1.3.4. Le fonçage : comment donner un fond de couleur au rouleau

Le fonçage a pour propos de déposer, avant l’impression, une couleur de fond uniforme et régulière sur le papier (ill° 11.7 et 8)  : un papier destiné à être collé sur le mur ne peut rester sans couleur de fond, d’une part, parce que la couleur des papiers varie, y compris à l’intérieur d’une même rame357, et d’autre part, parce que le papier nu est « brûlé » par la lumière, un phénomène qui empire à partir du moment où on y introduit du chlore pour le blanchir358. Deux cas cependant où le papier reste nu avant impression : le premier est d’ordre esthétique, lorsqu’il s’agit d’imiter les papiers chinois ou la toile359, le second d’ordre économique, des papiers de qualité courante imprimés sans fond360.

Un papier foncé n’a pas d’équivalent : c’est particulièrement sensible pour les papiers unis, dont la surface acquiert un moelleux particulier (ill° 5). Ce n’est évidemment pas un hasard si dans les pièces d’apparat de sa résidence à Weimar, Goethe fait installer à grand frais des papiers unis (ill° 5.4 et 5.5), alors que le mur est simplement peint directement sur le plâtre dans les autres pièces361.

La couleur appliquée lors du fonçage est un mélange de colorant et de colle. Elle est posée en deux temps : un brossage avec une brosse longue de soies de porc de toute la surface, dans les deux sens, puis immédiatement après, un brossage léger avec des brosses rondes362 dites « brosses a repasser » et « pinceaux a foncer »363. Tout est, une fois de plus, dans le geste parfaitement maîtrisé, le savoir-faire qui permet de doser quantité et pression ; la moindre hésitation risque de provoquer une inégalité de ton364. Ce travail est pourtant réalisé chez Jacquemart & Bénard par de « petits enfants » aux dires du Journal du Lycée des arts 365 .

Mais le résultat est là, tant apprécié tel quel au XVIIIe siècle qu’il est fait un large usage des papiers simplement unis, en particulier verts et bleus (ill° 5.2, 3 & 4)366. Lorsque cependant, il s’agit d’utiliser les papiers foncés tels quels, une attention plus grande est apportée à leur fabrication, le nombre de couches est accru comme pour ces « 39 au(nes) de papier verd anglois superfin à 4 couches à 25 s l’aune » soit la coquette somme de 15 livres le rouleau, fournis par Arthur & Robert pour le cabinet de M. Boursel à Versailles en 1790367 ; Hartmann Risler distingue d’ailleurs à partir de l’inventaire de 1797 les « unis pour l’impression » des « unis pour unis », plus coûteux.

En 1830, Le Normand estime qu’un bon ouvrier peut, avec un ou deux aides, foncer quelque 300 rouleaux par jour : il n’y pas de raison qu’il n’en soit pas de même au XVIIIe siècle, puisque les techniques étaient strictement semblables comme le confirme la documentation368.

Afin de sécher le papier foncé, il est posé sur des baguettes rondes, dites « ferlet », il est soulevé et placé sur un étendoir : les représentations d’intérieur de manufacture sont comme rythmées par ces étendoirs où les papiers descendent du plafond au sol dans des mouvements de vague saisissants. Comme le séchage est nécessaire après chaque opération, ces étendoirs se retrouvent d’atelier en atelier369.

L’apparence du papier foncé peut être améliorée par un traitement qui transforme son aspect tout en maintenant sa matité : le lissage (ill° 11.7 droite & 10). Celui-ci supprime le grain du papier vergé et donne une surface égale.

Pour ce faire, le papier foncé est posé à l’envers sur une table et poli avec une pierre dure : agate, silex…, maintenue au plafond de l’atelier par une armature mobile. Chez Arthur & Grenard, dans l’atelier des fonceurs et lisseurs, on voit un ouvrier debout devant sa table en train de lisser en tenant la pierre à deux mains ; une planche fixée au plafond et munie de contrepoids, qui la transforment en ressort, crée la pression sur le papier370.

Ce lissage n’est pas systématique : il est réservé aux papiers de bonne qualité et se lit particulièrement bien au verso du rouleau qui devient, bien sûr, lisse et légèrement brillant.

