1.3.6. L’impression à la planche

Une fois gravées les planches, l’on peut passer à l’impression (ill° 12) : le procédé décrit par Dossie, la simple pression de la planche sur le papier, a été remplacé à une date inconnue par l’usage d’un maillet de plomb que nous retrouvons dans tous les inventaires. Sans doute a-t-il été utilisé à partir du moment où a commencé la production de masse386. On le retrouve par exemple chez Arthur en 1789 où, dans l’ « attelier des imprimeurs » (ill° 12.1), le geste apparaît clairement : le maillet est tenu par son manche, la masse de plomb en haut ; la pression se fait à l’aide du manche, la masse l’accentuant.

L’opération se déroule devant une table solide, renforcée par des entretoises : le dessin de Moëtte nous montre des tables très stables dont le plateau apparaît très épais, ce que l’on retrouve dans les tables conservées jusqu’à l’heure actuelle, chez Zuber & Cie. Ces tables sont installées perpendiculairement à une fenêtre, de façon à profiter au maximum du jour. A droite de ces tables, un « chassis à tirer » ou « baquet et drap 387», c’est-à-dire un bac de format carré, rempli d’eau sur laquelle est tendu un cuir recouvert d’un drap épais ; c’est ce drap qui reçoit la couleur : le fait qu’il repose sur de l’eau permet d’encrer parfaitement la planche, même si la planche d’impression est légèrement voilée ou usée.

Les opérations se déroulent dans l’ordre suivant. Les planches sont d’abord triées couleur par couleur, ce que leur numérotation facilite, en fonction de la « marche des couleurs » ; comme la détrempe utilisée est épaisse, cet ordre n’a pas grande importance, on peut par exemple imprimer des couleurs claires comme le blanc sur des couleurs foncées. Pour les motifs importants, la première planche donne le « géométral », c’est-à-dire les points de repère de la construction du motif, pour les motifs plus simples, la planche est dotée sur le côté d’une série de picots de repérage, en fonction de la marche des couleurs. Avant usage, la planche est humidifiée pour faire disparaître les fissures du bois, et si nécessaire, on les rebouche à la cire d’abeille.

Le « tireur », un gamin, souvent le fils de l’imprimeur, grimpe sur un tabouret pour « tirer » la couleur sur le drap avec une brosse388. L’imprimeur, de la main droite, encre sa planche soigneusement, puis il la dépose en fonction des repères, donne un coup de masse, l’encre une seconde fois, donne un coup de masse et ainsi de suite jusqu’à la fin du rouleau (ou du panneau). Puis le tireur s’empare à l’aide d’un ferlet (une baguette), glissé sous le papier, du rouleau imprimé et en utilisant une longue règle en forme de T le pose sur un étendoir en formant des plis jusqu’à séchage complet : par temps humide, le séchage difficile ralentit le travail.

L’opération reprend avec une seconde couleur, séchage compris, une troisième, autant de couleurs qu’il est nécessaire pour obtenir le motif complet. D’après Ure389, en Angleterre en 1839, un imprimeur imprimerait chaque jour une centaine de rouleaux de 12 yards (10,97 m) en une seule couleur ; la situation ne devait pas être très différente au XVIIIe siècle.

L’emploi du maillet avec une couleur épaisse ne peut donner une impression d’une totale précision : le papier ne « boit » pas la couleur et donc la planche doit légèrement « glisser » sur elle, épaissie à la colle de peau. Ce qui explique le caractère « vivant » des impressions du XVIIIe siècle, qui privilégient une matière épaisse, jouant avec la lumière par sa surface irrégulière, mais jamais grumeleuse. Pourtant, d’un atelier à l’autre, la qualité diffère : chez Réveillon puis ses successeurs, l’impression se révèle plutôt fine et précise, elle s’affirme plus molle et donc plus floue chez d’autres, à Lyon en particulier, ce qui n’est d’ailleurs pas sans séduction.

