Venue d’Extrême-Orient, la technique d’impression à la planche a été pour la première fois utilisée en Europe à la fin du XIVe siècle372 et devient d’un usage courant au XVe siècle, en particulier pour toute la production populaire : dans ce cas, la feuille de papier est placée sur la planche encrée, relief en haut, et par pression à l’aide d’un cylindre dur, le motif s’imprime. Or, au cours du XVIIe siècle apparaît en Europe la technique de l’indiennage qui inverse le processus : le tissu est posé sous la planche encrée. Logiquement, les Anglais, en lançant la fabrication du rouleau de papier, imposent le même processus car il est impossible de repérer correctement un motif répétitif sous un rouleau de papier. En France, au contraire, la technique des papiers de tapisserie maintient le procédé de l’estampe, puisqu’il s’agit de n’imprimer que des feuilles que l’on ajuste ensemble sur le mur373.
Le changement est fondamental : désormais, la dimension du motif n’est plus liée au papier et les fameux damas floqués anglais qui apparaissent dans les années 1730 présentent des motifs de rapport gigantesque, plus de 2 m de haut !374 Ce que l’on va retrouver dans les motifs des panneaux en arabesques des années 1790.
Robert Dossie375est le premier à décrire le procédé en 1758 :
‘La planche à imprimer (the wooden print), enduite de couleur (…) est transportée sur le fond du papier sur laquelle on la fait tomber avec force de tout son poids par l’effort du bras de celui qui imprime ; ’il précise ensuite que l’ouvrier la laisse tomber, certes, de la façon la plus violente mais pourtant la plus régulière qu’il peut sur le papier. Il termine en précisant que l’on peut de la sorte imprimer couramment plusieurs couleurs mais que pour les papiers courants, on n’imprime que le contour, alors que les couleurs sont posées au pochoir.
Nous ne savons que peu de choses des planches les plus anciennes : les premières planches anglaises semblent avoir été gigantesques376. Les planches de la fin du XVIIIe siècle conservées par la Ville de Rixheim et par le Tapetenmuseum de Kassel sont de bois fruitier, épaisses et monoxyles. Elles ont généralement des dimensions standard, à peu près carrées, d’environ 50 cm de côté, soit grosso modo la largeur du motif reportée dans la hauteur : cela correspond en particulier très bien aux compartiments des panneaux en arabesques dont on lit, si on les observe avec attention, qu’ils correspondent à un jeu de planches377. Dans le cas de bordure, en revanche, on ne grave pas plusieurs fois le même motif, mais on l’imprime à plusieurs reprises dans la largeur du rouleau, ce qui donne des planches de moindre taille. Le bois le plus souvent utilisé est le poirier, parfois le cerisier, le buis, beaucoup plus coûteux, étant réservé pour les finesses. Ce que confirment les inventaires : à Mulhouse, du bois de poirier, à Paris, chez Arthur & Grenard, seul le buis est indiqué en tant qu’essence, « 12 planches de buis (soit) 36 livres », même s’il y a d’autres bois en stock, mais sans précision.
La gravure ne diffère pas des techniques décrites par Papillon dans son Traité de 1766: les parties imprimantes sont dégagées à la gouge et apparaissent en relief (ill° 12.10). Ceci nécessite tout un matériel dont nous avons le détail chez Arthur & Grenard en 1789 :
‘Atellier des graveursLe matériel se retrouve dans tout atelier de gravure : seule intrigue la table de 6 pieds de haut, peut-être une erreur pour « de long ». Remarquons cependant l’absence des gouges et des ciseaux : ces outils sont traditionnellement personnels et ne sont donc pas inventoriés avec le matériel de l’entreprise. Manquent aussi les picots utilisés soit comme repères, soit pour réaliser des fonds picotés : Hartmann Risler se renseigne à leur propos auprès de sa maison à Paris :
‘Demandez le prix des pointes de Paris des diverses qualités que nous utilisons pour nos planches chés les fabriquants, nous pourrions vous en demander une certaine quantité si le prix est moindre qu’à Mulhouse chés nos épingliers. ’Mais avant la gravure proprement dite (et sans doute dans le même atelier) doit être exécutée une opération très complexe, la mise sur bois. Pour imprimer, il faut autant de planches qu’il y a de couleurs, mais ces planches ne peuvent avoir de trop grandes dimensions pour rester maniables, ce qui peut donner un nombre important de planches, de l’ordre de quatre-vingts pour un panneau en arabesques (ill° 3.1)378 Il s’agit donc de transposer le motif créé par le dessinateur sur le bois en tenant compte de ces différents critères : c’est le travail du metteur sur bois, « un homme à talent particulier »379.