Un type particulier de fonçage donne lieu aux premiers brevets français de papier peint :

‘1.Chenavard, n° 59, 30 septembre 1797, 5 ans. Papiers peints, imitant le tissu de mousseline
2.Jacquemart & Bénard, n° 76, 18 avril 1800, 5 ans. Fabrication de papier peint imitant le linon-batiste, unis et brodés’

Le second brevet n’est évidemment qu’un moyen de contester le premier. Les fabricants, suivant la mode des tissus légers comme vêtement ou tenture (que l’on songe au décor de la chambre de madame Récamier, réalisé en 1798371) en offrent une version moins coûteuse. La technique utilisée est aussi simple que séduisante quand elle est réalisée avec le savoir-faire loin de toute sécheresse de la fin du XVIIIe siècle. Sur un fond déjà foncé est passé un blanc léger à base de craie et, alors qu’il est encore frais, il est brossé en perpendiculaire, ce qui donne un effet de tissage très vaporeux sous lequel transparaît le premier fond. La protection que supposent ces deux brevets ne semble pas avoir été efficace : Hartmann Risler écrit à la maison de Paris le 8 nivôse an 7 :

‘Si v/ pouvés v/ procurer des Ech° des dessins mouss(eline) du fabricant qui en a obtenu un privilège pr ce genre, v/ n/ ferez plaisir pr connaître l’article ; ’

et rapidement, Rixheim copie à son tour ces fonds : la manufacture peut annoncer fièrement le 10 thermidor an 9 : « les fonds mousse(line) se font très bien »..

Notes
357.

C’est ainsi que dans certains exemplaires du papier peint n° 600, créé en 1788 par la manufacture Réveillon, les feuilles nues apparaissent de coloration différente, alors que ces rouleaux n’ont jamais été posés. Cf. MPP, inv. 985PP5/21-4.

358.

En pratique, pas avant 1819, d’après André 1996, p. 60, même si des expériences sont menées bien avant.

359.

Nombreux exemples dans la production de Réveillon entre 1770 et 1789.

360.

Les exemples du XVIIIe siècle en sont rares, cela deviendra plus courant par la suite.

361.

Beyer 1993, p. 42-57

362.

« Les brosses pinceaux à foncer diminuent fort, envoyez n/ en ; la ficelle des pinceaux que v/ n/ aves envoyé commencent déjà à pourrir, n/ ancienne maniere a virolles sera encore la meilleure » (28 prairial an 6, MPP Z 107).

363.

MPP Z 107, 26 prairial an 7.

364.

Ce fonçage se lit très bien par transparence : on est alors étonné de la liberté de mouvement du brossage manuelivres

365.

P. 9.

366.

Ces verts et bleus sont très recherchés : Mulhouse essaie avec plus ou moins de difficultés d’en acheter à Jacquemart & Bénard qui « font toujours le plus beau » (26 messidor 3). Mais, après bien des tribulations, elle triomphe six ans plus tard quand, dans un courrier, la manufacture annonce : « la nuance de nos verd est beaucoup plus belle que celle de Jacquemart & Bénard » ((19 thermidor 9) ; le triomphe est, hélas sans lendemain, les problèmes continuent…

367.

A.N. O1 3467, 2. Les prix les plus élevés rencontrés pour un rouleau de vert anglais se montent à 6 L, ce qui est déjà fort cher.

368.

Dans l’inventaire d’Arthur & Grenard apparaît, quand il liste le contenu de l’atelier de fonçage : « la table à Mocreet ses dépendances ». Par ailleurs, dans l’atelier du 5e étage où sont stockés une bonne part des papiers blancs, figurent « 15 Roulivres Mocre Jaune sans être Mocré a 2 L (soit) 30 LIVRES » …

369.

Voir Le Normand 1832, p. 197-199.

370.

Le Normand 1832, décrit savamment l’opération, mais le galet est remplacé à cette époque par un cylindre de cuivre.

371.

Actuellement présentée, avec ses mousselines restituées, au département des objets d’art du Musée du Louvre.