Cela pose la question de la presse, mode d’impression normal du XIXe siècle, qui permet une impression plus nette : quand est-elle apparue ? Les inventaires, comme chez Anisson-Duperron, parlent uniquement de « grandes tables à impression avec leur chassis à tirer la couleur » : chez Arthur & Grenard apparaissent cependant, pour 36 « tables garnies de leur Drap & Baquets », « 3 (tables) a presses » et dans un autre atelier « 2 tables a presse garnies de leurs draps et baquets » ; mais la coupe de l’entreprise montre que les papiers peints en arabesques sont bien imprimées au maillet ; en revanche, les tables à presse se retrouvent utilisées seulement pour imprimer le mordant dans l’ « attelier des papiers tontisses » (ill° 13.1) ou, d’après l’inventaire, dans l’atelier où on pose l’or à l’aide d’un mordant (le même que pour la tontisse). D’autres indices confirment les faits : le 6 août 1788, Réveillon reçoit dans ses ateliers les ambassadeurs de Tippoo-Sahib. Un témoin, Jean-Baptiste Gentil rapporte :

‘Le sieur Réveillon leur présenta, avec un maillet, une planche gravée, et en les plaçant vis à vis de la table d’impression à côté de laquelle était le châssis rempli de couleur, il invita Leurs Excellences (les ambassadeurs de Tippoo-Sahib) à manipuler elles-mêmes, ce qu’elles firent avec autant de grâce que d’adresse.390

Les ambassadeurs impriment une gravure avec leur nom, la date en souvenir de l’événement et ils le font sans presse. Le papier à lettres d’E. Clough à Boston, vers 1798, représente aussi un imprimeur maniant le maillet391. En 1803 encore, dans le cadre du procès qui oppose Bance l’aîné à Simon à propos d’une affaire de contrefaçon, le rapport d’expert précise que le dessus-de-porte en papier peint a été imprimé chez Dufour « sans le secours d’aucune presse 392».

Chez Jacquemart & Bénard en 1795, les imprimeurs sont le premier contingent d’ouvriers, auxquels s’ajoutent « 70 enfants de 8 à 14 ans employés près des imprimeurs à divers travaux 393». Six ans auparavant, Réveillon les paye de 30 à 50 sous, soit moitié moins que les dessinateurs et les graveurs.

Une fois imprimés, les rouleaux sont roulés sur des tables adéquates avant d’être stockés ; c’est sans doute à ce moment là qu’on y inscrit un numéro de référence à la plume au verso394 . Les différents inventaires, s’ils nous décrivent les « corps de cases » pour le stockage, nous laissent entendre que ce dernier se fait un peu partout, dans les ateliers et, sans doute, dans tous les espaces disponibles, sans ordre apparemment rationnel. De même, la façon dont les numéros des rouleaux se suivent dans les inventaires, ne permet pas de comprendre l’organisation du rangement Il en est de même pour les planches d’impression, inventoriées par numéro et non en bloc chez Anisson-Duperron395 : les numéros ne se suivent d’aucune manière.

Après usage et avant stockage, ces planches ont été soigneusement lavées : Arthur & Grenard disposent, par exemple, d’un stock de « 132 brosses à laver les planches ». La lithographie de Godefroy Engelmann de 1823 représentant la cour de la « Fabrique de Papiers peints de MM. Zuber & Cie » nous montre deux enfants brossant des planches dans une cuve en pierre à proximité d’un puits (ill° 9.1)  : chez Arthur & Grenard, la même opération se déroulait dans la cour dans « 2 grands réservoirs à laver les planches doublées de plomb ».

Notes
386.

Cette technique est empruntée à l’indiennage.

387.

Inventaire Arthur 1789.

388.

Chez Arthur & Grenard sont stockés dans le Cabinet de M. Grenard « 50 petits bancs pour les tireurs ».

389.

Ure 1839, volivres III, p. 337-339.

390.

Gentil, 1822, p. 326.

391.

Lynn,. 1980, p. 44.

392.

Falconnet 1806, T. 1, p. 421-507.

393.

A.N. F12 2285.

394.

Ce qui expliquerait peut-être que le roulage soit fait par des hommes ?

395.

Mais hélas, elles sont prisées par n° de motif, sans que l’on ne sache combien de planches nécessite le motif ;