Celui-ci pose le motif peint sur papier, fourni par le dessinateur, sur la planche en intercalant un papier enduit de suie entre les deux. Avec une pointe, il va soigneusement entourer tous les éléments du motif de même couleur ; ce faisant, il appuie sur le papier enduit dessous et reporte en noir ce qu’il a encadré sur le bois. Comme pour un même motif, il n’y a pas toujours une seule planche par couleur étant donnée la dimension dudit motif, il faut que les différentes planches se raboutent entre elles sans écart ; pour un grand panneau en arabesques de Réveillon (ill° 3.1), il y a au moins une vingtaine de couleurs par compartiments et donc, pour quatre compartiments, quatre-vingts planches, sinon davantage380.
Quel que soit le motif, le repérage est essentiel et c’est sa perfection qui permet de repérer le metteur sur bois adroit; pour les « rentrures » (les apports de détails colorés), un bon metteur sur bois place ses repères de telle façon que lorsque l’on pose la seconde planche, elle cache la trace des premiers repères, si bien qu’à la fin, « on voit tout au plus la trace des repères qui commencent, et ceux qui terminent la pièce 381». Ce travail de préparation s’avère donc essentiel et il n’est pas évident de trouver des spécialistes dans ce domaine, même à Mulhouse où l’indiennage fait appel au même type de spécialistes : Nicolas Dollfus charge Malaine d’en trouver un à Paris et lui fournit, le 30 juillet 1790, 200 livres pour son voyage382.
Le temps nécessaire dépend du nombre de graveurs disponibles; un exemple, chez Nicolas Dollfus, le 14 janvier 1793, nous en donne une idée, encore que nous ignorions le nombre de graveurs qui y travaillent : pour réaliser un motif de pékin383, il faut
‘120 planches qui demanderont plus de 6 semaines pour les mettre sur bois & autant pour la gravure. ’Si à Mulhouse, nous ne savons pas combien de graveurs travaillent, chez Jacquemart & Bénard, en 1795, ils sont 10 pour 94 imprimeurs384 ; ce chiffre semble faible, mais il est possible que Jacquemart & Bénard fassent appel à des ateliers de gravure extérieurs. Chez Réveillon, en 1789, ils sont l’égal des dessinateurs et « sont plutôt mes collaborateurs que mes gagistes » déclare leur patron385 qui les paye de 50 à 100 sous par jour, ce qui en fait les ouvriers les mieux payés de l’entreprise.
La planche la plus ancienne serait le fameux bois Protat (vers 1370), contesté – ne serait-ce que parce que personne n’a pu le voir depuis Bouchot (Bouchot 1902)
Ce que montrent clairement les dessins de Jean-Michel Papillon destinés à l’Encyclopédie, cf. Gusman 1924.
Hoskins 1994, page 29, illivres n° 30.
Dossie 1758, p. 410-427.
Jean Zuber fils, dans son Rapport sur l’industrie du papier de tentures suite à l’exposition de Londres de 1851, écrit que Crace possédait des planches anciennes : « ces planches sont fort légères, avec une simple doublure de sapin, et ce qui les distingue surtout, ce sont leurs grandes dimensions ; j’en ai vu qui ont plus de deux mètres de long, et je suis encore à me demander comment elles pouvaient servir à l’impression, telle qu’on la pratique aujourd’hui ». Sans doute s’agissait-il de planches pour imprimer (mais comment ?) les grands damas floqués des années 1730.
Jacqué 1991, planche II (entre les pages 64 et 65).
Le Journal du Lycée des arts parle de « tel dessin qui comporte jusqu’à trois cent vingt et trois cent trente planches » : il s’agit sans doute d’une série de quatre panneaux, à moins que ce soit un tout premier panoramique : mais l’imprécision de la description ne permet pas une meilleure identification.
Journal du Lycée des arts, p. 11. Mais le rapporteur reste imprécis sur le procédé.
Ce travail suppose un artisan bien formé et donc bien payé : le 8 avril 1793, N. Dollfus & cie propose à Georges Weber à Paris un appointement de 1200 livres contre 1000 aux meilleurs « maîtres sur bois » qu’il emploie alors. (MPP Z 95)
Le Normand, p. 203.
MPP Z 94.
Un motif de chinoiserie généralement peint sur soie.
A.N. F12 2285.
Réveillon 1789.