son profit. Il sera donc aisé de copier un motif de soierie, mais beaucoup plus difficile de copier un motif d’indienne, d’ailleurs moins courant en papier peint que le premier. D’autre part, la largeur du papier a eu pour conséquence de limiter en largeur le motif : au XVIIIe siècle, un motif de papier peint ne s’étend pas sur plusieurs largeurs, en revanche, dans la largeur d’un rouleau, il est possible de placer des motifs en plusieurs chemins, comme les arabesques à deux chemins, par exemple (ill° 3.3). De la même manière, les bordures, imprimées en plusieurs exemplaires dans la largeur du rouleau, sont normalisées par rapport à celle-ci.
Nous ne rappellerons pas ici le procédé de fabrication souvent décrit avec précision au XVIIIe siècle : on se reportera à la synthèse qu’en donne André 1996. Son premier chapitre, la papeterie traditionnelle p. 21-54, synthétise les données concernant la production de papier au XVIIIe siècle.
MPP, inv. 982PP75.
Musée de la Révolution française, Vizille, inv. 984-437.
MPP, Z 94.
Hartmann Risler essaie d’en faire fabriquer par Conrad à Arches dans les Vosges, avec l’idée de remplacer les fonds : mais l’affaire reste sans suite (MMP Z 96, 5 avril 1797).
Dans l’inventaire d’Arthur & Grenard figurent 1168 rouleaux de « papier à tourterelles blanc » a 1 6 (le raisin fin double est à 1 8) : s’agit-il d’un format particulier ou d’une qualité spécifique ?
MPP Z 108, passim.
Liée sans doute au fonctionnement irrégulier des moulins.
Voir André 1996. Qui constate que les éditeurs de la grande Encyclopédie se heurtaient au même problème ; en fait, il trouvait sa source dans la manière dont était composée une rame de papier où moins de la moitié était de première qualité.
MPP Z 108, passim
MPP Z 94, 1 octobre 1791.
MPP, Z 94, passim.
Darnton 1982, p. 153.
Bruignac 1995, p. 24, mais sans références.
Zuber 1895, p. 56.
On peut s’interroger sur l’absence quasi systématique de ces filigranes que pourtant la législation impose. En revanche, l’on rencontre souvent un filigrane au raisin, rappelant le format utilisé.
Jacqué 1995, IIIB5
Brédif 1998, p. 143-154.
La rame de papier vélin est estimée 20 LIVRES, la rame de papier vergé 8-10 LIVRES selon la qualité.
C’est bien sûr le cas des papiers peints produits pour le monde occidental à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle : les Anglais y ont sans doute trouvé la l’idée qui a eu tant de mal à convaincre les Français.
Follot, 1900, p. 18.
A.N. F12 2285.
Voir par exemple Jacqué1991, planche II.